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agréable, un talent distingué pour la discussion, un soin constant d'éviter le pédantisme, lui procurèrent des succès d'autant plus grands, que ses adversaires n'eurent pas le talent de se faire lire. Quoique la Motte ne se soit jamais écarté du respect dû à la religion, on doit convenir que ses écrits ont répandu, dans la majorité de la nation, un esprit de doute sur les choses les plus certaines, et cette manie d'innover qui s'étendit par la suite sur des objets beaucoup plus importans que la littérature.

Fontenelle eut, dans sa jeunesse, le malheur d'être un des détracteurs de Racine. Il paroît que la tragédie d'Aspar, dont la chute fut si éclatante qu'elle donna lieu à une épigramme célèbre sur l'origine des sifflets, dégoûta Fontenelle d'un genre pour lequel il n'avoit aucun talent. Il sentit très-bien qu'il ne parviendroit jamais à une grande réputation par la poésie. Il se livra donc, avec ardeur, à l'étude des sciences exactes, où il acquit bientôt des connoissances plus étendues que profondes. Voulant couvrir par les agrémens du bel-esprit l'aridité des sciences, il donna, le premier, l'exemple de la confusion des styles, innovation que l'on peut considérer comme un signe certain de la décadence d'une langue. Dès le milieu du

dix-huitième siècle, les plus zélés admirateurs de Fontenelle avoient reconnu que les Lettres du chevalier d'Her*** n'étoient qu'une collection de petites subtilités, de froides galanteries, que le style en étoit maniéré, et qu'elles ne méritoient, tout au plus, que d'être placées à côté des Lettres de Voiture. Les Poésies pastorales du philosophe eurent plus de succès; mais elles furent bientôt négligées, par la raison que le bel-esprit ne supplée jamais long-temps au ton naturel et vrai. L'Histoire des Oracles fut un des ouvrages de Fontenelle qui fit le plus de bruit. Plusieurs opinions hardies, cachées cependant avec l'adresse la plus déliée, manquèrent de rendre ce triomphe fatal à l'auteur. La protection d'un ministre alors tout-puissant sauva Fontenelle. Ce fut le premier exemple de l'appui donné par l'autorité à l'auteur d'un livre répréhensible; exemple qui ne fut que trop suivi jusqu'au moment où l'on en vit le résultat. Le livre des Mondes fut encore plus généralement répandu que l'Histoire des Oracles. Le but de l'auteur étoit de mettre l'astronomie à la portée des esprits les moins éclairés, et sur-tout des femmes. C'est dans cet ouvrage que les défauts qui résultent de la confusion des styles se font principalement remarquer. Le philosophe

prend constamment le ton de la plus fade plai- * santerie, pour expliquer les phénomènes de l'uni, vers. Il compare la nuit à une brune, et le jour à une blonde; enfin toutes les leçons données à une marquise imaginaire, sont accompagnées de complimens doucereux, qui font le plus singulier contraste avec la gravité des objets. Ce livre cependant eut un succès qui dura plusieurs années sans être contesté. On le compara même aux Traités de Cicéron. Voltaire fut le premier qui se servit de l'ascendant que ses talens lui donnoient sur la littérature, pour relever ces défauts par des critiques pleines de goût. Les Dialogues des Morts sont au-dessous de tout ce que Fontenelle a écrit en prose. On cherche vainement le but que s'est proposé l'auteur en faisant parler aux grands personnages de l'antiquité et des temps modernes, un langage dépourvu de dignité, contraire à leur caractère, et en se bornant à présenter quelques contrastes qui n'ont pas même le mérite d'être piquans. Les Éloges de Fontenelle sont ses titres les plus justes et les plus durables à l'estime des savans et des gens de lettres. On y trouve de la clarté et de l'élégance; l'instruction y est offerte sans pédantisme; et les matières les plus obscures y sont éclaircies et développées avec beaucoup de

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netteté. Cependant ces discours présentent encore plusieurs idées tournées avec prétention; l'expression que l'auteur cherche à rendre piquante, devient embarrassée et peu naturelle. Je n'en citerai qu'un exemple. Fontenelle veut dire que Duhamel savoit embellir les pensées les plus abstraites, sans néanmoins leur prêter des ornemens étrangers. « Ce sont, dit-il, des » raisonnemens philosophiques qui ont dépouillé leur sécheresse naturelle, ou du moins » ordinaire, en passant au travers d'une imagination fleurie et ornée, et qui n'y ont pris » que la juste dose d'agrément qui leur conve»noit. Ce qui ne doit être embelli qu'à une me» sure précise, est ce qui coûte le plus à embel»lir». Quelle incohérence dans la première phrase! Peut-on concevoir que des raisonnemens secs cessent de l'être en passant au travers d'une imagination fleurie, et que ces raisonnemens n'y prennent que la dose juste d'agrémens? Fontenelle auroit dû méditer beaucoup la vérité contenue dans la dernière phrase. Il a trouvé plus facile de ne point garder cette mesure précise qu'il recommande.

Fontenelle fut le premier littérateur qui exerça une égale domination sur l'Académie françoise et sur l'Académie des Sciences. Dalembert

lui succéda, et fut depuis remplacé par le marquis de Condorcet. Je laisse à penser si cette double influence eut d'heureux résultats, soit sous le rapport des lettres, soit sous celui de la politique.

Dans le commencement du dix-huitième siècle, les lumières étoient très-répandues, et les moyens de les acquérir étoient devenus faciles. Plusieurs dictionnaires avoient propagé des connoissances superficielles sur toutes les sciences, mais avoient nui au travail obstiné auquel ceux qui vouloient s'instruire avoient été obligés de se livrer dans le siècle précédent. Cette dangereuse facilité de pouvoir parler de tout sans être remonté aux sources, multiplia les demi-connoissances; le nombre des auteurs s'accrut, et devint beaucoup plus considérable que sous le règne de Louis xiv. Dans cette multitude innombrable d'écrivains qui parurent pendant le dix-huitième siècle, on distinguera quatre hommes qui, par leur génie, par leur style, par leurs opinions, ont influé puissamment sur la littérature, sur la philosophie, et sur la politique. Ces hommes sont Voltaire, Montesquieu, J. J. Rousseau et Buffon.

Le premier essai de Voltaire fut une tragédie qui donnoit les plus heureuses espérances. A

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