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siècle : on y remarque sur-tout cette sorte de trait dont j'ai déja parlé. On peut reprocher avec justice à la Rochefoucauld, d'ailleurs si estimable par les vertus qu'il déploya dans ses dernières années, d'avoir affoibli l'enthousiasme que doivent inspirer les grandes actions, d'avoir trop réussi à étouffer dans l'homme les nobles sentimens de l'amitié, du courage et de la générosité; d'avoir enfin développé les premiers germes du systême de l'intérêt personnel, dont Helvétius a tant abusé dans le siècle suivant.

Dans la revue des écrivains du grand siècle, on ne doit point oublier madame de Sévigné, qui devint auteur classique sans le savoir. Ce n'est pas dans un extrait qu'on pourroit faire connoître ce mélange d'aisance, d'abandon, de grandes idées, ce naturel dans les tableaux et dans les récits, cette variété charmante des objets dont s'occupe une femme qui nous fait partager, pour quelques momens, ses passions, ses goûts, ses souvenirs, et même ses préjugés. Le respectable abbé de Vauxcelles, que la mort vient d'enlever aux lettres (1), caractérise trèsbien le style de madame de Sévigné. « Cette plume, dit il, devint la plus infatigable, la

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(1) En 1803.

» plus soutenue, la plus la plus simple, la plus bril» lante, la plus variée, la plus semblable à elle» même, dont on ait jamais recueilli les lettres». On a reproché à madame de Sévigné ses jugemens sur Racine; mais on n'a mais on n'a pas observé qu'elle n'avoit aucune prétention à être femme de lettres, et qu'elle ne jugeoit l'auteur de Bajazet que d'après des craintes excusables, quoique peu fondées, sur la conduite d'un fils chéri. Je ne quitterai point les moralistes, parmi lesquels j'ai cru devoir placer madame de Sévigné, sans faire mention de madame de Lafayette, qui, la première, abandonna les traces de la Calprenède et de mademoiselle Scudéri, pour donner au style du roman le naturel et les grâces qui lui conviennent.

Le siècle de Louis XIV produisit quatre historiens célèbres, Mézerai, le Père Daniel, Vertot et Saint-Réal. Le premier mérita un grand succès, par de profondes connoissances politi ques, et par un style précis et nerveux. Lié dans sa jeunesse avec Richelieu, lorsque celui-ci fut nommé orateur du clergé aux états de 1514, il fut à portée d'étudier nos usages, nos mœurs, nos lois, et notre ancienne constitution. Les ouvrages de Mézcrai se ressentirent des études qu'il avoit faites. On n'avoit pas encore vuun ta

bleau aussi fidèle et aussi complet des événemens qui composent notre histoire. Le style de cet auteur, qui écrivit dans le commencement du règne de Louis XIV, a un peu vieilli; cependant on le lit toujours avec intérêt; et la méthode scrupuleuse de l'historien dédommage de quelques détails minutieux et inutiles. Le père Daniel chercha à se frayer une route nouvelle dans cette carrière difficile. Ses récits ont moins de sécheresse que ceux de son prédécesseur; les faits y sont disposés d'une manière plus intéressante; et le style du jésuite a une correction et une élégance inconnues à Mézerai. Les philosophes modernes ont reproché au père Daniel une partialité marquée, sur-tout dans l'histoire des derniers règnes. Mais les bons esprits ont vu facilement que cette prétendue partialité ne lui étoit attribuée qu'à cause de son zèle pour la religion; et ils ont rendu justice à sa manière adroite de fondre les événemens dans un ensemble toujours intéressant et toujours régulier. Vertot eut plus d'éloquence et de mouvement. Le choix qu'il fit des sujets qu'il traita, dut influer sur son talent. Les Révolutions des Empires offrent à la curiosité des lecteurs ces mouvemens politiques où les grands caractères se déploient, où les passions violentes se dévelop

pent et se combattent, où les désastres inséparables du bouleversement des sociétés donnent à l'histoire un intérêt que ne peut avoir la peinture des époques plus heureuses et plus tranquilles. Les Révolutions romaines, celles de Suède, et la Conjuration de Portugal, assurent à l'abbé de Vertot une place distinguée parmi les bons historiens. L'Histoire de Malte, que l'auteur composa dans sa vieillesse, est très-inférieure aux ouvrages dont je viens de parler. Saint-Réal a été admiré dans le dix-huitième siècle, quoiqu'il ait été peu estimé tant qu'il a vécu. On ne peut attribuer cette faveur qu'à quelques idées hardies que l'auteur a introduites dans ses récits. On a reproché à Vertot de l'inexactitude, et l'on n'a pas remarqué que le Don Carlos de Saint-Réal, la Conjuration de Venise, n'étoient que des nouvelles bien écrites, et que le style seul distinguoit cet auteur du romancier Varillas. La Vie d'Octavie, puisée dans de bonnes sources, et écrite avec grâce et élégance, est le meilleur ouvrage de SaintRéal, et cependant celui dont on ait le moins parlé.

L'éloquence chrétienne est un des plus beaux titres que le siècle de Louis XIV ait à l'admiration des siècles futurs. Arrêtons-nous un moment sur

les difficultés que dûrent éprouver les grands hommes quise distinguèrent dans cette carrière. Lors des premiers siècles de l'Église, les ministres de l'Évangile avoient des réformes à faire, des changemens à opérer dans la discipline ecclésiastique ; ils avoient des idolâtres à convertir, des hérésiarques à combattre, des empereurs à appaiser. Leurs discours produisoient sur-le champ des effets favorables à la religion. On peut se rappeler Saint Augustin employant son éloquence à détruire des fêtes profanes qui s'étoient maintenues dans l'église d'Hippone, Saint Chrysostôme, recueillant dans son église Eutrope, ancien favori d'Arcadius, monstre qui avoit abusé de son crédit sur un empereur trop foible, qui s'étoit livré à tous les excès, et que le peuple vouloit massacrer. Le vénérable père de l'Église implore la grâce du coupable, qui se repent, montré au peuple l'image présente de la fragilité des grandeurs humaines, et rappelle cette belle maxime: vanité des vanités! Quel beau champ pour l'éloquence ! On peut se représenter Saint Ambroise fermant à Théodose les

portes de l'Église après le massacre de Thessalonique; trait peut-être unique dans l'histoire, qui fait autant l'éloge de l'empereur que du ministre des autels!

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