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de recherche. Les lettres et les poésies de Voiture avoient fait une espèce de révolution dans le langage familier. On avoit outré les défauts de cet auteur, à qui l'on avoit accordé une trop grande réputation. On ne savoit rien exprimer d'une manière naturelle; on avoit banni une multitude de mots qui servent à exprimer nos idées habituelles ; et l'on ; y avoit substitué des termes pompeux qui contrastoient d'une manière singulière, avec les objets dont on vouloit parler. Dans la galanterie, le langage étoit encore plus vicieux. Les romans de mademoiselle Scudéri, qui avoient alors un grand succès, avoient entièrement gâté ce langage, auquel nous avons donné depuis tant de grâce et de délicatesse. La naïveté de Marot eût été préférable à ce jargon inintelligible. Il falloit, pour détruire cet abus du bel-esprit, qu'il parût un homme dont le génie acquît assez d'empire son siècle pour livrer à un ridicule ineffaçable ces vaines recherches d'expressions, et ces subtilités métaphysiques qui avoient tant de partisans. Molière opéra ce changement en donnant les Précieuses ridicules. Pour avoir une idée de la difficulté qu'il dut éprouver, il faut se souvenir qu'à cette époque, le nom de précieuse étoit un titre honorable pour une femme,

nage

et que madame de Sévigné et madame de la Fayette, dont l'esprit étoit si naturel et si éloigné de toute affectation, avoient été citées avec éloge dans un Dictionnaire des Précieuses. Aussi Molière eut-il soin d'appeler sa comédie les Précieuses ridicules, et proteste-t-il, dans sa préface, qu'il n'a pas voulu attaquer les véritables Précieuses. Cette pièce fit tomber absolument le faux bel-esprit de l'hôtel de Rambouillet. Mélui-même s'avoua vaincu. On doit remarquer que la comédie, qui débarrassa la langue françoise du fatras pédantesque dont elle étoit surchargée, fut un des premiers essais de Molière. Quels chefs-d'œuvres ne promettoit pas un tel ouvrage! Dans plusieurs de ses autres pièces, il suivit toujours le même projet de corriger la langue et d'épurer le goût. Il fit abandonner aux médecins l'habitude du langage scientifique qui n'étoit pas à la portée de leurs malades; il contribua à former cette manière noble et simple de s'exprimer qui convient aux hommes de la cour; enfin il fit perdre à la bourgeoisie une certaine grossièreté qu'elle avoit conservée, malgré les prodiges de tous les arts offerts à ses yeux, et une crédulité aveugle qui la livroit à tous les fourbes qui cherchoient à la tromper. Dans une comédie-ballet, à laquelle il n'attachoit

presqu'aucune importance, on le voit persister dans le même dessein. Le Mariage forcé offre deux philosophes, l'un sceptique, l'autre partisan d'Aristote, qui étalent tout le jargon des anciennes écoles, et qui en font sentir le ridicule. Le langage mystique est imité dans Tartuffe avec une vérité qui étonne dans un homme qui devoit peu fréquenter les dévots. Mais c'est dans le premier acte de sa comédie du Misantrope, et dans les Femmes savantes, qu'il se montra encore plus le défenseur du bon goût. A la première représentation du Misantrope, le parterre fut un moment à balancer s'il trouveroit bon ou mauvais le sonnet d'Oronte. Cela prouve combien la majorité du public étoit encore séduite par le faux goût. L'excellent esprit de Molière se montre dans la critique qu'il fait faire par Alceste. Ce grand observateur avoit senti que toute pensée fausse ne pouvoit être bien exprimée :

Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon naturel et de la vérité;

Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est pas ainsi que parle la nature.

Je ne quitterai point cette admirable pièce, sans rappeler que jamais meilleur ton ne fut in

troduit sur le théâtre. Le ridicule y est noble, si je puis m'exprimer ainsi; et c'est peut-être l'effort le plus extraordinaire qu'ait fait le créateur de la comédie françoise. Le fougueux Alceste, le prudent Philinte, la coquette Célimène, la douce Éliante, la prude Arsinoé, le pédant Oronte, les deux marquis, forment, par leurs caractères, les contrastes les plus piquans; il résulte de leur rapprochement les scènes les plus comiques et les plus spirituelles; enfin ils composent cet ensemble heureux et inimitable qu'on ne se lassera jamais d'admirer. Les Femmes savantes montrèrent le ridicule des bourgeoises qui veulent cultiver les lettres et les sciences, et qui sacrifient leurs devoirs et les grâces de leur sexe à un vain pédantisme. Les caractères d'Armande et d'Henriette développent parfaitement cette idée. Le public avoit fait trop de progrès dans le langage, depuis le Misantrope, pourque Molière se crût obligé de faire faire la critique des deux pièces de vers de Trissotin. Au contraire, les éloges dont on accable ce mauvais poëte, servent à faire apercevoir tous ses défauts. Il faut remarquer que, dans cette pièce, Molière présente un homme de la cour qui, par son langage élégant et simple, fait ressortir les phrases pédantesques de Trissotin et de Vadius.

Je ne ferai point observer les beautés théâtrales des pièces de Molière ; je ne parlerai point du rôle inimitable d'Agnès, du personnage aussi passionné que comique d'Arnolphe, du second acte de l'Ecole des maris, où toutes les ressources de la comédie sont déployées ; je n'analyserai point le caractère de l'Avare, si supérieur à celui de Plaute; je ne ferai point remarquer que tous les personnages qui entourent Harpagon, et une multitude de circonstances telles qu'un jour de fête, des projets de mariage, un repas à donner, etc. contribuent à rendre plus forte et plus dramatique la situation de l'Avare; je ne m'étendrai pas sur le Tartuffe, où se trouve l'intrigue la plus savante que Molière ait conçue ; je n'examinerai point le Bourgeois gentilhomme, le Malade imaginaire, et cette foule de petites pièces où l'on trouve toujours ce profond talent d'observation, et ce comique plein de force, qui n'ont jamais appartenu qu'à Molière.

Obligé de multiplier ses pièces pour un théâtre dont il étoit directeur, il négligea quelquefois son style. Quelques grands esprits de son temps, et principalement Boileau et Fénélon, lui en firent le reproche. On trouve sur-tout dans ses premières pièces quelques mots vieillis,

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