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plaisir et le desir, confondus ensemble, se » faisoient sentir à la fois. Là, fut enfin le vrai » berceau des peuples; et du pur cristal des fontaines sortirent les premiers feux de l'a

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» mour ».

Il ne manqueroit rien à cette charmante idylle, si les feux de l'amour qui sortent du cristal des fontaines ne portoient pas l'empreinte de la recherche et de l'affectation qu'on reproche justement à plusieurs écrivains du dixhuitième siècle. Examinons plus sérieusement les faits supposés par Rousseau, et n'oublions pas que ces jeunes gens si délicats, ces jeunes filles si coquettes, ne savent point parler.

L'amour, tel que vient de le peindre Rousseau, ne peut naître que dans une société déja perfectionnée. Il a besoin, pour se développer, d'une décence de mœurs, sans laquelle on ne peut le concevoir. La vie sédentaire, les occupations paisibles, les soins maternels qui s'étendent jusqu'aux détails les plus minutieux, la modestie, la timidité, l'innocente coquetterie, qui peut s'y joindre, tout cela est nécessaire pour donner aux jeunes filles le charme qui inspire un amour délicat. Quand on se rencontre on rougit; les yeux expriment ce que parole ne peut rendre ; on cherche à se revoir;

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les entretiens se prolongent; les rendez-vous se donnent sans qu'on s'en aperçoive; on aime, on est aimé, et l'hymen couronne enfin des feux si purs. C'est ainsi que, dans la Genèse, sont racontés avec une touchante simplicité les amours de Jacob et de Rachel, et l'entrevue du serviteur d'Abraham et de la jeune Rebecca, qui dut à un acte d'humanité le choix glorieux qu'on fit d'elle pour Isaac.

L'espèce de sauvages dont parle Rousseau, qui n'avoient pas même l'usage de la parole, pouvoit-elle éprouver et inspirer les sentimens que je viens de décrire? A supposer qu'une pareille peuplade ait pu exister', les besoins physiques n'étoient-ils pas l'unique règle de ses liaisons grossières ?

Au lieu d'attribuer à l'amour l'origine des langues, Rousseau, puisqu'il vouloit faire un système, n'auroit-il pas dû dire que les premières paroles humaines furent produites par des adorations à l'Être-Suprême, par la commisération gravée dans le cœur de l'homme, et par le besoin que le foible put avoir du fort? Ces sentimens doivent précéder l'amour. Le système n'eût pas été plus juste, puisque, comme j'espère bientôt le démontrer, la faculté de parler nous a été donnée lors de la création;

mais, en adoptant cette dernière hypothèse, il eût été moins déraisonnable. Ce qui pourroit encore contribuer à prouver l'erreur dans laquelle est tombé Rousseau, c'est que la langue des amans ne peut être jamais une langue usuelle. Tout le monde sait combien elle est bornée. Quoique les romanciers aient cherché à l'étendre, il n'en est pas moins vrai qu'elle ne roule que sur un très-petit nombre d'idées, et qu'elle emploie les mêmes expressions jusqu'à la satiété. Ainsi les amans seuls auroient parlé, et le reste de la peuplade eût été muet. Il y auroit eu, comme en Egypte, un langage mystérieux qui n'auroit été compris que par les initiés, avec la seule différence, que les jeunes garçons et les jeunes filles auroient été les docteurs, et les vieillards les ignorans. Je n'ai pas besoin de pousser plus loin les conséquences.

Mais, auroit-on pu dire à Rousseau, vous avez supposé un pays où les hommes n'avoient presqu'aucun besoin, puisque le climat étoit doux, et puisque la terre, sans être cultivée, leur donnoit une subsistance abondante. On pourroit, en adoptant la base de votre système, vous accorder que les hommes ont pu y vivre quelque temps sans parler. Comment appliquerez-vous votre théorie aux pays froids où

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la nature ne donne ses bienfaits qu'aux travaux obstinés des hommes réunis? Rousseau a senti toute la force que pouvoit avoir cette objection, et il l'a prévenue, en convenant que, dans le nord, les langues ont pu être formées par les besoins. D'après cette idée, il pense que dans le midi, les premiers mots furent : aimez moi, et dans le nord: aidez-moi. Delà, il conclut que les langues primitives du midi sont harmonieuses et poétiques, et celles du nord, dures et barbares. Il ajoute, en faveur des langues méridionales, qu'elles sont pleines de figures, et il s'exagère l'effet que devoit produire Mahomet, en annonçant l'Alcoran dans la langue arabe.

Sans m'arrêter à la contradiction du système général, posé d'abord par Rousseau, et à l'immense exception qu'il a cru devoir y faire, je me contenterai d'observer que les langues les plus arrciennes du midi ne sont pas plus douces que celles du nord. L'arabe, que Rousseau regarde comme une langue éloquente et cadencée, est un des idiomes les plus rudes qui existent. Chaque motradical est composé de trois consonnes, sur lesquelles on met des signes qui ne se rapportent qu'à trois de nos voyelles. On sent quelle harmonie doit avoir une langue où l'on compte

vingt-neuf consonnes. Quant au style figuré que Rousseau admire dans les écrivains orientaux, et dont il se sert pour prouver que les langues du midi ont dû leur naissance aux passions, il me suffira de rappeler que les anciennes langues du nord étoient pleines d'images, et je ne citerai que les Poëmes d'Ossian qui sont connus de tout le monde.

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Avant de discuter, avec soin, toutes les ties de ce système idéal, j'aurois pu facilement n'en point admettre la base. En effet, il est fondé sur l'opinion toujours soutenue par le philosophe de Genève, que l'homme n'est pas né pour être en société ; qu'il a existé une époque où il vivoit dans l'isolement, et qu'en se rapprochant de ses semblables, en se donnant un gouvernement, il a fait un contrat où il a conservé ce que Rousseau appelle ses droits naturels; hypothèse dangereuse en politique, susceptible des plus funestes interprétations, et qui peut donner lieu à d'horribles bouleversemens. Depuis long-temps les bons esprits ont rejeté cette supposition absurde, et se sont accordés à reconnoître que l'homme est un être sociable, et qu'il n'a jamais pu vivre qu'en société. Il m'auroit donc suffi de nier la probabilité de l'hypothèse; mais j'ai voulu prouver qu'en accordant, pour

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