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épurée des philofophes, les leçons de l'hiftoire, les méditations des vrais amis de la patrie & de la liberté, a fuccédé l'imbécille tyrannie de je ne fais quel galimathias révolu tionnaire & d'un catéchifme d'adages, prétendus populaires. On n'avoit pas encore vu un premier exemple de cette domination irréfiftible des efprits bornés, enflammés par des efprits faux & fubjuguant par le nombre des clameurs, ou par des fuperftitions politiques, l'enfeignement du génie & les réflexions de la fageffe. Et quel remede à cette maladie épidémique? Peut-on attaquer cette fievre brû lante avec des feuilles de papier? Il est moins aifé de furmonter les prétentions que les erreurs. Peuple françois, votre véritable force, la feule que vous puiffiez employer fans danger pour vous-même & pour l'état, fe trouve dans la faculté de conferver vos droits, & non dans celle de donner les loix & d'ailervir les autorités conftituées; rejettez les funeftes fuggeftions de vos ennemis, qui vous enfeignent que le peuple ne fe trompe jamais qu'il doit difpofer à difcrétion de tous les pouvoirs, & s'en attribuer le plus poffible, fous peine d'efclavage; que le plus grand nombre doit gouverner le petit ;, qu'il faut refpecter la loi, mais feulement lorfqu'elle flatte les caprices de la multitude, & lorfqu'elle carreffe fes paffions; c'eft avec de pareils précepteurs qu'on a vu des peuples, retenus par la nature de l'ancien gouvernement dans la plus épaiffe ignorance des vérités po

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fitiques, embraffer avec transport les premiers paradoxes que fes guides lui ont préfentés, paffer fubitement de leur précédente léthargie à la corruption de l'efprit, à la profonde perverfité du cœur. L'homme fenfé qui a dépofé fes idées fur le papier, eft affurément digne de nos respects; mais la vérité n'eft vérité, que lorfque fortant de la théorie, elle eft réduite en pratique : auparavant elle figure bien dans l'imagination, mais alors feulement elle a une phyfionomie & une existence.

Ce feroit ici le lieu d'examiner l'influence des écrivains fages fur le bonheur public, elle ne peut être un problême. Toute révolution heureufe eft due, foit aux lettres, foit à la philofophie. La voix des écrivains a opéré une foule de réformes utiles; c'est par la parole que la faine légiflation fe répand dans les états libres. Avec les armes du ridicule, les gensde-lettres ont combattu les barbaries confacrées, & ont fait fuir les fantômes fuperftitieux qu'on vouloit fubftituer à la majefté & à la fainteté de la religion. Er fans les hommes-de-lettres, qui auroit foutenu les droits de l'homme avec des couleurs auffi touchantes? Tantôt ils parlent à l'intelligence du législateur dans l'examen des loix, tantôt dans l'exercice des beauxarts le cœur humain, foupire devant les tableaux intéreffans que trace leur plume. L'homme qui écrit utilement eft aujourdihui un orateur public, qui parle à la fois à tous les i hommes de l'Europe entiere. On peut fe repréfenter aujourd'hui tous les êtres penfans

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comme formant un auditoire immenfe, tourjours prêt à livrer fon attention aux idées & aux découvertes nouvelles. Que l'écrivain fe pénetre donc de fon emploi fublime, par lequel il fait fur les efprits une impression fi vive & fi durable; qu'il médite bien ce qu'il doit dire aux hommes qui l'écoutent. Il n'a pas befoin, comme les orateurs de l'antiqui

de la déclamation & du gefte, il parle au loin; & fa voix, fi elle est conforme à la raifon & à la juftice, retentira dans la poftérité. L'écrivaillerie, difoit l'obfervateur Montaigne, eft le fymptôme d'un fiecle debordé. Mais auffi l'abondance des bons livres eft le fymptôme d'un fiecle fécond en lumieres & en vertus. Enfin, confidente de l'homme de bien, trompette du génie, vengereffe des peuples, officieufe informatrice des hommes en place, l'imprimerie a fes abus; mais elle n'en eft pas moins faite pour renouveller à propos les idées du genre humain.

Cédons encore au plaifir de mettre fous les yeux de nos lecteurs le morceau fuivant fur le légitime amour de la gloire. Mercier parle en homme infpiré par elle; un faint enthoufiafme l'embrafe, il fe profterne devant fon idée, tous les fiecles font en fa prefence, la postérité l'entend & le juge. Quelle fituation pour le génie ! C'eft alors qu'il prononce fes oracles & enfante fes prodiges.

,, Sans l'amour de la gloire, qui eft un fentiment qui nous conduit à la vertu, en même-teins qu'à la renommée, l'homme ex

place n'aura point le reffort néceffaire pour courir la carriere de l'héroïsme. Le contempteur de la gloire l'eft auffi des vertus qui y menent; celui qui fe diroit à lui-même que Feftime publique n'eft pas un bien, ajouteroit bientôt & fe perfuaderoit que le mépris public n'eft point un mal. Placez l'homme-d'état dans une de ces conjon@ures délicates où il doit s'immoler lui-même pour fauver fa vertu. C'est en fongeant aux jugemens de l'avenir qu'il ne balancera pas un feul inftant, & qu'il préférera l'honneur à fa vengeance; il faut attendre de grandes chofes de celui qui fe lie au fiecle futur, qui eft jaloux d'exifter dans le tems d'une maniere honorable, & qui veut transmettre un nom glorieux & fans tache aux générations fuivantes. Il fera foible & petit, fans énergie & fans grandeur l'homme qui borne fa vie au court efpace de la vie même, qui, femblable à la brute qui naît fans aïeux & meurt fans poftérité, confent à terminer fon exiftence dans l'intervalle placé entre fa naiffance & fa mort. "

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Des critiques, admirateurs outrés des anciens, & détracteurs injuftes des vivans, ont voulu ternir la réputation littéraire de Merciér, en trouvant des taches jufqucs dans fes beautés même; ils appelloient gigantefque & bourfoufflé ce qui étoit fublime, obfcur ce qui étoit profond; ils penfoient que son style philofophique n'étoit propre qu'à corrompre le goût. Ils lui ont reproché la paffion du Béologifme, des phrafes ambitieuses, du jar

gon moderne. Sans doute je ne proposerai point Mercier pour modele de goût, & je fervirois mal fa gloire, en le faifant. Je ferai même affez jufte pour convenir qu'il pour roit être dangereux entre des mains inexpérimentées: il déclame quelquefois; quelquefois il donne des fophifmes pour des raifonnemens; mais fi, fa logique n'eft pas toujours fûre, fa morale eft toujours faine; & fi les fouligneurs de profeflion ne lui accordent aucun mérite, c'eft ignorance ou mauvaise foi. Qu'y a-t-il à reprendre dans ce que je viens de rapporter de fon livre? Eloquence forte & animée, couleurs vives & tranchantes, images vraies, apoftrophes hardies, chaleur qui pénetre l'ame, vérités palpables, courage fou tenu, ftyle nourri & nerveux, expreffions juftes, j'y trouve tout ce qui caractérise l'orateur,

J'ajouterai ici quelques idées connues fur la gloire. Quoique j'attache beaucoup de prix & de mérite au morceau de Mercier, il n'a pas tout dit fur ce grand fujet. Puifque la la gloire eft de tous les pays, parlons un peu d'un reffort jadis fi puiffant pour élever les ames. On a beaucoup déclamé contre la gloire; cela eft naturel il eft beaucoup plus aifé d'en dire du mal que de la mériter. Tacite étoit plus ingénu. Il convenoit que c'étoit la derniere paffion du fage, & apparemment la fienne. Il y a des hommes qui fe vantent de la méprifer, & pour qu'on n'en doute pas, ils le répetent; c'eft une raifon de plus pour ne les point croire: Chacun en fecret'y pré

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