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époques, n'essayez pas de donner le change à la Révolution : ce serait mentir au Saint-Esprit. Toute chair est révoltée, et nous hait. Nous sommes haïs d'une haine endémique, invétérée, constitutionnelle; d'une haine qui se raisonne, et s'accroît chaque jour de l'intelligence de son principe et de notre opposition. Après la mort de Cambyse, les mages, successeurs de Zoroastre et représentants de l'antique religion arienne, espérant à la fois rétablir leur culte dans sa pureté et leur propre institut dans sa puissance, entrèrent dans la conspiration d'un certain Smerdis, qui se disait fils ou neveu du grand Cyrus, et en cette qualité régna quelque temps sur les Perses. Mais bientôt la réaction des mages souleva contre elle les grands et le peuple. Smerdis fut détrôné; tous les mages, tous, massacrés; et une fête, la plus grande fête des Perses, instituée en réjouissance perpétuelle de ce massacre, la Magophonia. Toute religion se fonde par le sang; toute religion disparaît dans le sang. Adorons les desseins de la Providence, et que les événements s'accomplissent! Bien pauvre serait notre foi, si nous la faisions dépendre du nombre des élus; bien faible notre espérance, si elle avait besoin de garanties temporelles; bien mesquine notre charité, s'il lui fallait pour aliment l'approbation des hommes! Le Christ est venu, le Christ se retire: qu'il soit glorifié à tout jamais par ceux qui, ne l'ayant pas vu, ont recueilli son amour, et qui attestent sa parole!...

Que la religion puisse ainsi se distinguer de l'humanité, comme l'entendait ce prêtre que ce soit celle-ci qui change, tandis que la première demeure immuable; ou bien que toutes deux confondant leur existence, la religion, de même que l'État, n'étant qu'une des formes de la société, le même mouvement les entraîne l'une et l'autre le résultat pour nous est absolument le même. Louis-Napoléon ne peut se séparer de la société dont il est le chef: donc Louis-Napoléon représente, au point de vue du catholicisme, l'impiété révolutionnaire, impiété qui n'est pas seulement celle d'une époque, mais qui date de six siècles. Quelle est cette impiété? le nivellement des classes, l'émancipation du prolétariat, le travail libre, la pensée libre; en un mot, la fin de toute autorité. Louis-Napoléon, chef du socialisme, c'est, pour l'Église, un antéchrist !...

Or, en politique, de même qu'en économie, on ne vit que de

ce que l'on est et que l'on crée : cet aphorisme est plus sûr que tous ceux de Machiavel. Que Louis-Napoléon prenne donc hardiment son titre fatal; qu'il arbore, à la place de la croix, l'emblème maçonnique, le niveau, l'équerre et l'aplomb: c'est le signe du moderne Constantin à qui la victoire est promise, in hoc signo vinces ! Que le 2 décembre, sortant de la fausse position que lui a faite la tactique des partis, produise, développe, organise, et sans retard, ce principe qui doit le faire vivre, l'antichristianisme, c'est-à-dire l'antithéocratie, l'anticapitalisme, l'antiféodalité; qu'il arrache à l'Église, à la vie inférieure, et qu'il crée en hommes ces prolétaires, grande armée du suffrage universel, baptisés enfants de Dieu et de l'Église, et qui manquent à la fois de science, de travail et de pain. Tel est son mandat, telle est sa force.

Faire des citoyens avec les serfs de la glèbe et de la machine; changer en sages des croyants ahuris; produire tout un peuple, avec la plus belle des races; puis, avec cette génération transformée, révolutionner l'Europe et le monde : ou je suis moimême aussi aliéné de la civilisation que le dieu chrétien, ou il y a de quoi satisfaire à l'ambition de dix Bonaparte.

VII

SEPT MOIS DE GOUVERNEMENT

J'ai dit ce qu'était le 2 décembre de par la nécessité des choses il reste à savoir ce qu'il prétend être de par sa volonté. J'appelle volonté, dans un gouvernement, non pas l'intention, qui s'entend exclusivement des personnes, et peut être présumée toujours bonne; mais la tendance, impersonnelle et collective, qu'accusent ses actes. Si despotique, en effet, que paraisse un gouvernement, ses actes sont toujours déterminés par les opinions et les intérêts qui se groupent autour de lui, qui le tiennent dans leur dépendance beaucoup plus qu'il ne les tient dans la sienne, et dont l'opposition, s'il essayait de les braver, amènerait infailliblement sa chute. Au fond, la souveraineté d'un seul n'existe nulle part.

Mais si la volonté, dans le pouvoir, est impersonnelle, elle n'existe cependant pas sans motifs; elle repose sur des considérations, vraies ou fausses, qui, adoptées par le gouvernement, et introduites dans l'histoire, y deviennent à leur tour, par l'entraînement des conséquences, une seconde nécessité. D'où il suit que pour tout gouvernement, dans lequel la volonté n'est point identique et adéquate à la raison d'être, il y a deux espèces de causes nécessitantes, les unes objectives, qui résultent de la donnée historique; les autres subjectives, et qui ont pour bases les considérations plus ou moins intéressées qui le gouvernent.

Historien impartial, dégagé de tout ressentiment de parti, j'ai constaté, à l'avantage du 2 décembre, la raison historique, objective et fatale de son existence. Je vais de même, sans malignité ni indiscrétion, en me tenant toujours dans la pure

philosophie, descendre dans l'âme de ce pouvoir, rechercher le secret de ses décisions, secret que lui-même, j'oserais presque l'affirmer, ne connaît pas. La polémique et la satire me sont interdites je n'en éprouve nul regret. Puissent à leur tour mes lecteurs confesser que je n'y ai rien perdu !

Quelle est donc la tendance du nouveau pouvoir, puisque c'est elle seule, après la chaîne des faits, qui importe à l'histoire, et qui compte en politique? Quelle est la raison secrète, spontanée, qui, à son insu peut-être, dirige l'Élysée? Tandis que sa signification historique lui assigne pour but la révolution, où le poussent, d'un commun effort, ses attractions et ses influences? où va-t-il, enfin?

A L'EMPIRE ! telle est la réponse uniforme. Et satisfaite d'une solution qui ne touche qu'à la superficie des choses, l'opinion s'arrête, attendant, avec plus d'inquiétude que de sympathie, cette manifestation impériale.

L'empire, il ne sert à rien de le nier, se laisse voir dans le train de maison, dans le style et l'étiquette de l'Élysée. Il apparaît dans la restauration des emblèmes, l'imitation du formulaire, la commémoration des idées, l'imitation des moyens, l'ambition plus ou moins déguisée du titre. Mais tout cela accuse plutôt un souvenir qu'un principe, une velléité qu'une spontanéité. Nous cherchons l'idée, on nous montre le symbole. L'empire serait proclamé demain, que je demanderais encore comment, et en vertu de quoi l'empire existe, d'autant plus que rétablir un nom, ce n'est pas refaire une chose. Que Louis-Napoléon se fasse couronner un 2 décembre, des mains du Pape, dans l'église Notre-Dame : il ne sera pas plus l'empereur que Charlemagne, acclamé en 800 par le peuple romain, ne fut césar. Entre Napoléon empereur et Louis-Napoléon président de la République, il s'est passé trop de choses pour que celui-ci devienne le continuateur pur et simple de celui-là. De même qu'il n'y eut rien de commun entre le premier et le second empire romain, il n'y aurait non plus rien de commun entre le premier et le second empire français, rien, dis-je, si ce n'est peut-être le despotisme or, c'est justement de ce despotisme que nous demanderions à voir, dans les conditions de l'époque, l'origine, la raison.

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Les impulsions auxquelles obéit le 2 décembre, qui constituent ce que j'appellerai sa raison ou volonté propre, par op

position à sa raison historique, ont toutes leur point de départ dans la manière dont il entend la délégation.

Pour lui, de même que pour le vulgaire, l'élu du peuple n'est point, comme le dictateur romain, l'organe de la nécessité du moment, enfermé dans un cercle de conditions historiques, économiques, stratégiques, etc., qui lui tracent son mandat. L'élu du peuple, dans la pensée de l'Élysée, est affranchi de toutes considérations circonstancielles; il agit dans l'indépendance absolue de ses inspirations. Il ne reçoit pas la loi des faits du dehors, il la produit du fond de sa prudence. Au lieu de chercher, comme nous l'avons fait, par une analyse infatigable, la nécessité de chaque jour, afin de la convertir en loi, et d'en procurer l'exécution, il se crée à lui-même un idéal, que chacun de ses actes a pour objet de réaliser ensuite, et qu'il applique, d'autorité, à la nation. C'est ainsi que l'Église catholique, en vertu de la mission qu'elle s'attribue d'en-haut, tend incessamment à ramener la société à son type, sans tenir aucun compte des données de l'économie, de la philosophie et de l'histoire. Telle est l'humanité selon la foi, dit-elle; rien en deçà, rien au delà. Le 2 décembre suit exactement la même conduite. Il se meut dans une sphère d'idées à lui; il gouverne d'après une certaine spontanéité de raison qui lui fait accepter ou rejeter l'enseignement des faits, suivant qu'il les juge conformes ou contraires à son propre dessein. Le 2 décembre, en un mot, se comporte avec le pays comme si le pays lui avait tenu ce langage : « J'ai été peu satisfait du système de la Restauration, de celui de Louis-Philippe, et j'ai peu profité de celui des républicains. Je vous charge maintenant d'appliquer le vôtre. Commandez, j'obéis. Ma confiance fait votre droit, ma liberté sera dans ma soumission. >>

C'est là ce que je nomme subjectivisme dans le pouvoir, par opposition à la loi OBJECTIVE, que révèle la génération des faits et la nécessité des choses. Le subjectivisme est commun à tous les partis, aux démocrates aussi bien qu'aux dynastiques; son action est plus intense dans notre pays que chez aucun autre peuple. C'est de lui que nous viennent cette manie des gouvernements forts, et ces réclames en faveur d'une autorité · qui, plus elle se cherche dans une pareille voie, moins elle parvient à s'atteindre.

Le premier fruit de la politique subjective, en effet, est de

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