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à Guillaume de Lorris, et à Jéhan de Mehun, fut aussi un monument littéraire de ce temps. Quoique le fonds de ce roman n'ait rien d'attachant, ni d'ingénieux, il est encore trèsrecherché par les amateurs du vieux langage.

La France ne comptoit encore que ces auteurs barbares, lorsque la langue italienne se formoit, devenoit harmonieuse, et se prêtoit à l'enthousiasme de la poésie. Au milieu des discordes des Guelphes et des Gibelins, parmi les dissentions d'une république qui ne trouva le repos qu'en recevant les lois des Médicis, le Dante, citoyen séditieux et poëte énergique, débrouilla le chaos de l'idiome grossier que les Goths avoient substitué à la langue romaine. Ses poëmes que les Italiens même ont peine à comprendre aujourd'hui, parce qu'ils sont remplis d'allusions aux événemens dont il fut témoin et auxquels il prit part, firent les délices de son temps, produisirent une révolution favorable aux lettres, et doivent être considérés comme le premier monument de la langue toscane. Plusieurs mots employés par ce poëte, ont été bannis, lorsque l'idiome italien s'est perfectionné, et se retrouvent dans notre langue ; cela prouve qu'à cette époque le françois difdu langage de l'Italie..

féroit

peu

Les malheurs de la France, beaucoup plus graves que ceux des Florentins, retardèrent les progrès de la littérature, et la formation de la langue françoise. Lorsqu'après les troubles civils qui suivirent la captivité du roi Jean, les peuples dûrent quelques années de repos à la sagesse et à la prudence de Charles V, les lettres furent sur le point de renaître. Ce prince, qui les aimoit, fit rassembler dans son palais les livres les plus estimés de son temps, et jeta les fondemens de la bibliothèque impériale, la plus complète, peut-être, qui existe. Sous son règne, Froissard se distingua comme poëte et comme historien. Les chroniques de cet auteur, qui ont été d'une si grande utilité aux historiens françois, deviennent plus intelligibles que les récits de Joinville. On y remarque que la langue a fait des progrès sensibles; les règles grammaticales sont moins arbitraires, et l'on trouve même une sorte d'élégance.

Les poésies de Froissard, parmi lesquelles on distingue, sur-tout, les pastourelles, sont presque toutes galantes; quelquefois elles sont trop libres. Ce fut lui qui réussit le premier dans la ballade. Pour faire connoître le langage de Froissard, je citerai quelques vers d'une

pièce intitulée

la Prison d'amour. L'auteur

y peint la mort cruelle de Gabrielle de Vergy.

La châtelaine de Vergy

Et le châtelain de Coucy,

Qui, outre mer, mourut de doël,

Tout pour la dame de Fayel.

Après la mort du Baceler (1),
On ne le peut, ni doit céler,
Parce qu'on vouloit se vangier
Des vrais amans on fit wangier
La dam' le cœur de son ami.

Gabrielle, instruite de cette horreur,

<< Jamais plus boire ne me faut,
>> Car sur mortel (2) si précious,
>> Si doux et si delicious,
» Nul boire ne pourrai prendre
On ne lui put puis faire entendre
Qu'elle voisist (3) manger, ni boire.
Cette matere (4) est toute voire (5).

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dit:

On voit que la langue s'étoit un peu adoucie du temps de Froissard. Au lieu de doel, on au

(1) Bachelier.

(2) Morceau.

(3) Voulût.

(4) Matière.

(5) Vraie.

rait dit doil, sous le règne de saint Louis. Les verbes se conjuguent mieux, et la construction devient directe, ce qui est le caractère de la langue françoise.

Mais l'Italie avoit fait de plus grands pas vers la perfection du langage. Pétrarque y florissoit dans le quatorzième siècle. Il adoucit les expressions trop rudes dont s'étoit servi le Dante; il rendit les constructions plus claires, et il fixa la syntaxe. Heureux si, en donnant à la langue italienne l'élégance qui lui est particulière, il eût banni les licences que le Dante avoit introduites dans ses poëmes. Quelques auteurs modernes ont attribué à cette faculté que les Italiens se sont donnée de faire des élisions, de supprimer des syllabes entières, de syncoper les temps des verbes, de multiplier les mots parasites, la facilité qu'ils eurent de perfectionner de bonne heure leur langue. J'espère prouver au contraire, quand j'aurai occasion d'en parler, que l'absence des difficultés dans la poésie, est la principale cause d'une prompte décadence.

Après quatre siècles, on admire encore les poésies de Pétrarque. L'amour qui avoit été peint par Virgile, avec tant de sensibilité et d'énergie, prend, sous le pinceau de l'amant de Laure, un coloris chevaleresque, une rete

nue, et une décence absolument inconnus aux anciens. Si le goût qui s'est formé depuis, relève, dans Pétrarque, un retour trop fréquent des mêmes idées et des mêmes termes, un peu d'affectation, des sentimens forcés, et quelques traits de faux bel esprit, il ne peut manquer d'adopter ces odes charmantes qui ont été imitées dans toutes les langues, qui servent encore de modèles aux poésies amoureuses, et qui ont rendu si fameuse la fontaine de Vaucluse.

Pétrarque passa une partie de sa vie à la cour du pape Clément vi qui résidoit à Avignon. Le caractère des habitans du midi de la France avoit plus d'un rapport avec celui des peuples de l'Italie. Le succès que les poésies de Pétrarque obtinrent en Languedoc et en Provence, adoucit lelangage de ces provinces, mais ne le fixa point. Ce patois s'enrichit de mots sonores, et seroit peut-être devenu la langue nationale, si quelque poëte célèbre lui eût assigné des règles, et l'eût épuré (1). Il s'est conservé jusqu'à présent, et n'a produit que quelques poésies amoureuses, agréables par leur naïveté, et par la vivacité des sentimens qui y dominent.

(1) On peut s'en former une idée en lisant les poésies de Goudouli.

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