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ou, si on parle du produit probable, n'en pas énoncer un autre que celui que je suppose ici.

Ainsi donc, au lieu de 3 milliards, dont 1,500 millions pour le prétendu crédit réciproque, 1,500 millions pour l'État, il s'agit de 320 millions, c'est-à-dire de 160 millions, pour ranimer toute la production française, production agricole, manufacturière, commerciale, qui est peut-être de 8 ou 10 milliards en France, et qui s'obtient avec un capital immense, impossible à calculer, car c'est le capital national tout entier, et enfin 160 millions pour cet impôt nouveau, qui devait être, disait-on, de 1,500 millions, et qui devait fournir le moyen de supprimer ou de réduire l'impôt des 45 centimes, l'impôt hypothécaire, l'impôt sur les successions, l'impôt sur les patentes, l'impôt sur le sel, la viande, les boissons, etc., c'est-à-dire de remplacer peut-être 300 millions de contributions diverses, de fonder des comptoirs d'escomptes, des banques territoriales et de donner le signal de la production à toute l'industrie française, en lui garantissant le placement de ses produits, dans la proportion qu'ils atteignaient dans les temps de la plus grande prospérité! 160 millions pour remplacer plus de 300 millions d'impôts, et pour créer toutes ces merveilles, voilà comment, dans les nouvelles écoles économiques, on ajuste la fin et les moyens !

Je ne dis rien de la convenance qu'il y aurait à frapper maintenant les rentes d'une redevance, non pas du cinquième, mais du tiers, dans un moment où vous êtes obligés de vivre de votre crédit. Dans ces gigantesques remaniements de la société, on ne s'arrête pas à de telles considérations. Je n'envisage que l'ensemble, et vous pouvez apprécier d'un seul regard ce système de crédit réciproque et d'impôt nouveau, devant tout vivifier à la fois. Aussi, messieurs, votre comité des finances n'a-t-il pas pris au sérieux une telle conception, et s'il m'a prescrit de vous l'exposer avec quelque détail, ce qui semble donner à un tel projet plus d'importance qu'il ne conviendrait, c'est pour vous montrer avec quelle connaissance de la réalité des choses, avec quelle précision de calcul, certains réformateurs conçoivent et arrêtent leurs systèmes.

Du reste, votre comité des finances prend ce projet pour ce qu'il est. A ses yeux, ce n'est ni un système de crédit, ni un impót nouveau tendant à créer de vastes ressources; c'est tout

simplement, comme le premier jour où ce projet parut dans un journal suspendu, une attaque à la proprieté, attaque aussi audacieuse que dangereusement combinée. Ordinairement, c'est une proposition difficile, exposée à peu d'accueil, qu'une attaque avouée à la propriété; car, si, pour nous arracher telle ou telle proposition, on nous dit souvent que le peuple la veut, on peut dire avec plus de vérité, quand il s'agit de la propriété, qu'il y a en France dix millions de cultivateurs résolus à la défendre. Mais on a trouvé par le projet dont il s'agit, on a trouvé, nous le reconnaissons, un moyen qui n'est pas sans habileté. On sait qu'il y a des fermiers à qui le bas prix des denrées rend difficile l'acquittemont de leurs fermages, des locataires auxquels la suspension de tous les payements rend presque impossible l'acquittement de leurs loyers, des débiteurs qu'une interruption générale des affaires a placés dans un grand embarras pour payer l'intérêt de leurs dettes, et on a fait appel à toutes ces misères, à toutes les passions qu'elles pouvaient soulever.

On a trouvé pour tous ceux qui doivent ces fermages, ces loyers, ces intérêts, un moyen de ne pas les payer. Dénoncez votre dette, leur a-t-on dit, et on vous en remettra le tiers, et ce tiers sera moitié pour vous, moitié pour l'État, auquel il servira à détruire une foule d'impôts odieux. On a espéré mettre ainsi pour soi les fermiers, les locataires, les débiteurs; on a espéré mettre pour soi les cultivateurs, les patentables que l'impôt des 45 centimes écrase, et même les classes plus aisées, que l'impôt progressif sur les successions a profondément inquiétées. On ne pouvait pas, nous le reconnaissons, mieux appeler à soi les mauvaises passions, et plus habilement armer la proprieté contre elle-même. L'invention, nous le reconnaissons, est nouvelle; elle suppose une certaine fertilité d'esprit dont, à notre avis, il n'y a pas fort à s'honorer, et à cet égard, le projet, de puéril qu'il était sous le rapport financier, devient sérieux, habile même, mais en même temps digne d'une éclatante réprobation.

C'est cette réprobation dont votre comité des finances m'a chargé d'apporter ici l'énergique expression.

Le langage que nous avons employé est sévère sans doute; mais s'il y a des erreurs qu'il faut savoir plaindre et respecter, il y en a qu'il ne faut payer d'aucune indulgence. Que certains

philosophes à vues bornées, inspirés par une misanthropie qui se rencontre souvent chez des esprits mécontents de la société et d'eux-mêmes, méconnaissent les grandes vérités nécessaires aux hommes, mettent en doute Dieu, la famille, la propriété, substituent à ces idées profondes et éternelles, des idées fausses et funestes, cela s'est vu souvent, et cela ne mérite que compassion et respect; respect, entendons-nous, pour la liberté de l'esprit humain, qu'il faut respecter dans celui même qui se trompe, car en voulant arrêter Spinosa, on arrêterait Platon, Descartes et Newton. Mais que, sortant de leurs méditations chagrines et solitaires, ces mêmes esprits osent, dans des temps de guerre civile comme les nôtres, où les idées fausses font mouvoir des bras criminels, osent se servir de leurs erreurs comme d'un moyen d'excitation pour soulever la multitude égarée, alors c'est un devoir, tout en respectant la liberté chez ceux qui en usent si mal, d'en blâmer le déplorable usage avec tout l'éclat d'un jugement national.

Telle a été l'intention de votre comité des finances dans le rapport qu'il m'a chargé de vous présenter. J'espère que, dans l'intérêt de la société si profondément ébranlée, l'Assemblée nationale voudra bien s'y associer.

DISCOURS

PRONONCÉ A L'ASSEMBLÉE NATIONALE

LE 31 JULILET 1848

LE CITOYEN PRÉSIDENT. L'ordre du jour appelle la délibération de l'assemblée sur la suite à donner à la proposition du citoyen Proudhon.

Le citoyen Proudhon a la parole.

LE CITOYEN PROUDHON. Citoyens représentants, vous êtes impatients, non pas de m'entendre, mais d'en finir.

Le socialisme, depuis vingt ans, agite le peuple,

Le socialisme a fait la révolution de Février: vos querelles parlementaires n'auraient pas ébranlé les masses.

Le socialisme a figuré dans tous les actes de la révolution : au 17 mars, au 16 avril, au 15 mai.

Le socialisme siégeait au Luxembourg, pendant que la politique se traitait à l'Hôtel-de-Ville.

Les ateliers nationaux ont été la caricature du socialisme; mais, comme ils n'ont pas été de son fait, ils ne l'ont pas déshonoré.

C'est le socialisme qui a servi de bannière à la dernière insurrection; ceux qui l'ont préparée et ceux qui l'exploitent avaient besoin, pour entraîner l'ouvrier, de cette grande cause. C'est avec le socialisme que vous voulez en finir, en le forçant de s'expliquer à cette tribune.

Moi aussi, je veux en finir. Et puisque vous m'avez garanti la liberté de la parole, il ne tiendra pas à moi que nous en finissions avec le socialisme ou avec autre chose. (Rumeurs prolongées.)

J'avais écouté, avec l'attention qu'elles méritaient, les ob

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