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AVIS PRÉLIMINAIRE.

Les progrès et la décadence d'une langue
sont inséparables des progrès et de la dé-
cadence du goût. Pour s'assurer de l'état
d'une langue, il faut examiner si, depuis
sa fixation, l'on n'a point altéré son gé-
nie, en introduisant de mauvaises cons-
tructions, en inventant de nouveaux mots,
en détournant l'acception des termes ad-
mis en confondant les
"
genres de style:
voilà les signes auxquels on reconnoît la
décadence des langues. La syntaxe est la
même, quoique la langue ait changé.
On trouvera dans Sénèque et dans Silius
des morceaux aussi corrects, quant à la
syntaxe, que les passages les plus admirés
des Catilinaires et de l'Énéide; et cepen-
dant la langue de Sénèque et de Silius
n'étoit plus celle de Cicéron et de Virgile.
C'est sous ce rapport que j'ai considéré la
langue française.

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Obligé de parler d'une multitude d'auteurs, j'ai dû être avare de citations. Je les ai donc bornées à celles qui étoient absolument nécessaires pour marquer les changemens arrivés dans la langue. Quelquefois un grand écrivain ne m'en a fourni aucune, parce qu'il eût été impossible de rapporter un passage isolé. J'ai plusieurs fois cité des vers moins souvent de la prose. A peu d'exceptions près, la prose perd à être offerte par fragmens; les beaux vers n'ont point ce désavantage.

La Grammaire générale de Port-Royal n'est point faite pour l'enfance. Les deux hommes célèbres qui l'ont composée, l'ont destinée à la jeunesse. Lorsque l'on possède les élémens des langues anciennes et de sa propre langue, on a besoin, pour se perfectionner, d'étudier les principes généraux de la Grammaire raisonnée.

L'Essai que j'ai osé joindre à ce chefd'œuvre, est fait dans la même intention. Il a pour but d'indiquer le génie de la langue françoise, dont Arnauld et Lancelot ont fixé les règles générales.

ESSAI

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PLUSIEU

LUSIEURS savans et quelques philosophes modernes ont fait des recherches sur l'origine des langues. Les premiers, soit en étudiant les hiéroglyphes égyptiens, et les monumens les plus anciens de l'Asie, soit en consultant les voyageurs sur les divers idiomes du NouveauMonde, ont marché d'analogie en analogie, et se sont flattés d'avoir trouvé les traces d'une

langue primitive. Mais la diversité de leurs systèmes, le peu d'accord de leurs opinions, même dans les points où ils auroient pu se rapprocher davantage, prouvent que, si leurs travaux ont été de quelqu'utilité pour éclaircir des doutes sur les peuples anciens, ils n'ont presque fait

A

faire aucun pas vers le but qu'on s'étoit proposé. Du moins leurs sentimens étoient fondés sur quelques traditions historiques; on n'y trouvoit point cette incertitude vague où l'on tombe toujours lorsqu'on ne raisonne que par hypothèses. Les philosophes ne furent point aussi laborieux, et n'eurent pas le même scrupule. En supposant une époque où les hommes furent dans l'état naturel, vécurent isolés dans les déserts, il fut facile de composer en idée l'édifice de la société. On calcula, sans peine, l'influence que les besoins et les passions des hommes avoient pu avoir sur la formation de l'ordre social. L'homme livré à lui-même, cherchant sa nourriture dans les forêts, souvent exposé à en manquer, fuyant devant tous les objets nouveaux qui se présentent à ses regards, impitoyable avec les êtres plus foibles que lui, surtout lorsque la faim le dévore, se fatigue enfin de cette vie errante. Quelques rapprochemens se font. L'esprit de famille s'introduit; on se réunit pour la chasse. Bientôt on sent qu'il est plus avantageux d'élever des animaux, de les multiplier, que de les faire périr aussitôt qu'on s'en est rendu maître. Les peuples pasteurs se forment. Quelques hommes font des plantations; des voisins jaloux s'emparent du fruit de

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