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que fût le sujet qu'on y traitât, portèrent ce caractère sentimental et mélancolique, dont les bons esprits ont commencé de nos jours à faire sentir le ridicule.

Rousseau passa encore pour être un des plus grands peintres des passions. Plusieurs passages de la Nouvelle Héloïse justifient cette opinion, Mais on y remarque souvent, plutôt une grande chaleur de tête, qu'une véritable sensibilité. Les sentimens de Saint-Preux n'ont pas toujours cette délicatesse que Racine a su si bien peindre, et qui caractérise l'amour vrai. J'en citerai un exemple. L'amant de Julie se plaint du retard qu'elle veut mettre à son bonheur: « Ah! si tu pouvois rester toujours jeune et brillante >> comme à présent, je ne demanderois au ciel que de te savoir éternellement heureuse, te » voir tous les ans de ma vie une fois, une seule >> fois, et passer le reste de mes jours à con

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templer de loin ton asile, à t'adorer parmi » ces rochers. Mais, hélas! vois la rapidité de >> cet astre qui jamais n'arrête; il vole, et le temps » fuit, l'occasion s'échappe, ta beauté, ta beauté » même aura son terme; elle doit décliner et périr un jour comme une fleur qui tombe sans

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>> avoir été cueillie; et moi, cependant, je gémis, je souffre, ma jeunesse s'use dans les larmes,

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» et se détruit dans la douleur. Pense, pense, Julie, que nous comptons déja des années » perdues pour le plaisir...... O amante aveuglée! tu cherches un chimérique bonheur pour » un temps où nous ne serons plus..... et tu ne » vois pas que nous nous consumons sans cesse » etquenos âmes, épuisées d'amour et de peines, » se fondent et coulent comme l'eau ». J'ai choisi à dessein un des morceaux les plus admirés de la Nouvelle Héloïse. On aura facilementremarqué qu'un amant délicat ne doit point faire entrevoir à celle qu'il aime, le moment où elle cessera d'être belle; qu'il ne doit pas insinuer que son amour ne survivra point à la beauté de Julie, et que l'égarement de la passion ne peut justifier le mot de plaisir, suffisamment expliqué par ce qui précède. Je ne ferai aucune observation sur la métaphore qui termine ce morceau. On a beaucoup admiré la scène lyrique de Pygmalion, mais on n'a pas relevé l'abus des termes scientifiques employés pour la première fois dans le langage de l'amour. Si l'on n'avoit pas contracté l'habitude de tout passer à Rousseau, on auroit sûrement blâmé les expressions de chaleur vivifiante, de force expansive, d'équilibre, d'inanité, d'essence, de

principe d'existence, d'harmonie, qu'il a prodiguées dans cet ouvrage.

Rousseau a été regardé comme un de nos plus grands écrivains en prose, et comme un des peintres les plus éloquens de la nature; mais Buffon méritera toujours de lui être préféré sous l'un et l'autre de ces rapports.

Marchant sur les traces d'Aristote et de Pline, ce grand homme consacra sa vie entière à l'étude de la nature, et accumula cette multitude de matériaux nécessaire à l'édifice immense et majestueux qu'il éleva. Son style lumineux a constamment une dignité noble qui convient aux objets que l'auteur décrit, l'éloquence dont la diction est animée, ne dégénère jamais en déclamation, elle ne se permet aucun écart, elle ne sort jamais du ton qui convient au sujet, et elle se soutient toujours au milieu des détails minutieux dans lesquels le naturaliste est obligé d'entrer. Un des beaux morceaux que l'on admire dans Buffon, est la description de l'homme. Pline a traité le même sujet avec assez d'étendue. Il peut résulter du parallèle des deux auteurs, quelques réflexions nécessaires pour bien apprécier Buffon. Les deux naturalistes s'accordent sur les soins à donner aux enfans dès le moment de leur naissance, et sur les précautions à prendre à

sur

l'égard de ceux que l'on croit morts. Pline' rap-. porte plusieurs fables reçues dans son temps les différentes espèces d'hommes; Buffon puise dans les savans et dans les voyageurs dignes de foi, des notions beaucoup plus justes; ses aperçus sont plus profonds, ses conjectures plus fondées. Pline, pour donner une idée de l'homme par excellence, trace le portrait de Cicéron ; ce morceau de la plus haute éloquence, rappelle le plus grand des orateurs, et le libérateur de la patrie; Buffon, plus hardi, peint l'homme en général; le tableau qu'il présente des facultés intellectuelles et physiques de ce chef-d'œuvre de la création, est non-seulement éloquent; mais, par la variété des couleurs,

il

peut être regardé comme un modèle de poésie descriptive. Pline, en terminant sa description, s'attriste par la peinture des misères de l'homme. Il répète que la vie est une ombre, que l'on ne doit pas se fier au bonheur; et, pour mettre le comble au découragement, après s'être étendu sur les maux de l'humanité, il finit par insinuer que l'âme ne survit point au corps. Buffon, au contraire, élève continuellement l'âme de l'homme par l'idée qu'il lui donne de sa supériorité sur les autres animaux. En parlant de la mort, il multiplie ses efforts pour en diminuer

les

les horreurs, et pour familiariser l'humanité. avec l'arrêt irrévocable de la Providence. Le style de l'auteur latin est plein d'harmonie et de douceur ; il annonce, dans Pline, un homme qui aimoit à raconter des faits extraordinaires, et qui se plaisoit à enchanter ses auditeurs des récits intéressans; le style de Buffon est plus soutenu, sans avoir moins de charmes ; jamais l'auteur ne se livre à des digressions qui l'éloigneroient du sujet qu'il traite.

par

J'ai dit que Buffon avoit de l'aversion pour la poésie, et qu'il partageoit, à cet égard, les opinions de la Motte; mais cette erreur de goût n'influa point sur son talent, qu'il consacra à des objets absolument étrangers à la poésie. Lorsqu'il voulut en parler dans quelques discours académiques, il parut pousser plus loin que la Motte même le systême contraire aux opinions des grands littérateurs du siècle de Louis XIV. En parlant de la Henriade et de P'Iliade, il cherche «< quelle comparaison il » peut y avoir entre le bon et le Grand Henri, » et le petit Ulysse, ou le fier Agamemnon, » entre nos potentats et ces rois de village, dont > toutes les forces réunies feroient à peine un » détachement de nos armées. Quelle diffé»rence, ajoute-t-il, dans l'art même ? N'est

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