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vains, artistes, que ceux-ci faire abstraction dans leurs travaux de la politique du gouvernement, l'initiative industrielle se transforme sans cesse en initiative politique, et convertisse fatalement l'autorité en an-archie?

On avait cru que pour refouler la terreur démocratique il fallait, par une concentration extrême du pouvoir, ôter au pays sa souveraineté, séquestrer les masses de la politique, interdire à tout écrivain, qui ne relèverait pas du ministère, de traiter de matières politiques. La suspension de la faculté politique, partout et toujours, la restauration de l'autorité : tel a été le mot d'ordre de la contre-révolution. Quel gouvernement serait possible, en effet, disaient-ils, avec le droit constitutionnel de discuter le gouvernement? Quelle religion pourrait subsister avec le libre examen? Que pourrait-il sortir d'assemblées tumultueuses, formées d'éléments aussi disparates?... Le 2 décembre n'a fait qu'appliquer, dans la mesure de ses moyens, cette puissante théorie, ignorant apparemment qu'en toute société le souverain ne légifère et le prince n'exécute que de l'abondance de l'opinion, et s'imaginant que le meilleur moyen de faire penser le cerveau, c'est de pratiquer la ligature des nerfs et de boucher les sens!

Or, admirez le résultat. Plus on s'efforce d'enchaîner la raison nationale, plus cette raison protestante réagit et déborde, prenant pour organes ceux-là mêmes qui avaient applaudi, avec le plus de fureur, à la répression de la parole et de la pensée.

De quoi s'entretiennent le plus volontiers messieurs les académiciens dans leurs discours solennels? de politique. Sans la politique, ils ne sauraient que dire, dans leurs conciliabules, la plupart du temps. Et nosseigneurs les évêques, si prompts à accuser l'esprit de révolte qui caractérise le siècle, que traitent-ils avec le plus de prédilection dans leurs mandements? la politique. Il est vrai que c'est pour le bien de la chose, et l'intention justifie tout, mais il ne tient qu'aux ouailles de réfléchir à leur tour sur les instructions de leurs pasteurs, et de voir quel intérêt immense, positif, l'Église a dans l'État. Et nos graves magistrats, comment se dédommagent-ils, dans leurs mercuriales, des longs et fastidieux ennuis de la judicature! en dissertant de politique. Eux aussi se croient obligés d'apporter au système le contingent de leurs observations! Pas

une observation donnée au peuple, avec l'assentiment de l'autorité, qui ne soit le développement d'un intérêt politique étranger à l'autorité elle-même. Bourgeois qui faisiez si bon marché du gouvernement, pourvu qu'il vous donnât l'ordre matériel, la sécurité de la rue, savez-vous pourquoi la confiance ne vous revient pas ? c'est que tous tant que vous êtes, et pour une infinité de raisons, toutes plus décisives les unes que les autres, vous ne pouvez vous empêcher de parler politique. La politique, en effet, dans cet ambigu où vous vivez depuis 1830, est l'alpha et l'oméga de toutes vos spéculations, de tous vos intérêts, de toutes vos idées. Ce n'est pas Robespierre ou Rousseau qui vous dit cela: c'est la nécessité des choses, l'économie inéluctable de la société. Pendant que vos hommes d'État font de l'art, vos affaires font de la raison; bon gré mal gré, vous êtes des hommes politiques; qui pis est, vous êtes de l'opposition. Hommes de lettres, vous vous proposez d'écrire l'histoire? prenez garde, ce sera un traité de politique. Économistes, vous examinez les sources de l'impôt, la composition du budget, le prix de revient d'un soldat, le morcellement de la propriété, l'influence de la protection sur la circulation, etc. vous aurez beau danser sur la corde raide des distinctions et jongler avec les mots, votre économie politique sera encore de la politique, toujours de la politique. Philosophes, vous cherchez les principes du droit, les conditions de la société et de la morale? politique. Industriel, commerçant, agriculteur, la nature de vos entreprises vous met en rapport permanent avec le domaine, la régie, l'administration, la douane, l'octroi tout cela est de la politique. Vous ne pouvez élever une réclamation, adresser une plainte, proposer une réforme, sans remuer les fondements de l'État, toucher les secrets de la police et de la diplomatie. Au bout d'une question de transit, il y a l'équilibre européen. Les sévérités de la loi ont réduit de moitié le travail de la librairie et de l'imprimerie: faites donc, quand la politique les empêche de vivre, que les imprimeurs ne s'occupent pas de politique! Vous êtes adjudicataire, concessionnaire, rentier de l'État ? qui plus que vous a l'obligation, partant le droit, de s'intéresser à la politique? Tant vaut le gouvernement, tant vaut votre inscription: ceci est l'a b c de la Bourse. Que des ouvriers s'associent pour l'exploitation en commun de leur industrie : le contrat qu'ils forment entre eux

ne vous semble relever que des codes civil et de commerce; la police, non sans raison, y découvrira une tendance politique. Qu'un particulier ouvre, pour les escomptes de ces ouvriers, un comptoir : Banque du Peuple! aussitôt visite domiciliaire, perquisition de papiers, apposition de scellés. Le prétendu comptoir est un centre politique.

Du haut de la société jusques en bas, tout ce qui se produit, se meut, se consomme, tient à l'action politique et peut être considéré comme une fonction du gouvernement. Chaque individu qui travaille, qui vend et qui achète, est, par un certain côté, représentant de l'État; il participe au gouvernement, qui ne peut rien sans son libre concours et son adhésion. Il serait étrange que dans un pays où, par le progrès des siècles, le gouvernement n'est plus en réalité que le rapport des intérêts, on eût la prétention d'exclure les intérêts du gouvernement, et de régir la nation à la manière de l'autocrate de Russie ou des sultans de Babylone.

Combien ils doivent se trouver empêchés, mortifiés, ces prétendus hommes d'État qui, sur la foi des jésuites, ont accepté pour moyen curatif et pris pour dogme, sous le nom d'AUTORITÉ, l'interdiction politique, de se voir à chaque heure, dans tous leurs actes, soumis au contrôle inévitable des intérêts, forcés de reculer devant lui, et cela à peine de non-confiance! Et comme ils doivent regretter cet âge d'or de l'autorité, où le travail étant peu ou point spécialisé, le commerce et l'industrie sans engrenage, la science nulle, la philosophie réputée démoniaque, chaque pauvre famille logée dans sa maisonnette et vivant du seul produit de son petit champ, du bois d'affouage et de l'herbe communale, le gouvernement, je veux dire l'Église, n'ayant pour toute politique que la dîme à lever et le superflu de la population à envoyer en Terre-Sainte, planait au-dessus des groupes obéissants comme la nuée sur le désert!...

Trève donc, s'il vous plaît, de vaines délicatesses et de faux scrupules! La politique, primée, subalternisée par l'économie, mais s'obstinant à garder une position distincte, supérieure, impossible voilà le secret de notre situation, et ce qui m'oblige, malgré toute la délicatesse du sujet, à faire en ce moment acte de politique... Ici la forme emporte le fond, et quand la maison brûle, ce n'est pas le cas de chercher si l'on est bien

ou mal avec le portier. Pendant trois ans une réaction imbécile a prêché la restauration de l'autorité, l'absorption des libertés individuelles dans l'État. Le pouvoir actuel n'est que le premier terme de cette enfilade contre-révolutionnaire, j'allais dire sa première dupe. D'autres feront le procès à l'auteur du coup d'État, raconteront les Mystères du 2 Décembre, diront les ordres impitoyables, la multitude des suspects, le nom des victimes. Pour moi à qui l'exil, et j'en remercie la prison qui m'a protégé de ses murailles, n'accorde pas de telles franchises, j'obéis à d'autres devoirs. Je ne laisserai point, sans exprimer auparavant mes réserves, s'ouvrir le testament mystique et olographe du 3 décembre, se préparer à l'étranger une restauration subreptice, ou bien encore s'organiser dans l'ombre un second essai de corruption constitutionnelle. Solidaire, bon gré mal gré, comme citoyen, comme écrivain, comme travailleur et chef de famille, des actes d'un pouvoir que je n'ai pas voulu; convaincu, du reste, que dans l'événement du 2 décembre il y a autre chose encore qu'un complot; n'ayant aucune garantie, tant s'en faut, ni que la démocratie, une vraie démocratie, revienne à temps aux affaires, ni qu'une autre révolution de palais nous fasse jouir d'un régime plus complet de liberté; ne me fiant à aucune notabilité, ni princière, ni populaire, du soin des intérêts généraux et des libertés publiques je reprends le cours de mes publications. J'use, en me conformant aux lois, de ce qui me reste d'initiative; j'adresse à mes concitoyens, et par eux au Président de la République, mes réflexions sur les causes qui ont amené les derniers événements, et sur les résultats que, selon moi, ils doivent produire; et j'adjure sans honte Louis-Napoléon d'aviser au plus tôt, car, en vérité, et pour lui-même et pour nous, j'ose dire qu'il y a urgence!

Pour lui, d'abord. On dit que, semblable à l'Empereur, il a foi en son étoile. Si telle est sa superstition, loin de l'en railler, je l'en félicite. Point ne faut de lunettes pour la découvrir, cette étoile, ni d'une table de logarithmes pour en calculer la marche. On l'aperçoit à l'œil nu, et tout le monde peut dire où elle va.

Le 24 février 1848, une révolution renversait la monarchie constitutionnelle, et la remplaçait par une démocratie; - le 2 décembre 1851, une autre révolution substitue à cette dé

mocratie une présidence décennale;

dans six mois peut-être

une troisième révolution chassera cette présidence, et rétablira sur ses ruines la monarchie légitime.

Quel est le secret de cette péripétie? les mêmes propositions, reproduites en d'autres termes, vont nous le révéler.

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Ce que n'a su comprendre Louis-Philippe, a perdu LouisPhilippe et amené la République ; ce que n'ont osé affirmer les républicains, a perdu les républicains, et décidé le succès de Louis-Napoléon ; - ce que ne saura procurer Louis-Napoléon, le perdra à son tour, et il en sera de même de ses successeurs autant il s'en présentera, à supposer que le pays consente à payer indéfiniment les frais de ces vocations infidèles.

Ainsi, depuis 1848, et je pourrais remonter bien plus haut, un sort est jeté sur les chefs politiques de la France: ce sort, c'est le problème du prolétariat, la substitution de l'économie à la politique, des intérêts à l'autorité, en un mot, l'idée sociale. C'est pour cela que la mission de Louis-Napoléon n'est pas autre que celle de Louis-Philippe et des républicains, et ceux qui viendront après lui n'en auront pas d'autre à leur tour. En politique, on n'est pas l'héritier d'un homme, on est le porteur d'une idée. Celui qui la réalise le mieux, c'est celui-là qui est l'héritier légitime.

Qu'importe donc que l'idée sociale ne soulève plus dans la presse d'irritants débats, qu'elle ait cessé de passionner la multitude, que le capitaliste se croie délivré du cauchemar, que les commissaires de Louis-Napoléon le félicitent dans leurs rapports d'avoir terrassé le monstre, comme ces médailles, frappées à l'effigie de je ne sais plus quel césar, le glorifiaient d'avoir aboli le nom chrétien, nomine christianorum deleto; qu'importe tout cela, dis-je, si, en croyant frapper le socialisme on n'a fait qu'en répercuter le venin; si la pensée qui errait à la surface a gagné déjà les parties nobles; si le pouvoir qui devait l'écraser n'exprime, en résultat, par le fait de son institution, par ses besoins, malgré ses protestations officielles et ses proscriptions officieuses, que le socialisme, l'absorption de la politique dans l'économie; si Louis-Napoléon, dans les plus importants de ses décrets, manifeste la tendance irrésistible qui le pousse à la révolution sociale?

Non, le socialisme n'est pas vaincu, puisqu'il n'est pas résolu; puisqu'il n'a rencontré jusqu'à présent que des injures

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