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et des baïonnettes; puisqu'il n'est pas un intérêt qui ne l'exprime; puisque le gouvernement du 2 décembre, après l'avoir proscrit, a dû se poser comme son interprète; qu'il lui emprunte sa popularité, qu'il s'inspire de ses solutions, qu'il ne semble retenu que par le désir de concilier les intérêts existants avec ceux qu'il voudrait créer; puisqu'en un mot, d'après certains rapports auxquels il est permis d'ajouter quelque créance, Louis-Napoléon serait le pire, lisons, si vous le voulez, le premier des socialistes, le dernier des hommes de gouver、 nement! Est-ce donc Louis-Napoléon qui fera la révolution sociale? est-ce le petit-fils de Charles X, celui de Louis-Philippe, ou tel autre qu'il vous plaira? car en vérité nous ne pouvons plus dire le soir par qui nous aurons l'honneur d'être gouvernés le matin. Que nous importe, encore une fois, le nom du personnage ? Le méme astre les régit tous, et notre droit vis-à-vis d'eux reste le même. Badauds, qui demandiez en 48 quand cela finirait! qui avez tout livré, Constitution, Liberté, Honneur, Patrie, pour que cela finît, vous voilà relancés dans une autre aventure! Vous croyiez toucher au débarcadère, vous n'étiez qu'à la station. Entendez-vous le sifflet de la locomotive? Croyez en un homme que votre journal favori, le Constitutionnel, a breveté prophète : laissez aller le convoi, arrangezvous dans votre coin, buvez, mangez, dormez et ne soufflez mot! Car, je vous en avertis, si vous continuez à crier et rager, le moins qui vous puisse advenir sera d'être jetés sous le wagon.

Que si telle est en France la condition du pouvoir, que, s'il ne sait, ne peut ou ne veut servir la révolution, se métamorphoser lui-même, il est balancé par elle, qu'avons-nous de mieux à faire, socialistes et non-socialistes, radicaux et modérés, que d'étudier sans relâche l'immense problème, de chercher la conciliation de nos idées, le rapport de nos intérêts, et, sans attendre que des chefs plus aimés nous arrivent, d'exercer dès maintenant sur le pouvoir, quel qu'il soit, la pression légitime, incessante, de la science et du droit ? Que LouisNapoléon, puisqu'il est en ligne, devienne, s'il veut, par le mandat révolutionnaire qu'il s'est donné le 2 décembre, plus grand que ne fut l'Empereur; qu'il accomplisse l'œuvre du dixneuvième siècle; surtout qu'il ait l'orgueil de ne rien laisser à faire à son successeur, et qu'après lui la nation rendue à elle

même, fortement constituée dans son économie, n'ait plus à redouter, de la part d'un parti, d'une secte, ou d'un prince, ni usurpation, ni restauration, ni dictature; qu'elle puisse dire adieu à la raison d'État : et je ne serai point, quant à moi, détracteur de Louis-Napoléon. Je ferai le décompte de ses torts envers la démocratie au fur et à mesure de ses services; je lui pardonnerai son coup d'État, et lui rendrai grâce d'avoir donné au socialisme certitude et réalité.

Mais que parlé-je toujours de socialisme? Je voudrais que ce sobriquet d'origine contre-révolutionnaire, que le peuple accepta en 48 comme il avait accepté en 93 celui de sans-culotte, et qui rend tout aussi mal l'idée du siècle, eût fait son temps. La période d'agitation qu'il exprimait est finie, et la question soulevée par lui tellement posée qu'aucun ordre du jour ne l'écartera plus. Sans la persécution dont elle est le prétexte, j'abandonnerais, peut-être, ce mot de passe de la révolution économique, qu'affectionnent pour le besoin de leurs calomnies les écrivains de la réaction, grands publicistes, qui en pleine marche révolutionnaire nient la réalité du mouvement. Pendant que les regrattiers occupent la foire, soldats de l'avantgarde, pionniers infatigables, ne laissons pas faiblir l'étude, et jeûner l'opinion. L'histoire de l'humanité est l'histoire des armées, a dit le neveu de l'Empereur:

En avant la trente-deuxième,

La trente-deuxième en avant!

II

SITUATION DE LA FRANCE AU 24 FÉVRIER 1848

Il y a des gens qui, à propos du 2 décembre, commentant la Décadence des Romains, vous disent le plus sérieusement du monde : La nation française est corrompue, dégénérée, lâche. Elle a trahi sa mission providentielle, renié sa gloire. Il n'y a plus rien à attendre d'elle qu'une autre prenne sa place, et reçoive sa couronne !

Beaucoup de Français répètent ces sottises, tant ils sont prompts à médire d'eux-mêmes !

D'autres, affectant un air hippocratique, accusent le socialisme. C'est le socialisme, assurent-ils, qui a perdu la démocratie. Le peuple, de lui-même, était plein de bon sens, pur, vertueux, dévoué. Mais son âme a été matérialisée par les prédicants de socialisme, son cœur désintéressé de la chose publique, détourné de l'action. C'est par l'influence de ces idées léthifères qu'il a pu se tromper sur la signification du coup d'État, battre des mains à la violation de l'Assemblée, à l'arrestation des généraux. On lui avait appris à mépriser ses représentants: il a manqué à leur appel, et dans le guet-apens du 2 décembre, il n'a vu que le rétablissement de son droit, le suffrage universel.

Le citoyen Mazzini, l'archange de la démocratie, s'est fait l'éditeur de cette opinion.

Voici encore, sur le même événement, d'autres variantes : C'est la gauche qui a assuré le succès du coup d'État, en votant, le 17 novembre, contre la proposition des questeurs. C'est la presse de l'Élysée qui a effrayé de ses récits la bourgeoisie, et retenu son indignation.

C'est l'armée, féroce et vénale, dont l'attitude a désespéré le patriotisme des citoyens.

C'est ceci, c'est cela !...

Toujours les grands événements expliqués par les petites causes! Aussi l'étranger, prenant acte de ces misérables défaites, ne comprenant point qu'une masse de 36 millions d'hommes se laisse, en un même jour, mystifier et museler, siffle sur notre nation, et à son tour la proclame déchue. Ceux qui ne nous connaissent point, qui ne savent de quelle révolution la France est en travail, ou qui, ayant entendu vaguement parler de cette révolution, la jugent aussi absurde que nos conservateurs, jettent le sarcasme à cette race, élue entre toutes, et la vouent à l'opprobre. L'Anglais, déguisant mal sa joie, dévorant d'avance notre territoire, rougit de notre aventure; l'Américain, avec son insolence d'affranchi, crache sur notre nom; l'Allemand métaphysique, le Hongrois féodal, l'Italien bigot, l'un après l'autre, nous clouent au pilori. Tandis que le Saint-Père nous fait baiser ses mules, voici le prophète Mazzini qui nous présente l'éponge de fiel, et prononce sur nous le Consummatum est! Quel triomphe, dans toute l'Europe, pour l'envie! et quelle leçon à la postérité ! La France de 1848, la fille de 92 et de 1830, eh bien! cette France émancipatrice, un moment adultère, met au monde le socialisme; et tout aussitôt elle trahit les nationalités, elle assassine les républiques, s'agenouille devant le cadavre de la papauté, embrasse le fantôme de la tyrannie, et meurt !...

Oh! si je n'avais qu'à répondre à des pédants ignares! s'il ne s'agissait pour moi que de flageller une fois de plus ces mystagogues, sycophantes des révolutions qu'ils n'ont pas prévues et qui les dépassent!... Mais un devoir plus sérieux me commande. Il faut justifier ma nation devant l'histoire, lui ôter ce poids d'infamie, dont ses rivales espèrent l'écraser. Un seul jour de remords pour la France! c'est cent mille fois plus que la passion de l'Homme-Dieu... Oublions donc tous, s'il se peut, nos griefs; raisonnons de sang-froid, repassons les faits et les causes. Que l'histoire, nous montrant dans nos erreurs les causes de nos défaites, nous apprenne enfin à les réparer. Qu'au feu de l'adversité disparaissent parmi nous les partis et les sectes; que l'intolérance soit flétrie, qu'on n'estime plus que la liberté!

Le 24 février 1848, une poignée de républicains, franchissant les limites de la protestation bourgeoise, renverse le trône et dit au peuple : Sois libre!

C'était hardi, cela aurait été sublime, si, avec moins de modération et d'honnêteté, je le ferai voir tout à l'heure, avec moins d'égards pour les préjugés du pays, avec moins de religion démocratique, les auteurs de ce coup de main, tenant plus de compte de leur position que de leur principe, avaient voulu profiter de leur succès pour engrener la Révolution. Qu'ils sachent tous, néanmoins, qu'en rappelant ici leur timidité, je ne leur en fais aucun reproche, et puissent-ils euxmêmes n'en éprouver pas plus que moi de regret! Au lieu de présumer, comme d'autres, la volonté nationale, ils ont préféré l'attendre; leur premier acte a été de mettre en pratique la théorie qu'ils venaient de faire triompher, au risque d'en perdre bientôt, par l'incapacité de la multitude, tout le fruit : aucun blâme ne peut les frapper. Et si, en présence des faits qui ont suivi, on se prend à regretter, par moments, que des chefs populaires aient poussé aussi loin la foi politique, ces mêmes faits, nécessaires d'ailleurs à l'éducation nationale, ne font que relever davantage leur vertu.

Que signifiait cependant dans la bouche des hommes de février cette parole si vaste, adressée au peuple, Sois libre? quelles étaient les chaînes que nous avions à rompre, le joug qu'il fallait briser, l'oppression dont nous devions disperser les ressorts? sur quoi portait enfin cette effusion de liberté qu'on annonçait?

Car toute révolution est, par essence, négative: nous verrons même qu'elle ne peut ni ne doit être jamais que cela. Celle de 89, dans ce qu'elle a eu de décisif, de réel et d'acquis, n'a pas été autre chose. Y avait-il donc pour nous matière à négation, en février? restait-il quelque chose à abolir, ou bien n'avions-nous qu'à améliorer? Dans le premier cas, pourquoi cette abstention du Gouvernement provisoire? dans le second, pourquoi avoir chassé Louis-Philippe, et que signifiait la République? Ou les chefs de la Démocratie trahissaient, en gardant le statu quo, leur mandat; ou bien ils avaient agi sans mandat, et il ne fallait voir en eux que des usurpateurs : impossible, ce semble, d'échapper à ce dilemme.

C'est ici que commence le martyre des fondateurs de la Ré

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