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M. de Volney, auteur d'une Grammaire arabe, avoit pensé que les caractères de cette langue présentoient trop de difficultés aux lecteurs européens; et il avoit imaginé d'y substituer des caractères grecs et romains qui répondoient à-peu-près aux vingt-neuf consonnes arabes. Cette méthode, qui rendoit plus facile l'étude d'une langue si différente de la nôtre, n'obtint aucun succès. Les étudians sentirent que ce changement, en dénaturant la langue, les mettroit dans l'impossibilité de se faire lire, et ils aimèrent mieux apprendre l'alphabet arabe, que d'adopter, avec moins de peine, une orthographe imaginaire. Cet exemple peut servir à prouver l'inutilité des systèmes grammaticaux qui s'éloignent de l'usage pratiqué par les peuples.

QUOIQUE

CHAPITRE II I.

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UOIQUE cette Grammaire soit remplie d'excellentes réflexions, on y trouve plusieurs choses qui font voir que la nature des sons de la langue n'étoit pas alors parfaitement connue et c'est encore aujourd'hui une matière assez neuve. Je ne connois point de Grammaire, même celle-ci, qui ne soit en défaut sur le nombre et sur la nature des sons. Tout grammairien qui n'est pas né dans la Capitale, ou qui n'y a pas été élevé dès l'enfance, devroit s'abstenir de parler des sons de la langue. Lorsque je lus la Grammaire du P. Buffier, j'ignorois qu'il fût Normand, je m'en aperçus dès la première page à l'accentuation. Son ouvrage est d'ailleurs celui d'un homme d'esprit. J'en parlois un jour à M. du Marsais, qui, n'ayant pas totalement perdu l'accent de sa province, fut assez frappé de mes idées, pour m'engager à lui donner l'état des sons de notre langue,

tels que je les avois observés. J'en ai fait depuis la matière de mes premières remarques sur cette Grammaire. Le libraire qui se proposoit d'en donner une nouvelle édition, me les ayant demandées, je les lui ai abandonnées avec les différentes notes que j'avois faites sur quelques chapitres de l'ouvrage, sans prétendre en avoir fait un examen complet; car je m'étois borné à des observations en marge, sur ce qui m'avoit paru de plus essentiel. Je ne comptois pas les faire jamais paroître, je n'ai cédé qu'aux sollicitations du libraire, et n'ai fait que peu d'additions à ce que j'avois écrit sur les marges et le blanc des pages de l'imprimé.

Il faut d'abord distinguer la syllabe réelle et physique, de la syllabe d'usage, et la vraie diphtongue de la fausse. J'entends par syllabe d'usage, celle qui, dans nos vers, n'est comptée que pour une, quoique l'oreille soit réellement et physiquement frappée de plusieurs sons.

La syllabe étant un son complet, peut être formée ou d'une voyelle seule, ou d'une voyelle précédée d'une consonne qui la modifie. Ami est un mot de deux syllabes ; a forme seul la première, et mi la seconde.

Pour distinguer la syllabe réelle ou physique, de la syllabe d'usage, il faut observer que toutes les fois que plusieurs consonnes de suite se font sentir dans un mot, il y a autant de syllabes réelles qu'il y a de ces consonnes qui se font entendre, quoiqu'il n'y ait point de voyelle écrite à la suite de chaque consonne : la prononciation suppléant alors un e muet, la syllabe devient réelle pour l'oreille, au lieu que les syllabes d'usage ne se comptent que par le nombre des voyelles qui se font entendre et qui s'écrivent. Voilà ce qui distingue la syllabe physique ou réelle, de la

syllabe d'usage. Par exemple, le mot armateur seroit en vers de trois syllabes d'usage, quoiqu'il soit de cinq syllabes réelles, parce qu'il faut suppléer un e muet après chaque r; on entend nécessairement aremateure. Bal est monosyllabe d'usage, et dissyllabe physique. Amant est dissyllabe réel et d'usage, aimant l'est aussi, parce que ai n'est là que pour è, et qu'on n'entend qu'une voyelle.

C'est par cette raison que dans nos vers " qui ne sont pas réductibles à la mesure du temps comme ceux des Grecs et des Latins, nous en avons tels qui sont à la fois de douze syllabes d'usage et de vingt-cinq à trente syllabes physiques.

A l'égard de la diphtongue, c'est une syllabe d'usage formée de deux voyelles, dont chacune fait une syllabe réelle, Dieu, cieux, foi, oui, lui. Il faut pour une diphtongue que les deux voyelles s'entendent, sans quoi ce qu'on appelle diphtongue et triphtongue n'est qu'un son simple, malgré la pluralité des lettres. Ainsi, des sept exemples cités dans cette Grammaire, il y en a deux faux : la première syllabe d'ayant n'est point une diphtongue; la première syllabe de ce mot est, quant au son, un a dans l'ancienne prononciation qui étoit a-ïant, ou un è dans l'usage actuel qui prononce ai-ïant. La dernière syllabe est la nasale ant, modifiée par le mouillé foible ï. A l'égard des trois voyelles du mot beau, c'est le simple son o écrit avec trois caractères. Il n'existe point de triphtongue. Les Grammairiens n'ont pas assez distingué les vrais diphtongues des fausses, les auriculaires de celles qui ne sont qu'oculaires.

Je pourrois nommer transitoire le premier son de nos diphtongues, et reposeur le second, parce que le premier

se prononce toujours rapidement, et qu'on ne peut faire de tenue que sur le second. C'est sans doute pour cela que la première voyelle est toujours une des petites, i dans

que

ciel, u dans nuit, et ou dans oui; car, quoique l'on écrive loi, foi, moi, avec un o, on n'entend le son ou, comme si l'on écrivoit louè, fouè, etc. mais cette voyelle auriculaire ou, écrite avec deux lettres, faute d'un caractère propre, se prononce très-rapidement.

C'est encore à tort qu'on dit dans cette Grammaire, en parlant de l'union des consonnes et des voyelles, soit qu'elles les suivent, soit qu'elles les précèdent : cela ne pourroit se dire que de la syllabe d'usage; car dans la syllabe physique, la consonne précède toujours, et ne peut jamais suivre la voyelle qu'elle modifie; puisque les lettres met n, caractéristiques des nasales, ne font pas la fonction de consonnes, lorsqu'elles marquent la nasalité; l'une ou l'autre n'est alors qu'un simple signe qui supplée au défaut d'un caractère qui nous manque pour chaque nasale.

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Le dernier article du chapitre ne doit s'entendre que des syllabes d'usage, et non des réelles; ainsi stirps est un monosyllabe d'usage, et il est de cinq syllabes physiques.

Puisque j'ai fait la distinction des vraies et des fausses diphtongues, il est à propos de marquer ici toutes les

vraies.

Après les avoir examinées et combinées avec attention, je n'en ai remarqué que seize différentes, dont quelquesunes même se trouvent dans très-peu de mots.

DIPHTONGUES.

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uin.

oua.

ouan.

oè, oi, ouai. oin, ouin. oui.

pioche, piautre.

pion.

Alpiou, (terme de jeu. )

écuelle, équestre.

lui.

Alcuin, Quinquagésime.

Toutes nos diphtongues, dont la voyelle transitoire est un o, se prononçant comme si c'étoit un ou, je les range dans la même classe.

couacre.

Écouan. (le château d')

boète, loi, mois, ouais. (interjection.) loin, marsouin.

oui. (affirmation.)

LA distinction faite par M. Duclos des syllabes réelles et des syllabes d'usage, est très-ingénieuse. Elle a quelque rapport avec celle que M. Bauzée a adoptée. M. Duclos trouve dans le mot armateur trois syllabes d'usage, ar ma teur, et cinq syllabes réelles, puisque l'on prononce ce mot comme s'il y avoit un scheva ou e muet après la syllabe ar et après la syllabe teur: aremateure. M. Bauzée se conforme au principe posé par M. Duclos ; mais il pense que l'on doit donner aux syllabes d'usage le nom d'artificielles, parce que, dit-il, Cc

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