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que aucune expression vieillie, aucun mot parasite.

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Je ne sais si mon cœur s'appaisera jamais,

Ce n'est pas son orgueil, c'est lui seul que je hais.

Nous avons l'un et l'autre une haine obstinée;

Elle n'est pas, Créon, l'ouvrage d'une année;
Elle est née avec nous; et sa noire fureur,
Aussitôt que la vie, entra dans notre cœur :
Nous étions ennemis dès la plus tendre enfance;
Que dis-je? nous l'étions avant notre naissance;
Triste et fatal effet d'un
sang incestueux !

Tandis qu'un même sein nous enfermoit tous deux,
Dans le flanc de ma mère, une guerre intestine
De nos divisions nous marqua l'origine.

Elles ont,

tu le sais, paru dans le berceau,
Et nous suivront peut-être encor dans le tombeau.
On diroit que le ciel, par un arrêt funeste,

Voulut de nos parens punir ainsi l'inceste

Et que de notre sang

il voulut mettre au jour Tout ce qu'ont de plus noir et la haine et l'amour.

« Une pièce, dit le fils du grand Racine, où » la haine est représentée avec des couleurs si fortes et si vraies, annonçoit un peintre des » passions >>.

On pourroit offrir encore à l'admiration des lecteurs la scène des deux frères, en présence de Jocaste. Son étendue ne me permet pas la citer. Le récit du combat, qui est regardé

de

comme un des plus beaux morceaux de poésie descriptive, a été composé quelque temps après les premières représentations des Frères ennemis. Racine, par une modestie rare dans un jeune poëte, s'étoit servi d'un récit qui se trouve dans l'Antigone de Rotrou, et qui avoit alors une grande réputation. Le morceau que Racine substitua depuis aux vers de Rotrou, ne doit donc pas être examiné sous le même point de vue que le reste de la pièce.

On remarque des progrès dans Alexandre. Le rôle de Porus annonçoit un grand maître : mais Racine ne donna une idée juste de la perfection à laquelle il devoit arriver que dans Andromaque, qui eut le même succès que le

Cid.

Rappellerai-je des vers qui sont gravés dans la mémoire de tous ceux qui ont quelque goût pour les lettres françoises? Examinerai-je avec un soin minutieux des tragédies qui, depuis un siècle, ont épuisé l'admiration des lecteurs et des commentateurs ?«< Racine a tout fait, » disoit Voltaire, il n'y a qu'à écrire au bas » de chaque page: Beau, pathétique, harmo» nieux, sublime »>!

En effet, il est impossible de faire sentir cette pureté soutenue dans le style, cette raison

supérieure qui préside à toutes les pensées, cette convenance parfaite du langage de tous

les

personnages que peint le poëté, cet heureux choix de mots qui semblent réunis sans effort, cette harmonie continuelle et variée qui fait disparoître la monotonie de nos alexandrins, et qui produit sur toutes les oreilles délicates l'effet d'une musique enchanteresse. On doit lire Racine, si l'on veut se former une idée de son génie. Les observations littéraires ne sont utiles que lorsqu'un poëte présente des défauts mêlés à des beautés. Elles peuvent préserver les jeunes gens d'une admiration aveugle pour idées fausses ou pour de mauvaises alliances de mots. Dans Racine, elles seroient superflues, et l'on peut tout admirer sans craindre de compromettre son goût.

des

Je crois devoir répondre à quelques critiques qui ont été faites dans le dix-huitième siècle par les admirateurs outrés de Voltaire. On a prétendu que Racine n'avoit su peindre que des Juifs, et que le coloris local manquoit à ses autres pièces (1).

(1) M. Saint-Lambert, dans la note de ce vers des Saisons, où il désigne ainsi Voltaire :

Vainqueur des deux rivaux qui régnoient sur la scène.

En commençant par Andromaque, je ferai observer que le personnage d'Oreste répond parfaitement à l'idée que les anciens nous en ont laissée. Malheureux dans tout ce qu'il entreprend, il paroît frappé de cette fatalité terrible qui l'entraîne malgré lui au crime. C'est lui qui porte à la cour d'Epire l'infortune qui le suit constamment. A son aspect, la paix est bannie, les passions les plus violentes sont excitées, et une catastrophe affreuse se prépare. Le rôle d'Andromaque renferme peut-être le tableau le plus pur des mœurs des anciens. Aucun ornement moderne ne dépare le caractère de la veuve d'Hector et de la mère d'Astianax. Hermione est telle que doit être la fille de Ménélas. Elle a toute la fierté de la famille des Atrides. On lui a reproché un peu de coquetterie, mais on n'a pas remarqué que les emportemens, les artifices, le dépit d'une femme outragée, ne tiennent ni aux temps, ni même aux mœurs. S'est-on jamais avisé de relever dans Homère la coquetterie d'Hélène? On a donc mal-àpropos critiqué, dans la tragédie d'Andromaque, un des caractères les plus vrais que Racine ait tracés.

Britannicus mérite-t-il le reproche de n'avoir point de coloris local ? Il faut être de bien mau

vaise foi, pour oublier que, dans cette tragédie admirable, Racine a su faire passer dans notre langue poétique les traits les plus frappans et les plus profonds de Tacite. Néron, entre le vice et la vertu, désignés par les caractères de Narcisse et de Burrhus; dégoûté d'une épouse dont la constance le fatigue, se familiarisant avec le crime par les exemples récens du règne de Claude; Agrippine, toujours dévorée d'ambition, voyant son crédit se perdre à la cour d'un fils pour lequel elle a tout sacrifié ; Burrhus, cherchant à la calmer, défendant par une politique sage le prince dont il désapprouve en secret les actions, et s'exposant à une disgrâce par les vertueuses remontrances qu'il ose faire à son empereur; Britannicus enfin, n'opposant que la franchise imprudente d'un jeune homme aux artifices d'une cour corrompue : toutes ces combinaisons dramatiques, rendues plus belles et plus frappantes par un style constamment assorti aux mœurs, aux caractères et aux situations, ne sont-elles pas des modèles où l'on remarque toutes les ressources que la tragédie peut puiser dans l'histoire ?

Tout le monde convient que, dans Bajazet, le rôle d'Acomat est un chef-d'oeuvre. On n'a

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