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poli, dont le goût étoit formé, dont le langage étoit fixé, et qui étoit parvenu à un degré de civilisation dont le reste de l'Europe étoit encore très-éloigné. Dès-lors, une multitude de relations s'établit entre les deux peuples; les gens de lettres lièrent des correspondances utiles; il s'introduisit une espèce de rivalité où, long-temps encore, les François furent inférieurs à ceux qu'ils avoient pris pour modèles. Du temps de Pétrarque, la langue françoise avoit emprunté plusieurs mots et plu sieurs constructions à la langue italienne. J'ai montré les effets du séjour de ce poëte célèbre dans les provinces méridionales. A l'époque de la conquête de Charles VIII, l'influence littéraire de l'Italie sur la France, fut beaucoup plus forte; et les imitations que nos poëtes firent des poésies toscanes, frayèrent la route à Clément Marot et à Malherbe. Malgré l'harmonie et la douceur d'une langue qui devoient séduire un peuple dont le langage étoit encore barbare, lorsque nous adoptâmes de nouveaux mots, lorsque nous perfectionnâmes la tournure de nos phrases, nous gardâmes nos constructions directes, et nos terminaisons variées. Le caractère particulier de la langue françoise ne changea point.

Cependant une cause très-importante nuisit long-temps aux progrès de la langue françoise. Quoique nos auteurs eussent été à portée de connoître les chefs-d'œuvres de l'antiquité, et les heureux essais qui avoient été tentés par les Italiens, ils n'avoient pas su distinguer d'une manière précise les différens genres de style. On n'avoit pas fait un choix judicieux de mots nobles que l'on pût employer, soit à la poésie héroïque, soit à la haute éloquence. En confondant ainsi toutes les ressources de la langue, en faisant entrer les termes familiers dans les discours et les écrits les plus sérieux, nous étions. parvenus à nous exprimer d'une manière naïve et souvent agréable; mais nous ignorions les moyens de donner à la diction ce ton majestueux et énergique qui convient aux grands sujets. Nous avions obtenu des succès dans les poésies gaies et galantes, dans les mémoires dont la familiarité fait le charme; mais nous n'avions point de grands poëmes, point d'odes, point d'histoires. On convenoit assez généralement que la langue d'un peuple, aussi vif brave, qui, comme le dit un historien italien (1), consoloit les vaincus, en dépensant

(1) Machiavel, Ritratto della Francia.

que

avec eux l'argent qu'il leur avoit enlevé, devoit être propre à des chansons de table, à des poésies érotiques, aux traits d'une conversation folâtre ; mais on pensoit qu'elle ne pouvoit se prêter au genre noble dans lequel le Dante et Pétrarque s'étoient exercés.

La prose italienne, à laquelle Bocace avoit donné tant de grâce et d'élégance, acquit plus de force, et prit un caractère plus sévère, lorsqu'elle fut employée par Machiavel. Dans des traités de politique, et dans une histoire, cet écrivain la rendit propre à exprimer des idées énergiques et neuves. Il la plia aux règles du raisonnement, et quelquefois il lui donna la précision et la vigueur de Tacite. Il fit aussi quelques poésies qui furent estimées. Mais il étoit réservé à l'Arioste de porter cette langue à son plus haut degré de perfection. Convaincu qu'il acquerroit plus de gloire, en écrivant son principal ouvrage dans la langue nationale, il rejeta la proposition qui lui fut faite par le cardinal Bembo, de composer le Roland furieux en vers latins. Par des comédies, par des satires, et par un poëme où se trouvent réunis, dans un ensemble peut-être trop peu régulier, tous les genres de beautés poétiques, il montra quel parti il étoit possible de tirer de la langue ita

lienne. Elle fut alternativement douce, sonore, héroïque; elle rendit avec la même facilité les passions fortes, les sensations gaies, les tableaux majestueux, et les portraits rians. Elle devint descriptive, lorsque le poëte vouloit peindre; passionnée, lorsqu'il vouloit émouvoir; vive et légère dans la comédie, piquante et ingénieuse dans la satire.

François rer, dont le règne fut si brillant et si malheureux, protégea la littérature françoise, et la langue fit de plus grands pas vers sa perfection. C'est sous ce règne que se formèrent les semences des troubles qui ensanglantèrent les règnes suivans, et qui rendirent moins puissans les efforts du monarque pour faire renaître les belles-lettres. Ce prince, doué de toute la franchise d'un chevalier, n'opposa à un rival redoutable, et peu scrupuleux sur les moyens d'arriver à son but, que le courage et la loyauté ; et cette lutte inégale affoiblit pour long-temps la France, qui ne se releva avec éclat que sous le règne de Louis XIV. Dans les intervalles trop courts de repos dont jouit François 1er, les fêtes somptueuses qu'il donna, les réunions brillantes qu'il forma à sa cour, la galanterie noble qui s'y introduisit, l'influence des femmes dont l'éducation commen

çoit à être moins négligée, et que l'on ne confinoit plus dans des châteaux, firent contracter l'habitude de s'exprimer avec grâce; et la délicatesse se joignit à la naïveté simple des règnes précédens. L'esprit de société prit naissance. La culture des lettres n'appartint plus exclusivement aux savans qui ne pouvoient s'empêcher d'y mêler du pédantisme. On s'en occupa dans les cercles; on se permit d'en juger; le goût et la langue dûrent beaucoup à cette heureuse innovation.

François rer ne borna pas ses soins à l'impulsion qu'il avoit donnée aux personnes de sa cour. Il fonda le Collège de France qui s'est conservé jusqu'à nos jours. Cet établissement fut consacré, dès son origine, à perfectionner l'enseignement littéraire qu'on recevoit dans les colléges de l'université. L'étude du grec qui avoit été négligée, fut cultivée dans ce collége, et l'on y embrassa toutes les parties des sciences et de la belle littérature.

Nos relations avec l'Italie continuèrent sous ce règne, et la langue françoise s'enrichit encore des trésors littéraires dûs à la protection éclairée des Médicis et de la maison d'Est. On commença à reconnoître, principalement dans les poésies légères, une différence marquée

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