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SECONDE PARTIE

DE

LA GRAMMAIRE

GÉNÉRALE,

Où il est parlé des principes et des raisons sur lesquelles sont appuyées les diverses formes de la signification des mots.

CHAPITRE PREMIER.

Que la connoissance de ce qui se passe dans notre esprit, est nécessaire pour comprendre les fondemens de la Grammaire ; et que c'est de là que dépend la diversité des mots qui composent le discours.

JUSQUES ici, nous n'avons considéré dans la parole que ce qu'elle a de matériel, et qui est commun, au moins pour le son, aux hommes et aux perroquets.

Il nous reste à examiner ce qu'elle a de spirituel, qui fait l'un des plus grands avantages de l'homme au-dessus

de tous les autres animaux, et qui est une des plus grandes preuves de la raison : c'est l'usage que nous en faisons pour signifier nos pensées, et cette invention merveilleuse de composer de vingt-cinq ou trente sons cette infinie variété de mots, qui, n'ayant rien de semblable en eux-mêmes à ce qui se passe dans notre esprit, ne laissent pas d'en découvrir aux autres tout le secret, et de faire entendre à ceux qui n'y peuvent pénétrer, tout ce que nous concevons, et tous les divers mouve

mens de notre âme.

Ainsi l'on peut définir les mots, des sons distincts et articulés, dont les hommes ont fait des signes pour signifier leurs pensées.

C'est pourquoi on ne peut bien comprendre les diverses sortes de significations qui sont enfermées dans les mots, qu'on n'ait bien compris auparavant ce qui se passe dans nos pensées, puisque les mots n'ont été inventés que pour les faire connoître.

Tous les philosophes enseignent qu'il y a trois opérations de notre esprit : CONCEVOIR, JUGER, RAI

SONNER.

CONCEVOIR, n'est autre chose qu'un simple regard de notre esprit sur les choses, soit d'une manière purement intellectuelle, comme quand je connois l'être, la durée, la pensée, Dieu; soit avec des images corporelles, comme quand je m'imagine un carré, un rond, un chien, un cheval.

JUGER, c'est affirmer qu'une chose que nous conce→

c'est

vons est telle, ou n'est pas telle: comme lorsqu'ayant conçu ce que c'est que la terre, et ce que deur, j'affirme de la terre, qu'elle est ronde.

que ron

RAISONNER, est se servir de deux jugemens pour en faire un troisième : comme lorsqu'ayant jugé que toute vertu est louable, et que la patience est une vertu, j'en conclus que la patience est louable.

D'où l'on voit que la troisième opération de l'esprit n'est qu'une extension de la seconde ; et ainsi il suffira, pour notre sujet, de considérer les deux premières, ou ce qui est enfermé de la première dans la seconde; car les hommes ne parlent guère pour exprimer simplement ce qu'ils conçoivent, mais c'est presque toujours pour exprimer les jugemens qu'ils font des choses qu'ils conçoivent.

Le jugement quenous faisons des choses, comme quand je dis, la terre est ronde, s'appelle PROPOSITION; et ainsi toute proposition enferme nécessairement deux termes; l'un appelé sujet, qui est ce dont on affirme, comme terre; et l'autre appelé attribut, qui est ce qu'on affirme, comme ronde: et de plus la liaison entre ces deux termes, est.

Or il est aisé de voir que les deux termes appartiennent proprement à la première opération de l'esprit, parce que c'est ce que nous concevons, et ce qui est l'objet de notre pensée; et que la liaison appartient à la seconde, qu'on peut dire être proprement l'action de notre esprit, et la manière dont nous pensons.

Et ainsi la plus grande distinction de ce qui se passe dans notre esprit, est de dire qu'on y peut considérer l'objet de notre pensée, et la forme ou la manière de notre pensée, dont la principale est le jugement: mais on y doit encore rapporter les conjonctions, disjonctions, et autres semblables opérations de notre esprit, et tous les autres mouvemens de notre âme, comme les desirs, le commandement, l'interrogation, etc.

Il s'ensuit de là, que les hommes ayant eu besoin de signes pour marquer tout ce qui se passe dans leur esprit, il faut aussi que la plus générale distinction des mots soit que les uns signifient les objets des pensées, et les autres la forme et la manière de nos pensées, quoique souvent ils ne la signifient pas seule, mais avec l'objet, comme nous le ferons voir.

Les mots de la première sorte sont ceux que l'on a appelés, noms, particles, ronoms, participes, prépositions et adverbes; ceux de la seconde, sont les verbes, les conjonctions, et les interjections'; qui sont tous tirés par une suite nécessaire, de la manière naturelle en laquelle nous exprimons nos pensées, comme nous allons le montrer.

CHAPITRE I I.

Des Noms, et premièrement des Substantifs et Adjectifs.

LES objets de nos pensées sont ou les choses, comme la terre, le soleil, l'eau, le bois, ce qu'on appelle ordinairement substance; ou la manière des choses, comme d'être rond, d'être rouge, d'être dur, d'être savant, etc. ce qu'on appelle accident.

Et il y a cette différence entre les choses et les substances, et la manière des choses ou des accidens; que les substances subsistent par elles-mêmes, au lieu que les accidens ne sont que par les substances.

C'est ce qui a fait la principale différence entre les mots qui signifient les objets des pensées: car ceux qui signifient les substances ont été appelés noms substantifs ; et ceux qui signifient les accidens, en marquant le sujet auquel ces accidens conviennent, noms adjectifs.

Voilà la première origine des noms substantifs et adjectifs. Mais on n'en est pas demeuré là ; et il se trouve qu'on ne s'est pas tant arrêté à la signification qu'à la manière de signifier. Car, parce que la substance est ce qui subsiste par soi-même, on a appelé noms substantifs tous ceux qui subsistent par eux-mêmes dans le dis

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