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Et de son jugement suprême
Il ne peut éviter l'irrévocable effet.

Quoi qu'on t'ose imputer, ne daigne y repartir,

Et dans un silence modeste,

Trouve, sans t'indigner, l'art de tout démentir.

Après avoir cherché à prouver que tous les genres de beautés poétiques se trouvent dans les ouvrages du grand Corneille, je dois indiquer les défauts dont il n'a pu se garantir. On verra que ses fautes tiennent presque toutes au goût du temps où il écrivit, et que ses beautés ne sont qu'à lui seul.

A l'époque où Corneille entra dans la carrière des lettres, la littérature espagnole étoit trèsrépandue en France. Anne d'Autriche avoit introduit à la cour une langue sonore et majestueuse, dans laquelle avoient été composés plusieurs ouvrages qui avoient alors une grande réputation. Tous les poëtes dramatiquessavoient cette langue, et cherchoient à faire passer sur notre théâtre des pièces que notre indigence dans cette partie de la littérature nous faisoit regarder comme des chefs-d'œuvres. Les auteurs espagnols, doués d'une imagination vaste et brillante, avoient fait quelques bonnes scènes théâtrales; mais plus jaloux d'inspirer la curio

sité, que d'exciter cette sorte d'intérêt qui ne peut naître que d'un sujet simple, ils s'étoient étudiés à compliquer leurs canevas dramatiques, et la représentation de leurs pièces exigeoit une attention scrupuleuse, qui, comme le dit Boileau, d'un divertissement faisoit une fatigue. Ils ne suivoient aucune règle dans leurs compositions informes, et les trois unités leur étoient absolument inconnues. Leur manière d'écrire étoit aussi vicieuse que leurs conceptions. Obligés de travailler pour un peuple dont la politesse étoit cérémonieuse et compassée, dont le goût avoit quelque chose d'exalté, et à qui la simplicité des anciens ne pouvoit plaire, ils avoient adopté un style souvent emphatique et boursoufflé; et lorsqu'ils avoient voulu peindre les passions, ils avoient substitué des raisonnemens froids aux mouvemens énergiques qu'elles doivent inspirer.

L'inconvénient d'imiter des modèles vicieux et d'exagérer leurs défauts se fit sentir sur-tout dans les commencemens de notre théâtre. Le Grand Soliman de Mairet, Laure persécutée de Rotrou, les Romans dialogués et mis en vers de Scudéry, sont des imitations des poëtes espagnols. Ces pièces, outre leur conduite extravagante, offrent tous les défauts du style

dont j'ai cherché à donner une idée. L'héroïsme y est exagéré, l'amour y est analysé, et les grands mots y sont employés pour exprimer les pensées les plus communes.

par

Corneille ne put se préserver entièrement du mauvais goût qui étoit répandu dans les meilleures compagnies de son temps. Mais, dans le choix qu'il fit des auteurs espagnols dont il voulut embellir les ouvrages, on ne peut méconnoître un homme supérieur. Le sujet du Çid, qui, comme je l'ai dit, étoit un des plus heureux qu'on pût trouver, avoit été traité deux poëtes espagnols. Corneille se l'appropria; il en fit un chef-d'œuvre. L'Héraclius de Calderone étoit un chaos où le mauvais goût et les fausses combinaisons étoient portés à un degré difficile à concevoir. Le poëte françois en fit une pièce régulière, où cependant il suivit un peu trop les traces de ses modèles. Dans la suite, il puisa encore chez les Espagnols le sujet de Don Sanche d'Aragon, qui, pour la conduite et pour le style, est inférieur à Héraclius. On ne doit pas oublier aussi qu'il trouva dans ce théâtre informe l'idée du Menteur. Mais, outre que la première pensée d'une comédie de caractère est peu importante, puisque tout dépend de l'exécution, on doit remarquer encore que la liaison

des scènes, et sur-tout le style vraiment comique de cette pièce, appartiennent entièrement à Corneille.

Quoique ce grand poëte ait embelli et perfectionné tout ce qu'il a emprunté aux Espagnols, on ne peut révoquer en doute qu'en général le style de presque toutes ses pièces ne porte quelque empreinte des défauts qu'on a reprochés aux Calderone et aux Lope de Vega. On remarque quelquefois, dans les tragédies même de son bon temps, que les scènes d'amour y sont trop raisonnées, et que l'auteur y suit, d'une manière trop marquée les formes un peu pédantesques de l'école. Émilie craint que quelques conjurés n'aient la lâcheté de trahir son amant. Cinna lui répond:

S'il est, pour me trahir, des esprits assez bas,
La vertu, pour le moins, ne me trahira pas.
Vous la verrez brillante, au bord du précipice,
Se couronner de gloire et braver le supplice;
S'il faut enfin souffrir un destin rigoureux,
Je mourrai tout ensemble heureux et malheureux :
Heureux, pour vous servir, de perdre ainsi la vie,
Malheureux de mourir sans vous avoir servie.

On voit que la fin de cette période est péniblement travaillée, et que le développement de

l'idée

l'idée principale n'a rien de naturel. Ce défaut
se montre principalement dans les scènes de
Rodogune, entre Antiochus et Séleucus. Les
deux frères parlent de l'amour et de l'amitié,
plutôt en métaphysicien qu'en héros de tragédie.
Le goût que Corneille avoit pour les auteurs espa-
gnols l'avoit aussi entraîné à employer de
grands mots pour exprimer des idées simples,
et à faire parler ses héros d'une manière un peu
avantageuse. Cette dernière faute, qu'il avoit
soigneusement évitée dans le caractère du jeune
Horace, se fait apercevoir quelquefois dans le
personnage de Cornélie,
de Cornélie, et dans celui de Nico-
mède. On reproche aussi avec raison à Corneille
d'avoir mis un peu d'enflure dans le discours de
Ptolomée, morceau imité de la Pharsale. Ce
poëte, en faisant sa lecture habituelle des au-
teurs espagnols, avoit été porté naturellement
à concevoir beaucoup d'estime pour Sénèque et
pour Lucain, tous deux nés en Espagne, et qui
sembloient avoir servi de modèles aux écrivains
modernes de ce pays. C'est encore ce goût vi-
cieux qui avoit influé sur le génie de Corneille,
et qui avoit fait dire à Boileau, dans un mo-
ment d'humeur

Tel s'est fait par ses vers distinguer dans la ville,
Qui jamais de Lucain n'a distingué Virgile.

G

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