Imágenes de páginas
PDF
EPUB

cette époque, les paradoxes de la Motte étoient accueillis par la plus grande partie des gens de lettres, et les défauts du style de Fontenelle se trouvoient dans la plupart des livres nouveaux. Voltaire fut d'abord frappé de cette décadence du goût, et de cette confusion de styles qui annonçoient que la langue alloit dégénérer. Son opinion, en matière de goût, fut marquée dans ses lettres à la Motte qui suivirent la tragédie d'OEdipe. On voit que le jeune poëte s'élève avec force contre les innovations qu'on vouloit introduire dans la poésie dramatique. Voltaire exprima, plusieurs années après, son opinion, d'une manière plus claire et plus directe, dans son discours de réception à l'Académie françoise. « Ce qui déprave le goût, dit-il, » déprave enfin le langage. Souvent on affecte d'égayer des sérieux et instructifs >> par les expressions familières de la conversa» tion. Souvent on introduit le style marotique » dans les sujets les plus nobles; c'est revêtir » un prince des habits d'un farceur. On se sert >> determes nouveaux qui sont inutiles, et qu'on > ne doit hasarder que quand ils sont nécessai» res. Il est d'autres défauts dont je suis encore » plus frappé ». On voit que Voltaire sentoit bien de quelle importance il est, lorsqu'une

כל

ouvrages

langue est formée, de ne point confondre les styles, et qu'il attaquoit principalement Fontenelle et ses imitateurs, ainsi que les auteurs modernes qui, sous le prétexte d'être plus précis et plus énergiques, se plaignant sans cesse de la pauvreté et du défaut d'harmonie de la langue de Racine et de Pascal, surchargeoient leur diction d'une multitude de mots nouveaux tirés des sciences exactes, ou de quelque analogie contraire à l'usage. Dans la multitude d'ouvrages de différens genres que Voltaire composa, il ne suivit pas avec assez d'exactitude les préceptes qu'il avoit donnés lui-même. On n'eut presque jamais à lui reprocher, ni le néologisme, ni les constructions vicieuses; mais on remarqua, sur-tout dans ses ouvrages en prose les plus sérieux, un penchant invincible à un genre de plaisanterie qui lui étoit particulier. L'Histoire de Charles XII en offre quelques exemples. L'Essai sur l'Histoire générale est encore moins exempt de ce défaut. Toutes les fois qu'il s'agit des papes, des conciles, des divisions de l'Église, l'épigramme est substituée au ton noble et décent qui convient au sujet. Le Siècle de Louis XIV est l'ouvrage le plus parfait que Voltaire ait fait dans ce genre. Cependant il offre encore plusieurs traits de plai

*

santerie qui s'éloignent de la sévérité de l'histoire. Quelques discussions littéraires de Voltaire, éparses dans l'immense recueil de ses OEuvres, sont des modèles de goût, lorsque l'auteur ne s'abandonne pas à ses passions violentes. Cet homme extraordinaire cultiva aussi les sciences; mais une étude aussi aride convenoit trop peu à son imagination ardente: suivant l'opinion de ses amis, qui étoient le plus à portée de le juger sous ce rapport, il ne fut jamais qu'un savant médiocre. Cependant on doit reconnoître qu'il évita de répandre des ornemens étrangers sur les matières scientifiques. Loin d'imiter Fontenelle, il employa toujours un style convenable aux objets qu'il traitoit, et il se borna à chercher la clarté et la pureté du langage. Ses tragédies sont, avec celle de Rhadamiste et Zénobie, les plus beaux ouvrages de ce genre qui aient paru depuis Racine. On a reproché avec raison à Voltaire de n'avoir point été assez sévère sur le choix des ressorts et des moyens, d'avoir été trop prodigue de déclamations' philosophiques, et d'avoir trop sacrifié à l'effet théâtral. Son stylę, moins soigné que celui de Racine, offre, au premier coup-d'œil, un éclat qui disparoît quelquefois à un examen plus réfléchi. Malgré ces défauts, il sera tou

jours

jours regardé comme un des poëtes qui ont le plus honoré la scène françoise. Le poëme de la Henriade étonna l'Europe, qui paroissoit convaincue que notre poésie ne pouvoit convenir à la grande épopée. On vit, pour la première fois, un long poëme héroïque en vers alexandrins, dont le style n'étoit point monotone, et qui pouvoit se faire lire sans fatigue. Les défauts du plan, le choix du merveilleux qui n'est point suffisamment épique, les caractères, qui ne sont point assez soutenus, ont seuls nui à la Henriade, dont le style est généralement noble, harmonieux et élégant. Les poésies fugitives de Voltaire surpassèrent celles de Chaulieu pour la pureté et l'élégance, mais ne purent les surpasser pour la grâce, et pour une certaine mollesse dont Chaulieu seul connut le charme.

Voltaire fut le premier qui fit connoître aux François la littérature angloise. L'enthousiasme qu'il excita pour les philosophes de cette nation, donna une nouvelle force à l'esprit de doute et d'innovation qui commençoit à se répandre. La hardiesse des idées politiques n'eut plus de bornes, et tout annonça un changement prochain dans les lois et dans le gouvernement de la France. Les anciennes institutions devinrent

P*

des objets de risée, toutes les classes de la société se confondirent, et l'on se fit une gloire d'abandonner les usages nationaux pour se livrer à une licence dont les attraits cachoient le danger. L'anglomanie se répandit avec autant de rapidité sur la littérature. Le théâtre informe de Shakespeare fut traduit; les éditeurs annoncèrent avec une confiance fastueuse, que le poëte anglois avoit seul connu l'art de la tragédie, etque les tragédies de Corneille et de Racine n'étoient que de belles amplifications. Toute la France. admira les pièces monstrueuses de Shakespeare, l'exagération, l'emphase et le faux goût se mirent en possession de notre théâtre, et gâtèrent presque tous les ouvrages modernes. Ce goût effréné pour la littérature angloise peut être considéré comme une des principales causes de la décadence de notre littérature. Voltaire le reconnut enfin, et il s'éleva souvent contre une manie qu'il pouvoit se reprocher d'avoir introduite. M. de Laharpe, dans des dissertations pleines de chaleur et de logique, a démontré jusqu'à l'évidence les absurdités du poëte anglois ; et l'on doit à ce grand littérateur d'être revenu de l'aveugle admiration que l'on avoit conçue pour des pièces barbares.

Je ne parlerai point des ouvrages de Voltaire,

« AnteriorContinuar »