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règles, que je connois peut-être comme eux, et il s'en faut bien qu'ils aient présent à l'esprit tout ce qu'ils ont écrit sur la Grammaire; quoiqu'il soit utile que ces règles, c'est-àdire, les observations sur l'usage, soient rédigées, écrites et consignées dans les méthodes analogiques. Peu de règles, beaucoup de réflexions, et encore plus d'usage, c'est la clef de tous les arts. Tous les signes prosodiques des anciens, supposé que l'emploi en füt bien fixé, ne valoient pas encore l'usage.

On ne doit pas confondre l'accent oratoire avec l'accent prosodique. L'accent oratoire influe moins sur chaque syllabe d'un mot, par rapport aux autres syllabes, que sur la phrase entière par rapport au sens et au sentiment: il modifie la substance même du discours, sans altérer sensiblement l'accent prosodique. La prosodie particulière des mots d'une phrase interrogative, ne diffère ne diffère pas de la prosodie d'une phrase affirmative, quoique l'accent oratoire soit très-différent dans l'une et dans l'autre. Nous marquons dans l'écriture l'interrogation et la surprise; mais combien avonsnous de mouvemens de l'ame, et par conséquent d'inflexions oratoires, qui n'ont point de signes écrits, et que l'intelligence et le sentiment peuvent seuls faire saisir! Telles sont les inflexions qui marquent la colère, le mépris, l'ironie, etc. etc. L'accent oratoire est le principe et la base de la déclamation.

M. DUCLOS se plaint avec raison de ce que MM. du Port-Royal n'ont point parlé de l'usage que les accens ont ét peuvent avoit en françois. Les moyens qu'il propose pour marquer exactement notre prosodie, sont presque impossibles dans une langue fixée depuis

long-temps. L'usage de la bonne compagnie supplée très-bien à ce qui peut nous manquer sous ce rapport.

Chez les Grecs, le mot prosodie répondoit parfaitement à celui d'accent. Пpoowdia est composé de deux mots, Пpos qui répond au mot latin ad, et d'♪', qui se traduit par cantus. De ces deux mots, ad cantus, les Romains ont formé accentus, d'où nous avons tiré notre mot d'accent.

Les Grammairiens modernes ont partagé la prosodie, dont ils ont fait un terme général, en trois parties, les accens, l'aspiration et la quantité. L'abbé d'Olivet observe très-bien qu'aucun langage ne peut être uniforme dans ses sons. Une telle monotonie seroit insupportable à l'oreille la moins délicate. Les cris même des animaux éprouvent une certaine variation de tons. L'académicien en conelut que les peuples les plus sauvages ont leur prosodie. Mais il y a cette différence entre les langues barbares et les langues perfectionnées, que les premières n'ont aucune régularité dans leur accent, et que les secondes ont plus ou moins de règles fixes. L'abbé d'Olivet trouve les premières traces de notre prosodie dans les poésies en vers mesurés de Marc-Claude Butet, qui parurent en 1561. Plusieurs poëtes du même temps cultivèrent ce genre de poésie qui a été abandonné jusqu'à l'époque récente où M. Turgot a essayé, sans succès, de faire des vers françois non rimés d'après les règles prosodiques des Grecs et des Latins.

Outre l'accent prosodique et l'accent oratoire que M. Duclos définit très-bien, on compte encore l'accent musical et l'accent provincial. L'accent musical consiste, ainsi que les deux premiers, à élever ou à baisser la voix. Mais il a cette différence sur-tout avec l'accent oratoire, que ses opérations sont assujetties à des intervalles certains, et que l'on ne peut s'écarter des mesures sans enfreindre les lois de la musique. Je n'ai pas besoin de m'étendre sur l'accent provincial. Il tient à la prononciation vicieuse des provinces éloignées de la capitale. Quand on a dit que pour bien parler françois il ne falloit pas avoir d'accent, on n'a pas voulu faire entendre, observe l'abbé d'Olivet, qu'il falloit être monotone, on a seulement voulu dire

qu'il ne faut pas avoir l'accent de telle ou telle province; car chaque province a le sien.

Il existe dans l'accent oratoire un art dont MM. Duclos et d'Olivet n'ont point parlé, c'est celui d'employer heureusement ce qu'on appelle les mots de valeur. Dans toute espèce de phrase, et presque toujours dans un seul vers, il se trouve un mot sur lequel il est nécessaire d'appuyer. C'est le moyen infaillible de bien graver dans l'esprit de l'auditeur l'idée que l'on exprime. Les constructions latines étoient très-propres à remplir cet objet. L'orateur avoit presque toujours soin de mettre à la fin de la phrase le mot qui devoit produire le plus d'effet. On en voit un exemple dans cette phrase de Quinte-Curce : « Darius tanti modo exercitûs rex, qui triumphantis magis, quam dimicantis more curru sublimis inierat prælium; per loca, quæ prope immensis agminibus compleverat, jam inania, ex ingenti solitudine vasta, fugiebat ». Le mot fugiebat est celui qui produit le plus d'effet dans cette phrase par le contraste qu'il fait avec la fortune passée de Darius.

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Les aspirations ne sont point l'objet du chapitre de la Grammaire générale. Quant à la quantité, on sait qu'elle est très-douteuse dans la langue françoise. L'abbé d'Olivet a cherché à fixer celle d'un grand nombre de mots.

CHAPITRE V.

MESSIEURS LESSIEURS de P. R. après avoir exposé dans ce chapitre les meilleurs principes typographiques, ne sont arrêtés que par le scrupule sur les étymologies; mais ils proposent du moins un correctif qui fait voir que les caractères superflus devroient être ou supprimés, ou distingués. Il est vrai qu'on ajoute aussitôt : Ce qui ne soit dit que pour exemple. Il semble qu'on ne puisse proposer la vérité qu'avec timidité

et réserve.

On est étonné de trouver à la fois tant de raison et de préjugés. Celui des étymologies est bien fört, puisqu'il fait regarder comme un avantage ce qui est un véritable défaut; car enfin les caractères n'ont été inventés que pour représenter les sons. C'étoit l'usage qu'en faisoient nos anciens : quand le respect pour eux nous fait croire que nous les imitons, nous faisons précisément le contraire de ce qu'ils faisoient. Ils peignoient leurs sons: si un mot eût alors été composé d'autres sons qu'il ne l'étoit, ils auroient employé d'autres caractères. Ne conservons donc pas les mêmes pour des sons qui sont devenus différens. Si l'on emploie quelquefois les mêmes sons dans la langue parlée, pour exprimer des idées différentes, le sens et la suite des mots suffisent pour ôter l'équivoque des homonymes. L'intelligence ne feroit-elle pas pour la langue écrite ce qu'elle fait pour langue parlée? par exemple, si l'on écrivoit champ de campus, comme chant de cantus, en confondroit-on plutôt la signification dans un écrit que dans le discours? L'esprit

la

seroit-il là-dessus en défaut? N'avons-nous pas même des homonymes dont l'orthographe est pareille? cependant on n'en confond pas le sens. Tels sont les mots son, sonus; son, furfur; son, suus, et plusieurs autres.

L'usage, dit-on, est le maître de la langue; ainsi il doit décider également de la parole et de l'écriture. Je ferai ici une distinction. Dans les choses purement arbitraires, on doit suivre l'usage, qui équivatit alors à la raison : ainsi l'usage est le maître de la langue parlée. Il peut se faire que ce qui s'appelle aujourd'hui un livre, s'appelle dans la suite un arbre; que vert signifie un jour la couleur rouge, et rouge la couleur verte, parce qu'il n'y a rien dans la náture ni dans la raison qui déterminé un objet à être désigné par un son plutôt que par un autre l'usage qui varié là-dessus n'est point vicieux, puisqu'il n'est point inconséquent, quoiqu'il soit inconstant. Mais il n'en est pas ainsi de l'écriture: tant qu'une convention subsiste, elle doit s'observer. L'usage doit être conséquent dans l'emploi d'un signe dont l'établissement étoit arbitraire: il est inconséquent et en contradiction, quand il donne à des caractères assemblés une valeur différente de celle qu'il leur a donnée et qu'il leur conserve dans leur dénomination ; à moins que ce ne soit une combinaison nécessaire de caractères, pour en représenter un dont on manque. Par exemple, on unit un e et un u pour exprimer le son et dans feu; un o et un z pour rendre le son du dans cou. Ces voyelles eu et dü n'ayant point de caractères propres, la combinaison qui se fait de deux lettres ne forme alors qu'un seul signe. Mais on peut dire que l'usage est vicieux, lorsqu'il fait des combinaisons inutiles de lettres qui perdent leur son, pour

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