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Furent étranglés en dormant.

Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent,

Tout fut mis en morceaux, un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchans

guerre

La paix est fort bonne de soi,

continuelle.

J'en conviens; mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi!

Cette fable est remarquable par sa moralité. Ordinairement La Fontaine ne prescrit que des vertus douces ; il montre le bonheur dans une ; sorte d'insouciance. Il paroît ici sortir de son caractère, en voulant qu'on fasse aux méchans une guerre continuelle.

Le style de cette fable est plein de charme et d'ingénuité : elle commence d'un ton pompeux; c'est un moyen que La Fontaine employoit souvent, et qui donne aux sujets qu'il traite une importance comique très-agréable. C'est ainsi qu'il parle, dans d'autres fables, du Blocus de Ratopolis, de la Guerre de Troie, en peignant deux taureaux amoureux, de la propriété du premier occupant, à l'occasion d'un lapin et d'une belette : la paix étoit nécessaire aux deux partis :

Car si les loups mangeoient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisoient maints habits.

Peut-on rendre, avec plus de raison et d'une manière plus précise, une idée qui sembloit demander des développemens? Remarquez en outre que la tournure est pleine d'originalité et de comique.

La paix se conclut, on donne des otages, l'échange est fait, il est réglé par des commissaires. Voilà encore des exemples de cette importance donnée adroitement à de petits sujets. Messieurs les bergers, sur la foi des traités, n'étoient point dans la bergerie; les louveteaux, devenus grands, saisissent cette occasion pour emporter la moitié des agneaux les plus gras. Messieurs les chiens, encore plus confians que les bergers, sont étranglés en dormant :

Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent.

Ce récit est admirable. Quelle grâce et quelle simplicité dans le dernier vers! Je dois faire observer deux légères taches dans le style de cette fable:

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Carnage ne se dit qu'au singulier. Reposoient sûrement. Sûrement n'est point le synonyme de en sûreté.

En général le style de La Fontaine présente quelques-unes de ces petites incorrections. Il a

aussi pris dans Marot et dans Rabelais plusieurs mots qui ne sont plus d'usage. J'en citerai quelques-uns: alléché pour attiré, hère pour décharné; ce mot est substantif, il ne se dit qu'avec une épithète : un pauvre hère; testonner pour ajuster une tête, biens prévenus pour biens anticipés par notre imagination, grègues pour chausses, gaster pour estomac, chère-lie pour grande chère, etc.

Depuis long-temps on a l'habitude de faire apprendre aux enfans les fables de La Fontaine. Cette méthode, blâmée par J. J. Rousseau, a ses avantages et ses inconvéniens. Les enfans peuvent puiser dans une grande partie de ces fables, les premiers principes de la morale et de la société ; ils peuvent aussi, comme le dit La Fontaine dans sa préface, y apprendre à connoître les propriétés des animaux et leurs divers caractères. Mais d'un autre côté, n'estil pas à craindre qu'ils n'y puisent des connoissances dangereuses pour leur âge ? Il me semble donc qu'on devroit faire pour l'éducation, un choix judicieux des fables de La Fontaine. On auroit soin aussi de faire remarquer aux enfans les mots vieillis, afin qu'ils ne les adoptent pas, et que jamais ils ne les emploient, ni quand ils parlent, ni quand ils écrivent.

Les contes de La Fontaine ont quelques-unes des beautés des fables, mais les défauts y sont en plus grand nombre. Sans parlr des tableaux licencieux, et presque tous uniformes, dont ils sont remplis, j'observerai que l'incorrection et les mauvaises tournures de phrase en rendent la lecture difficile pour ceux qui ont du goût, et dangereuse pour ceux qui n'en ont point. Les poésies diverses de La Fontaine sont foibles on n'y remarque que son élégie sur la disgrâce de Fouquet, qui est un modèle dans ce genre. Son roman de Psyché a le mérite du naturel et de l'invention. Sa comédie du Florentin est restée, non à cause du plan qui est vicieux, mais à cause des détails de style.

:

Chaulieu donna le premier l'idée de l'aisance et de la légèreté qui doivent caractériser les pièces fugitives. Les progrès du goût avoient fait oublier celles de Voiture, parmi lesquelles on ne trouve qu'une épître qui ait de la grâce et du naturel; ce sont des vers au grand Condé, qui finissent ainsi :

Croyez-moi, c'est bien peu de chose

Qu'un demi-dieu quand il est mort.

La Fare, dans sa vieillesse, avoit excellé dans ce genre. Chapelle avoit mêlé heureusement

les vers à la prose dans son Voyage avec Bachaumont. La description du château de NotreDame-de-la-Garde, dont Scudéry étoit gouverneur, est pleine de gaîté. J'ai déja dit que Chapelle n'étoit pas l'inventeur des poésies à rimes redoublées. Madame Deshoulières acquit beaucoup de réputation par ses poésies amoureuses, et sur-tout par ses idylles. Celle des moutons a été si souvent citée et analysée, queje ne la rapporterai pas ici. Pour donner une idée de son talent poétique, je me bornerai à transcrire un madrigal, où la délicatesse du sentiment me paroît unie à l'élégance de l'expression:

Le cœur tout dévoré par un secret martyre,
Je ne demande point, Amour,

Que sous ton tyrannique empire,
L'insensible Tircis s'engage quelque jour.

Pour punir son âme orgueilleuse,

De l'immortel affront qu'il fait à mes attraits,
N'arme point contre lui ta main victorieuse.
Sa tendresse pour moi seroit plus dangereuse
Que tous les maux que tu me fais.

Parmi les poëtes qui, sans s'être distingués par des chefs-d'œuvres, ont fait des ouvrages très - estimables, on doit distinguer Thomas Corneille. Ses tragédies d'Ariadne et du Comte d'Essex se sont soutenues malgré les critiques

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