Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Ces défauts ne se trouvent que très-rarement dans les bonnes pièces de Corneille, et ils disparoissent sous le grand nombre de beautés franches, hardies et sublimes. Mais, dans ses dernières pièces, lorsque le feu de la jeunesse se fut éteint, les beautés diminuèrent, et les fautes devinrent plus fréquentes. On admire encore cependant une scène d'Attila, où le poëte fait la peinture de l'empire romain qui s'écroule, et de la France qui s'élève.

Un grand destin commence, un grand destin s'achève;
L'empire est prêt à choir, et la France s'élève :
L'une peut avec elle affermir son appui,
Et l'autre en trébuchant l'ensevelir sous lui.

L'empire, je l'avoue, est encor quelque chose,
Mais nous ne sommes plus au temps de Théodose,
Et, comme dans sa race, il ne revit pas
L'empire est quelque chose, et l'empereur n'est rien.

bien,

« Voilà, dit M. Palissot, des idées qui rap» pellent le souvenir de Corneille ». Le rôle de Suréna, et le dernier acte de la pièce qui porte. ce nom doivent être distingués; ils renferment des beautés qui n'ont pas été assez senties.

On convient aujourd'hui assez généralement que le Commentaire de Voltaire sur les pièces

penser

du père de la scène françoise, est beaucoup trop sévère. Si l'on en croit les partisans du poëte moderne, cette sévérité ne lui fut point inspirée par la jalousie. On peut du moins que l'impatience et l'ennui que dut éprouver l'homme dont l'imagination étoit la plus vive et la plus mobile, en se livrant aux travaux pénibles et minutieux d'un commentateur, dûrent influer sur son jugement, et contribuèrent à donner de l'aigreur et de l'injustice à ses critiques. La plus grande partie des censures de Voltaire porte sur des mots et des tours de phrase qui étoient en usage du temps de Corneille, et qu'on ne peut lui reprocher. Il suffisoit d'avertir les étrangers que ces mots et ces tours de phrase avoient été bannis de la langue moderne.

[ocr errors]

M. Palissot relève un grand nombre de ces critiques, et prouve que Voltaire a souvent blâmé des expressions fortes et hardies qu'on peut considérer comme des beautés. Il fait aussi des observations très-justes sur les métaphores, et sur l'idée que Voltaire s'en étoit formée.

Toute métaphore, dit Voltaire, qui ne » forme point une image vraie ét sensible, est » mauvaise; c'est une règle qui ne souffre point » d'exception ».

כל

Et à l'occasion de ce vers de Corneille :

Ce dessein avec lui seroit tombé par terre.

Voltaire ajoute : « Quel peintre pourroit res présenter un espoir qui tombe par terre »?, Le commentateur veut donc que l'on puisse peindre chaque métaphore? « On ne revient » pas d'étonnement, dit M. Palissot, qu'une » idée aussi bizarre, aussi destructive de toute poésie, ait pu se former dans la tête d'un » homme qui, non-seulement avoit cultivé » toute sa vie l'art des vers, mais qui en avoit » fait d'excellens. Rien ne prouve mieux com>> bien le meilleur juge est sujet à s'égarer, lorsqu'il discute à froid, ce qui ne doit être senti qu'avec enthousiasme. Quelques exemples feront mieux sentir ce que son système a » d'étrange, et combien il peut induire en er»reur les jeunes gens qui, sur la foi de son » nom, croiroient ne pouvoir suivre un >> meilleur guide! Quel est le peintre qui ose»roit essayer, d'après le principe de Vol

כל

[ocr errors]

כל

taire, de faire voir dans un tableau des mains » avides de sang qui volent à des parricides, » un nom qui chatouille la foiblesse d'un cœur, » des pleurs unis dans une balance avec les » lois d'un état, des yeux qu'on voit venir de

[ocr errors]

» toutes parts, une victoire qu'on irrite dans »les bras du vainqueur, des murs qui vont

כל

prendre la parole, des portes qui n'obéissent » qu'à un seul homme, des mains qui pro» mettent, un Dieu qui met un frein à la fureur » des flots? Il faudroit transcrire tout Racine » et tout Boileau, si l'on vouloit épuiser toutes » les métaphores hardies dont leur poésie est » animée, et que pourtant aucun peintre n'entreprendroit de peindre ».

כל

M. Palissot auroit pu ajouter que, dans la prose de nos grands orateurs, on trouve une multitude de ces belles métaphores que l'imagination adopte, et que le pinceau ne pourroit figurer aux yeux. Les Oraisons funèbres de Bossuet, son Discours sur l'Histoire universelle, en présentent un grand nombre. Certe sorte de figures dont Voltaire fut toujours trop avare dans ses tragédies, anime le style passionné, et lui donne une force et une persuasion auxquelles on ne peut résister. Je citerai un passage très-court de Massillon, où une métaphore de ce genre se trouve deux fois. Il est tiré du panégyrique de saint Louis. « Les œuvres » les plus utiles seroient délaissées, et les >>.larmes de tant d'infortunés qui y venoient » chercher un asile, l'y chercheront en vain

2

» et ne trouveront plus de main charitable » pour les essuyer? Dieu vous jugera, mes » frères, et, devant son tribunal terrible, vos >> richesses s'élèveront contre vous, et se plain» dront que vous les avez fait servir à la vanité » et à la volupté ». Comment pourroit-on peindre des larmes qui cherchent un asile dans des œuvres, des richesses qui se plaignent à Dieu de l'usage qu'on a fait d'elles? Si l'on vouloit distraire des critiques de Voltaire toutes celles qui sont fondées, ou sur ce faux principe, ou sur des systèmes erronés, on en réduiroit considérablement le nombre. On doit cependant observer que, sur-tout dans le commencement de son travail, Voltaire fait sentir des beautés que jusqu'alors on n'avoit pas assez remarquées. Mais on voit avec regret que les plus grands éloges portent presque toujours le caractère d'une justice péniblement rendue. En écartant toute idée de jalousie du côté de Voltaire, ne doit-on pas, comme je l'ai déja fait entendre, attribuer cette sévérité souvent amère et injuste, à l'extrême différence du · génie des deux poëtes, l'un soumettant tout aux règles du raisonnement, l'autre se livrant sans réserve à une imagination qui l'égare quelquefois ?

« AnteriorContinuar »