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La religion n'avoit plus de pédantisme; sa dévotion n'étoit pas minutieuse; elle avoit rejeté les pratiques hypocrites du règne de Henri 111; elle avoit revêtu la majesté, la décence et la noblesse qui convenoient à son saint ministère.

Dans ce siècle si fécond en grands hommes et en belles actions, voyez Corneille employant sa vieillesse à traduire un des plus beaux livres mystiques, Racine enseignant la religion à ses enfans, Boileau lui consacrant ses vers, Molière la respectant, La Fontaine armé d'un cilice, madame de Sévigné préférant un sermon à un spectacle; voyez Pascal méditant la défense de la foi; voyez s'unir, dans une si belle cause, la dialectique de Bourdaloue, les grâces insinuantes de Fénélon, l'abondance de Fléchier, la douce éloquence de Massillon, et les foudres de l'Église mises dans les mains de Bossuet pour terrasser l'incrédulité et l'hérésie.Admirezle grand Condé s'humiliant devant la majesté de la religion, Turenne n'ayant d'espoir qu'en sa Providence, et Louis XIV enfin courbant devant elle son front couronné de lauriers.

Il n'en faut point douter, et tant de témoignages servent à le démontrer, ce beau siècle a dû principalement les grands écrivains dont il a été honoré, à la perfection de la société qui

se forma par l'union jusqu'alors sans exemple, dans l'Europe moderne, des grâces de l'esprit, des bonnes mœurs, du respect pour l'autorité légitime, et sur-tout de la croyance à une religion inébranlable dans ses preuves, invariable dans ses dogmes, destructive du scepticisme, et conservatrice éternelle d'une morale dont les incrédules n'ont jamais pu contester la pureté.

Après ce beau siècle, les mœurs changèrent, et le goût changea avec elles. Les orgies de la régence succédèrent aux fêtes nobles de Louis XIV; le langage cynique, où l'oubli des bienséances fut souvent porté à l'excès, remplaça la langue décente d'une cour où la politesse avoit été perfectionnée. Bientôt on trouva de la monotonie dans les chefs-d'œuvres ; et, pour flatter le goût d'un public blasé, on eut recours aux tours de force, aux termes ampoulés, aux sentimens exagérés ; les jeux de mots, les expressions détournées de leurs véritables acceptions, les frivoles jeux d'esprit, firent oublier la gaîté franche et naïve de nos bonnes comédies. Cette révolution ne se fit point avec lenteur; elle fut opérée par les auteurs même que l'on peut regarder comme ayant tenu aux deux siècles. Fontenelle et la Motte y contribuèrent puissamment. Avant de parler d'eux, je ne dois pas oublier de faire

mention de J. B. Rousseau, digne élève de Boileau, qui mérita le premier rang dans un genre où nos grands poëtes ne s'étoient pas exercés. Ses Odes, tirées des Pseaumes, ne surpassent point les chœurs d'Athalie et d'Esther; mais le poëte lyrique n'avoit point de modèle parfait pour celles dans lesquelles il a traité des sujets profanes. C'est pour quelques-unes de ces Odes sublimes qu'il doit être placé parmi les bons auteurs classiques. L'Ode au comte du Luc est undeses chefs-d'œuvres. Le comte, fatigué par de longs travaux, avoit une très-foible santé ; le poëte, dans son délire, suppose qu'il est doué des talens d'Orphée :

Ah! si ce dieu sublime, échauffant mon génie,
Ressuscitoit pour moi de l'antique harmonie

Les magiques accords;

Si je pouvois du ciel franchir les vastes routes,
Ou percer par mes chants les infernales voûtes
De l'empire des morts;

Je n'irai point, des dieux profanant la retraite,
Dérober aux destins, téméraire interprête,

Leurs augustes secrets;

Je n'irai point chercher une amante ravie,
Et, la lyre à la main, redemander sa vie
Au gendre de Cérès.

Le poëte, nouvel Orphée, parle à Pluton en faveur de son bienfaiteur; et il ajoute ces beaux

vers :

C'est ainsi qu'au-delà de la fatale barque,

Mes chants adouciroient de l'orgueilleuse Parque
L'impitoyable loi;

Lachésis apprendroit à devenir sensible,

Et le double ciseau de sa sœur inflexible
Tomberoit devant moi.

Le mouvement de cette Ode, son plan qui, dans un beau désordre, présente tous les caractères d'une profonde combinaison, l'harmonie des vers, la magnificence des expressions, forment un des plus beaux morceaux poétiques de notre langue.

Rousseau créa en France le genre des Cantates; non seulement il fut bien supérieur aux poëtes italiens, mais il n'eut point d'imitateurs dans son pays. Dans sa vieillesse il écrivit plusieurs épîtres et plusieurs allégories en vers marotiques. Le succès de ses épi⚫grammes lui avoit donné du goût pour ce langage vieilli, qui n'a de charmes que dans les petites poésies malignes, ou dans les récits naïfs. Rousseau, malheureusement, n'avoit point la naïveté de La Fontaine. C'est ce qui explique pourquoi ses derniers ouvrages eurent peu de

succès. Il ne faut cependant pas s'en rapporter au jugement que Voltaire a porté sur les épîtres et les allégories; trop souvent ce critique fut égaré par la haine qu'il avoit conçue contre Rousseau.

Crébillon obtint de grands succès dramatiques; et sa tragédie de Rhadamiste mérita d'être placée à côté des chefs-d'œuvres de la scène françoise. Trop de négligence dans son style une fougue d'imagination qui détruisoit quelquefois la netteté de ses idées, un goût trop vif pour les sentimens romanesques, nuisirent aux développemens du talent vraiment original de ce grand poëte.

La Motte, qui n'avoit eu que de foibles succès dans la poésie, à laquelle il avoit consacré toute sa jeunesse, prit, dans un âge avancé, le parti de s'élever contre un art qu'il avoit cultivé sans sortir de la médiocrité. Cette composition avec son amour-propre, l'entraîna bientôt à combattre indistinctement toutes les anciennes règles de la littérature; il les considéra comme des préjugés qu'un siècle éclairé doit proscrire. Bientôt il entassa sophismes sur sophismes dans les discours qui accompagnèrent ses tragédies, dans ses réflexions sur Homère, et dans ses autres traités. Un style piquant et

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