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Les prédicateurs modernes n'avoient point les mêmes ressources. La religion, sous Louis XIV, étoit fondée sur des bases inébranlables. Ils n'avoient à combattre que les vices des hommes, et cette incrédulité cachée, plus difficile à détruire que l'idolâtrie. Je vais m'efforcer de donner une idée du parti qu'ils ont su tirer de leur situation, et des ressources qui leur restoient.

Bourdaloue peut être considéré comme le père de l'éloquence chrétienne. Il avoit pour principe de ne jamais employer le langage des passions pour les combattre ; il craignoit, par une éloquence trop vive, de les réveiller plutôt que de les détruire. On voit qu'il s'étoit privé lui-même des plus puissans moyens qui sont à la disposition de l'orateur. Il y substitua une logique serrée et pressante. L'incrédule ne put échapper à ses raisonnemens victorieux. Profond dans la connoissance des livres saints, nourri de la doctrine des Pères, il terrassoit le vice par des autorités accablantes. On lui a reproché un peu de sécheresse dans le style, trop d'antithèses, des divisions et des subdivisions trop multipliées. Ces défauts tiennent au motif respectable qui avoit dirigé ce grand prédicateur. Ceux qui veulent apprendre à raisonner avec méthode, et connoître tous les secrets de

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la dialectique, doivent le lire avec attention. Massillon suivit un systême opposé. Il crut qu'on ne pouvoit convertir les hommes qu'en cherchant à toucher et à émouvoir fortement leurs cœurs. De là, l'expansion affectueuse pour des frères égarés, qui caractérise l'éloquence de cet orateur. Aucun prédicateur,avant Massillon, n'avoit pénétré plus avant dans les replis cachés du cœur humain. Connoissant parfaitement un monde corrompu, dont il déplore les foiblesses et les égaremens, il combat les vices de toutes les classes de la société, il en développe les suites funestes, et il va chercher au fond d'une conscience agitée, les vaines excuses que le pécheur invente pour se tromper soi-même. Tantôt, ministre d'un Dieu irrité, il remplit les grands de la terre d'un salutaire effroi, en leur peignant la fin terrible du mauvais riche; tantôt, organe consolant de la clémence divine, il rassure son auditoire par le tableau du retour de l'enfant prodigue, et par la conversion de la femme pécheresse. Tout le monde a entendu parler de son sermon sur les élus, où il finit où il finit par supposer que Dieu va juger tous ceux qui sont dans le temple. Mais on n'a pas assez fait remarquer les alliances de mots dont ce passage sublime est rempli. Dieu fait le terrible discernement des boucs et des N*

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brebis. «Justes, s'écrie Massillon, où êtes-vous? » Passez à la droite; froment de Jésus-Christ, » démêlez-vous de cette paille destinée au feu ». Quel heureux emploi des termes de l'Écriture! On sait l'effet que produisit ce sermon. Le tableau de la mort du réprouvé est au moins aussi bien tracé. Je le citerai, parce qu'il est moins connu. « Alors le pécheur mourant ne trouvant plus dans le souvenir du passé que des regrets » qui l'accablent; dans tout ce qui se passe à » ses yeux, que des images qui l'affligent; dans » la pensée de l'avenir, que des horreurs qui » l'épouvantent; ne sachant plus à qui avoir » recours, ni aux créatures qui lui échappent » ni au monde qui s'évanouit, ni aux hommes, qui ne sauroient le délivrer de la mort, ni au » Dieu juste, qu'il regarde comme un ennemi » déclaré, dont il ne doit plus attendre d'indulgence; il se roule dans ses propres hor»reurs; il se tourmente il s'agite pour fuir » la mort qui le saisit, ou du moins pour se fuir » lui-même ; il sort de ses yeux mourans je ne » sais quoi de sombre et de farouche, qui ex

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prime les fureurs de son âme; il pousse du » fond de sa tristesse des paroles entrecoupées » de sanglots qu'on n'entend qu'à demi; on ne » sait si c'est le désespoir ou le repentir qui les

» a formées; il jette sur un Dieu crucifié des

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regards affreux, et qui laissent douter si c'est » la crainte ou l'espérance, la haine ou l'amour qu'ils expriment; il entre dans des saisisse» mens où l'on ignore si c'est le corps qui se dis» sout, ou l'âme qui sent l'approche de son juge; » il soupire profondément, et l'on ne sait si » c'est le souvenir de ses crimes qui lui arrache » ces soupirs, ou le désespoir de quitter la vie; » enfin au milieu de ces tristes efforts, ses yeux » se fixent, ses traits changent, son visage se défigure; sa bouche livide s'entr'ouvre d'elle» même ; tout son corps frémit; et, par ce » dernier effort, son âme infortunée s'arrache, » comme à regret, de ce corps de boue; tombe » entre les mains de Dieu, et se trouve, seule, >> au pied du tribunal redoutable>.

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Il faudroit des pages de commentaire pour faire sentir toutes les beautés de ce morceau sublime. L'antiquité n'a rien à lui comparer. Massillon peint ensuite la mort du juste avec autant de douceur qu'il a mis de force à tracer la fin du réprouvé. Toutes les consolations entourent le lit de mort de l'homme vertueux ; il quitte une terre d'exil, pour jouir d'un bonheur éternel. « Plus le corps se détruit, dit l'orateur, » plus l'esprit se dégage et se renouvelle : sem

» blable à une flamme pure qui s'élève et paroît

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» corps

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plus éclatante à mesure qu'elle se dégage d'un >> reste de matière qui la retenoit, et que le où elle étoit attachée se consume et se dissipe ». Outre cette éloquence entraînante qui tient au style nombreux et périodique, Massillon avoit de ces traits sublimes qui ne s'expriment que par quelques mots. Louis XIV venoit de mourir; ce roi, si grand aux yeux des hommes, avoit disparu de la terre qu'il avoit remplie du bruit de sa gloire. Massillon fait son éloge funèbre, et commence ainsi : Dieu seul est grand, mes frères !

Une cause put ajouter à l'effet des sermons de Massillon. Il les prononça devant Louis XIV dans des temps de malheurs, lorsque ce colosse de grandeur s'écrouloit, et sembloit expier devant Dieu l'orgueil de ses anciennes victoires. Massillon prêcha ensuite devant Louis xv, âgé de dix ans. C'est dans ces sermons, qui portent le nom de Petit Carême, et qui sont proportionnés à l'âge du jeune Prince, que l'on trouve cette morale douce, ces grâces touchantes, ce tendre intérêt que Massillon seul a su joindre à l'éloquence religieuse.

Massillon peut être compté parmi les grands moralistes, et, sous ce rapport, être mis à côté

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