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qui furent le fruit de ses passions ou de sa haine pour la religion. L'influence de cet homme célèbre fut immense dans un siècle de corruption et d'impiété. Placé, dans sa vieillesse, à la tête du parti de la philosophie moderne, il se repentit souvent de s'être associé aux encyclopédistes; mais son enthousiasme pour la gloire, qui lui faisoit voir dans ces hommes, dont la puissance étoit extrême sur l'opinion publique, des soutiensredoutables de sa réputation, l'empêcha de se détacher d'une faction dont il servit trop souvent les passions violentes, et dont il eut le malheur de partager les excès.

Les Lettres persannes de Montesquieu se ressentirent un peu de l'esprit qui régnoit pendant la régence. Cet ouvrage qui, sous une forme agréable et piquante, renferme de grandes vues, peut être regardé comme le premier modèle de cette multitude de livres qui, pendant le dix-huitième siècle, offrirent un mélange singulier de sérieux et de frivole, de raisonnemens dogmatiques et de tableaux licencieux. On connoît assez le succès qu'obtint cette méthode employée par la philosophie moderne, pour répandre ses principes dans toutes les classes de la société. Les Lettres persannes annoncèrent un génie original; quelques écarts

sur la politique, quelques diatribes contre la religion, n'empêchèrent pas les bons juges d'apercevoir dans Montesquieu un observateur profond et juste, dont quelques idées pourroient être altérées par les préjugés nouveaux, mais qui conserveroit, du moins en politique, les principes invariables sur lesquels reposent les sociétés.

L'Esprit des Lois justifia cette opinion. Le but de Montesquieu, ainsi qu'il l'annonce luimême, paroît avoir été d'augmenter les connoissances des gouvernans sur le principe, l'étendue et les bornes de leur pouvoir, et de faire comprendre aux gouvernés qu'il est de leur intérêt de se soumettre aux lois de leur pays. Au premier coup-d'œil, cette idée paroît grande et utile. Mais comment Montesquieu n'a-t-il pas remarqué que les usages, et même les préjugés, sont l'unique règle qui dirige les peuples; qu'en voulant faire un traité méthodique sur les principes fondamentaux des gouvernemens, on détruit nécessairement cette multitude de nuances qui différencient les États dont l'administration paroît être la même; et que de la destruction des usages, beaucoup plus puissans que les lois constitutionnelles, résultent l'anéantissement et la dissolution des sociétés? Ainsi,

quoique l'on reconnoisse généralement, qu'à l'exception des systêmes sur l'influence des climats, sur le principe des trois sortes de gouvernemens, et sur la constitution angloise, l'Esprit des Lois présente des idées saines en politique et en législation, on ne peut néanmoins révoquer en doute que ce livre n'ait puissamment contribué à donner à l'opinion publique une direction dangereuse, soit par des applications imprudentes, soit par de fausses interprétations. Lorsqu'en France la société fut dissoute, après les essais monstrueux qu'on avoit osé tenter en politique, on puisa dans Montesquieu des idées justes pour la reconstruction de l'ordre social.

Ce livre, dangereux peut-être dans un État tranquille et bien organisé, devint utile, lorsque, pour sortir de l'anarchie, on recourut à des principes fondamentaux. C'est ce qui distingue glorieusement Montesquieu comme philosophe ; c'est ce qui explique pourquoi, lorsque les troubles ont cessé, la réputation de ce grand homme n'a presque point été attaquée.

Le style de Montesquieu est loin d'avoir le nombre et l'harmonie qui distinguent la diction des auteurs du siècle précédent. La recherche d'une précision trop rigoureuse, l'envie de mul

tiplier les traits frappans, ont donné aux écrits de cet auteur un ton quelquefois épigrammatique qui ne convient point à la gravité des objets. Madame du Défant disoit que le principal ouvrage de Montesquieu n'étoit pas l'Esprit des Lois, mais de l'esprit sur les lois. Ce mot sans doute donneroit une idée beaucoup trop désavantageuse d'un des chefs-d'œuvres du 18° siècle; mais il explique assez bien le défaut qui frappe le plus souvent dans cet ouvrage.

Les Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, sont le livre où Montesquieu a le plus approché de la perfection sous le rapport du style. Constamment rapide et pressante, la diction a de la force, de la pureté et de l'élégance. Quelques mots suffisent souvent pour exprimer des vues vastes et profondes. L'histoire romaine, peinte à grands traits dans cet ouvrage peu étendu, se grave facilement dans la mémoire des lecteurs; le tableau des mœursa un coloris comparable à celui de Tacite; les causes secrètes des révolutions importantes sont développées avec une sagacité, et décrites avec une chaleur qui ne peuvent appartenir qu'à un homme de génie.

Montesquieu, ainsi que plusieurs de ses contemporains, faisoit peu de cas de la poésie. Il

croyoit, comme la Motte, que l'on pouvoit faire des poëmes en prose. Le Temple de Gnide, qui eut un grand succès dans le temps, montra le but où l'on peut atteindre, avec beaucoup d'esprit, lorsque d'ailleurs on n'est pas né poëte.

Un homme dont les talens ne se développèrent que fort tard,'étonna l'Europe par une sorte d'éloquence qui paroissoit n'avoir point été connue des écrivains du siècle précédent. La politique, la morale, prirent, sous la plume de J.J. Rousseau, une forme nouvelle ; un attrait invincible attaché à son style, multiplia ses admirateurs et ses partisans ; et l'on ne vit pas, sans étonnement, le philosophe genevois devenir l'idole d'un monde qu'il affectoit de haïr et de mépriser. Les grands de l'État recherchèrent avec empressement l'ennemi déclaré des distinctions honorifiques; toutes les classes de la société s'enthousiasmèrent pour l'adversaire le plus violent des institutions sociales ; et les femmes les plus galantes déifièrent, pour ainsi dire, celui qui parut s'élever avec le moins de ménagement contre les mœurs dépravées du siècle.

Les causes de ce contraste singulier se trou. vent non-seulement dans la légèreté et dans l'inconséquence des François à cette époque,

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