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J'écris, afin que les autres réfléchissent à leur tour et, s'il y a lieu, qu'ils me contredisent. J'écris, afin que la vérité se manifestant, élaborée par l'opinion, la révolution, avec le gouvernement, sans le gouvernement, ou même contre le gouvernement, puisse s'accomplir. Quant aux hommes, je crois volontiers à leur bonne intention, mais encore plus à l'infortune de leur jugement. Il est dit, au livre des Psaumes: Ne mettez pas votre confiance dans les princes, dans les enfants d'Adam, c'est-à-dire dans ceux dont la pensée est subjective, parce que le salut n'est pas avec eux! Je crois donc, et pour notre malheur à tous, que l'idée révolutionnaire, mal définie dans l'esprit des masses, mal servie par ses vulgarisateurs, laisse encore au gouvernement l'option entière de sa politique; je crois que le pouvoir est entouré d'impossibilités qu'il ne voit pas, de contradictions qu'il ne sait point, de piéges que l'ignorance universelle lui dérobe; je crois que tout gouvernement peut durer, s'il veut, en affirmant sa raison historique, et se plaçant dans la direction des intérêts qu'il est appelé à servir, mais je crois aussi que les hommes ne changent guère, et que si Louis XVI, après avoir lancé la révolution, a voulu la retirer, si l'Empereur, si Charles X et Louis-Philippe ont mieux aimé se perdre que d'y donner suite, il est peu probable que ceux qui leur succéderont s'en fassent de sitôt, et spontanément, les promoteurs.

C'est pour cela que je me tiens en dehors du gouvernement, plus disposé à le plaindre qu'à lui faire la guerre, dévoué seulement à la patrie, et que je me rallie corps et âme à cette élite de travailleurs, tête du prolétariat et de la classe moyenne, parti du travail et du progrès, de la liberté et de l'idée, qui, comprenant que l'autorité n'est de rien, la spontanéité populaire d'aucune ressource; que la liberté qui n'agit point est perdue, et que les intérêts qui ont besoin pour se mettre en rapport d'un intermédiaire qui les représente sont des intérêts sacrifiés, accepte pour but et pour devise l'Éducation du peuple.

O patrie, patrie française, patrie des chantres de l'éternelle révolution! patrie de la liberté, car, malgré toutes tes servitudes, en aucun lieu de la terre, ni dans l'Europe, ni dans l'Amérique, l'esprit, qui est tout l'homme, n'est aussi libre que chez toi! patrie que j'aime de cet amour accumulé que le fils

grandissant porte à sa mère, que le père sent croître avec ses enfants! te verrai-je souffrir longtemps encore, souffrir non pour toi seule, mais pour le monde qui te paye de son envie et de ses outrages; souffrir innocente, pour cela seulement que tu ne te connais pas?... Il me semble à tout instant que tu es à ta dernière épreuve! Réveille-toi, mère : ni tes princes, tes barons et tes comtes ne peuvent plus rien pour ton salut, ni tes prélats ne sauraient te réconforter avec leurs bénédictions. Garde, si tu veux, le souvenir de ceux qui ont bien fait, va quelquefois prier sur leurs monuments: mais ne leur cherche point de successeurs. Ils sont finis! Commence ta nouvelle vie, ô la première des immortelles; montre-toi dans ta beauté, Vénus Uranie; répands tes parfums, fleur de l'humanité!

Et l'humanité sera rajeunie, et son unité sera créée par toi : car l'unité du genre humain, c'est l'unité de ma patrie, comme l'esprit du genre humain n'est que l'esprit de ma patrie.

LE DROIT AU TRAVAIL

ET

LE DROIT DE PROPRIÉTÉ

PROLOGUE

Il est deux points sur lesquels j'ai besoin d'édifier mes lecteurs et qui motivent cette publication :

1o Je n'ai pas pris la parole sur le droit au travail, lors de la discussion du préambule de la constitution, d'abord parce que le droit au travail, tel qu'il m'est donné de le comprendre, étant repoussé par tout le monde, par la gauche révolutionnaire comme par la droite conservatrice, je n'avais rien de mieux à faire que de garder le silence; en second lieu, parce que je voulais profiter de l'occasion pour en finir avec cette politique montagnarde, qui se dit républicaine et ne veut pas s'avouer socialiste, alors même que c'est par le socialisme et uniquement par le socialisme qu'elle définit la république.

J'étais accusé par la Montagne, je le suis encore, d'avoir perdu le droit au travail en posant devant l'Assemblée cette alternative décidée: Donnez-moi le droit au travail, et je vous abandonne la propriété. Je devais donc laisser le champ libre aux habiles et ne point compromettre le succès de leurs plaidoiries par quelque formule mal sonnante et intempestive. Le public a jugé leurs arguments. Sans doute il saute à l'esprit que le droit au travail, faisant seul la légitimité de la propriété, on ne peut garantir celui-ci sans garantir à plus forte raison celui-là : : sur ce terrain, qui est celui des principes, les orateurs du côté gauche ont eu facilement raison de leurs adversaires. Mais il fallait définir le droit au travail, en déterminer

l'application, passer de la théorie à la pratique, et l'on avouera que sur ce point les tacticiens de la Montagne, bien qu'ils protestassent de leur respect pour la propriété, n'ont rien dit de fort rassurant pour elle. En présence de la diversité et du péril des utopies, un vote négatif devenait inévitable. Pour faire une loi, il faut au moins deux choses: un principe, une définition. Les avocats du droit au travail n'avaient à donner que le premier. Quand la majorité bourgeoise n'aurait pas été sur ses gardes, elle n'eût pas fait autre chose que ce qu'elle a fait : pouvait-elle, sans une autre imprudence, dessaisir la propriété et s'aventurer dans l'inconnu!...

Non, il n'y a de droit au travail que par la transformation de la propriété, comme il n'y a de république digne de ce nom que la république démocratique et sociale. Le socialisme est nécessaire pour définir la république fondée en février. Si vous en ôtez le socialisme, votre république restera ce qu'ont été toutes les républiques, bourgeoise, féodale, individualiste, tendant au despotisme et à la reconstitution des castes, en un mot INSOCIALE. L'honorable Ledru-Rollin l'a dit au banquet anniversaire du 22 septembre: « La république doit être fondée sur des institutions sociales. >> Pourquoi donc n'avoir pas porté franchement le toast: A la république démocratique et sociale! alors qu'on était forcé d'avouer que la république sans le socialisme n'est pas la république ? Pourquoi ces réticences, qui mécontentent le peuple, sans nous faire mieux agréer des bourgeois?...

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2o J'avais proposé un amendement à l'article 13 du projet de constitution, lequel contient, selon moi, toute la question de travail. J'ai retiré cet amendement je vais en dire la raison. Comme j'avais à parler surtout de la nécessité de donner des garanties à la propriété, après en avoir donné de si puissantes au travail, et que, dans les dispositions où je voyais l'Assemblée, j'avais lieu de craindre qu'au lieu d'adopter mon amendement, elle ne rejetât tout l'article, j'ai cru qu'il valait mieux, dans l'intérêt de la révolution, engager irrévocablement le pays et laisser enferrer la propriété...

L'article 13 est donc sorti, presque sans discusion, de l'avalanche des amendements, qui se retiraient et se dérobaient aux éclats de rire de la majorité et aux regrets de la gauche semisocialiste ou pour mieux dire semi-républicaine. Et pourtant

l'adoption de l'article 13, tel que le proposait la commission de constitution, était tout ce que l'on pouvait souhaiter de mieux à la fois, et pour l'émancipation du travail et pour le châtiment de la propriété. Ce qui est voté est voté, et je défie qu'on en revienne.

Dût la constitution de 1848 ne durer pas plus que celle de 1793, ce qu'elle aura fait restera au moins comme préliminaire ; car, si la loi n'a point d'effet rétroactif, le législateur non plus ne rétrograde pas.

Maintenant il s'agit, en rétablissant les vrais principes, de montrer à tous la situation qui nous est faite par l'article 13. C'est dans ce but que je publie le discours que j'aurais lu à l'Assemblée nationale si, au moment de la discussion, je n'avais jugé plus utile de me taire.

La question du travail et de la propriété est plus brûlante que jamais, et s'il était possible de croire à une application sérieuse de la charte qui se vote en ce moment, j'ose le dire, à moins d'une institution pareille à elle que je propose et qui rétablisse l'équilibre entre les deux principes, ce serait fait de la propriété.

Mais, à cette heure de vertige et de dissolution spontanée où le pays, par la peur d'un inévitable avenir, est prêt à se rejeter dans un passé irrévocable; où l'on voit des ministres exprimer à la tribune leur désespoir de la république, comment croire à l'efficacité d'une constitution?

La meilleure constitution est de n'en avoir aucune... Et dès lors à quoi bon les amendements? Que la vieille société meure donc, puisque ses chefs le veulent, puisque ceux qui nous gouvernent ne se croient appelés que pour en prononcer l'oraison funèbre! Et que le peuple se sauve lui-même! J'écris pour l'acquit de ma conscience de publiciste, afin de marquer heure par heure le progrès de notre métamorphose: avis aux intéressés! Le monde, que la raison de l'homme devrait diriger, ne va plus qu'à la garde de Dieu: méfiez-vous !...

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