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» et ne trouveront plus de main charitable

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pour les essuyer? Dieu vous jugera, mes » frères, et, devant son tribunal terrible, vos >> richesses s'élèveront contre vous, et se plain» dront que vous les avez fait servir à la vanité » et à la volupté ». Comment pourroit-on peindre des larmes qui cherchent un asile dans des œuvres, des richesses qui se plaignent à Dieu de l'usage qu'on a fait d'elles? Si l'on vouloit distraire des critiques de Voltaire toutes celles qui sont fondées, ou sur ce faux principe, ou sur des systèmes erronés, on én réduiroit considérablement le nombre. On doit cependant observer que, sur-tout dans le commencement de son travail, Voltaire fait sentir des beautés que jusqu'alors on n'avoit pas assez remarquées. Mais on voit avec regret que les plus grands éloges portent presque toujours le caractère d'une justice péniblement rendue. En écartant toute idée de jalousie du côté de Voltaire, ne doit-on pas, comme je l'ai déja fait entendre, attribuer cette sévérité souvent amère et injuste, à l'extrême différence du génie des deux poëtes, l'un soumettant tout aux règles du raisonnement, l'autre se livrant sans réserve à une imagination qui l'égare quel quefois ?

J'ai cherché à donner une idée juste du talent de Corneille, et de l'influence qu'il a eue sur les premières années du siècle de Louis xiv. Je n'ai pas dissimulé ses défauts, mais j'ai cru devoir distinguer ceux dont il ne pouvoit se garantir, de ceux auxquels il a été entraîné par son goût pour des auteurs qu'il a surpassés.

Pendant que Corneille donnoit Attila, Pulchérie et Suréna, Racine faisoit représenter ses chefs-d'œuvres. Quoique Pascal ait fait paroître les Lettres provinciales avant les premières tragédies de Racine, je n'en parlerai que lorsque je m'occuperai des prosateurs, qui, autant que les poëtes, ont illustré le grand siècle de notre littérature. Il m'a semblé que je devois sacrifier ici l'ordre chronologique à la clarté et à la méthode; et séparer, en conséquence, nos chefsd'œuvres de poésie de nos chefs-d'œuvres en prose. Je vais donc commencer par passer en revue tous les grands poëtes qui ont fleuri sous le règne de Louis xiv.

Racine perfectionna la langue poétique, mais ce ne fut pas sans effort. On remarque que dans ses deux premières tragédies, il luttoit avec peine contre le vieux langage, et qu'il ne put s'empêcher d'employer quelques expressions et quelques tournures de phrase qu'il a ensuite

cru devoir bannir de la langue. On n'a pas encore examiné et suivi la gradation qui l'a conduit insensiblement à l'élégance et à la pureté qu'il a portées à un aussi haut degré. Cet examen entre nécessairement dans mon sujet, et je vais essayer, en prenant pour objet de mes observations, la tragédie des Frères ennemis, d'indiquer un petit nombre de mots et de tours qui ont disparu de notre langue poétique. J'indiquerai aussi quelques-unes de ces beautés du premier ordre qui annonçoient l'auteur de Phèdre et d'Athalie.

Jocaste dit à Olympe :

Que l'on coure avertir et héter la princesse.

Le mot hater n'est plus admis dans cette acception; on dit : je me hâte, mais on ne peut dire je hâte quelqu'un.

Antigone dit à Créon :

Et l'amour du pays nous cache une autre flamme;
Je le sais, mais, Créon, j'en abhorre le cours.

J'abhorre le cours d'une flamme, est une tournure négligée; elle se retrouve plusieurs fois dans cette tragédie.

Créon dit :

Le trône fit toujours mes ardeurs les plus chères.

Ardeur, au pluriel, n'est plus en usage: faire mes ardeurs est incorrect; ce tour a été employé quelquefois par Corneille.

Etéocle dit en parlant de Polynice :

J'aurois même regret qu'il me quittát l'empire.

Quitter ne peut plus être employé pour céder. A l'époque où écrivoit Racine, quitter, dans cette acception, avoit plus de force que céder. Il exprimoit une cession faite avec regret. Créon répond à Etéocle:

Je serai le premier à reprendre les armes,
Et si je demandois qu'on en rompit le cours,

Je demande encor plus que vous régniez toujours..

J'ai déja relevé cette expression. Ici, la négligence est plus marquée. On pourroit, à toute force dire le cours d'une flamme, mais jamais le cours des armes.

Polynice dit à Jocaste :

D'un éclat si honteux je rougirois dans l'âme.

Cette expression a été bannie de la tragédie par Racine, comme peu noble. Elle se retrouve dans le récit du coinbat des deux frères :

Mon fils qui de douleur en soupiroit dans l'âme.

Racine n'avoit pas encore aequis le talent d'asservir la rime, et d'éloigner les mots parasites qui affoiblissent les vers.

On éprouve une contrainte pénible, lorsqu'on cherche à relever quelques fautes dans Racine, quoiqu'elles tiennent au temps où il écrivit les Frères ennemis, quoiqu'on ne hasarde la critique que sur son premier essai. Je me bornerai donc aux citations que je viens de faire. Elles me semblent suffire pour donner une idée de l'état où étoit la langue poétique à cette époque.

Il me reste à rappeler les morceaux où Racine donna des espérances qu'il justifia si bien par la suite. On croit voir un passage d'Andromaque, lorsqu'on lit les vers aussi tendres qu'élégans du rôle d'Antigone, quand elle parle de son amitié pour Polynice.

Nous nous aimions tous deux dès la plus tendre enfance,
Et j'avois sur son cœur une entière puissance.
Je trouvois à lui plaire une extrême douceur,

Et les chagrins du frère étoient ceux de la sœur.

La haine d'Etéocle pour son frère est peinte avec une force dont jusqu'alors on n'avoit vu des exemples que dans Corneille. Les vers ont une précision rigoureuse; on n'y remar

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