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CHAPITRE VII.

Les premiers Grammairiens n'ont seulement pas soupçonné

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qu'il y eût la moindre difficulté sur la nature de l'article ; ils ont cru simplement qu'il ne servoit qu'à marquer les genres. Une seconde classe de Grammairiens plus éclairés, à la tête desquels je mets MM. de P. R. du moins pour la date en voulant éclaircir la question, n'ont fait que marquer la difficulté, sans la résoudre. Je n'ai trouvé la matière approfondie que par M. du Marsais. (V. le mot ARTICLE dans l'Encyclopédie.) Mais ce qu'il en a dit est un morceau de philosophie qui pourroit n'être pas à l'usage de tous les lecet n'a peut-être ni toute la précision ni toute la

tears,

clarté possible.

Pour me renfermer dans des limites plus proportionnées à l'étendue de cette Grammaire qu'à celle de la matière, j'observerai d'abord que ces divisions d'articles, défini, indéfini, indéterminé, n'ont servi qu'à jeter de la confusion sur la nature de l'article.

Je ne prétends pas dire qu'un mot ne puisse être pris dans un sens indéfini, c'est-à-dire, dans sa signification vague et générale; mais, loin qu'il y ait un article pour la marquer, il faut alors le supprimer. On dit, par exemple, qu'un homme a été traité avec honneur. Comme il ne s'agit pas de spécifier l'honneur particulier qu'on lui a rendu, on n'y met point d'article, honneur est pris indéfiniment. Avec honneur, ne veut dire qu'honorablement ;

honneur est le complément d'avec, et avec honneur est le complément de traité. Il en est ainsi de tous les adverbes qui modifient un verbe.

Il n'y a qu'une seule espèce d'article, qui est le pour le masculin, dont on fait la pour le féminin, et les pour le pluriel des deux genres. Le bien, la vertu, l'injustice; les biens, les vertus, les injustices. L'article tire un nom d'une signification vague, pour lui en donner une précise et déterminée, soit singulière, soit plurielle.

ques

On pourroit appeler l'article un prénom, parce que ne signifiant rien par lui-même, il se met avant tous les noms pris substantivement, à moins qu'il n'y ait un autre prépositif qui détermine le sujet dont on parle, et fasse la fonction de l'article; telles sont, tout, chaque, nul, quelque, certain, ce, mon, ton, son, un, deux, trois, et tous les autres nombres cardinaux. Tous ces adjectifs métaphysidéterminent les noms communs, qui peuvent être considérés universellement, particulièrement, singulièrement, collectivement ou distributivement. Tout homme marque distributivement l'universalité des hommes; c'est les prendre chacun en particulier. Les hommes marquent l'universalité collective ce qu'on dit des hommes en général est censé dit de chaque individu; c'est toujours une proposition universelle. Quelques hommes marquent des individus particuliers; c'est le sujet d'une proposition particulière. Le Roi, fait le sujet d'une proposition singulière. Le peuple, l'armée, la nation, sont des collections considérées comme autant d'individus particuliers.

La destination de l'article, est donc de déterminer et individualiser le nom commun ou appellatif dont il est le

prépositif, et de substantifier les adjectifs, comme le vrai, le juste, le beau, etc. qui, par le moyen de l'article, deviennent des substantifs. C'est ainsi qu'on supprime l'article des substantifs qu'on veut employer adjectivement. Exemple: le grammairien doit être philosophe, sans quoi il n'est pas grammairien. Comme sujet de la proposition, grammairien est substantif; mais comme attribut, il devient adjectif, ainsi que philosophe, qui, étant substantif de sa nature, est pris ici adjectivement.

On ne met point d'article avant les noms propres, du moins en françois, parce que le nom propre ne peut marquer par lui-même qu'un individu. Socrate, Louis, Charles, etc.

A l'égard de ce que les Grammairiens disent des articles indéfinis, indéterminés, partitifs, moyens, il est aisé de voir, ou que ce ne sont point des articles, ou que c'est l'article tel que nous venons de le marquer.

Un homme m'a dit. Un marque l'unité numérique, un certain, quidam, puisque le même tour de phrase s'employoit par les Latins, qui n'avoient point d'article: Fortè unam aspicio adolescentulam, Ter. Unam est pour quamdam. Un n'est en françois que ce qu'il est en latin, où l'on disoit uni et unae, comme nous disons les uns.

Des n'est point l'article pluriel indéfini de un ; c'est la préposition de unie par contraction avec l'article les, pour signifier un sens partitif individuel. Ainsi des savans m'ont dit, est la même chose qué certains, quelques, quelquesuns de les, ou d'entre les savans m'ont dit. Des n'est donc pas le nominatif pluriel de un, comme le disent MM. de P. R., le vrai nominatif est sous-entendu.

Quand on dit, la justice de Dieu : de n'est nullement un article; c'est une préposition qui sert à marquer le rapport d'appartenance, et qui répond ici au génitif des Latins, justitia Dei: de n'est donc qu'une préposition comme toutes les autres, qui servent à marquer différens rapports.

Un palais de Roi : de n'est point ici un article ; c'est une préposition extractive, qui, avec son complément Roi, équivaut à un adjectif. De Roi veut dire royal: Palatium regium. Un temple de marbre; de marbre équivaut à un adjectif: Templum marmoreum, ou de marmore. De ne peut jamais être un article; c'est toujours une préposition servant à marquer un rapport quelconque.

Il faut distinguer le qualificatif adjectif d'espèce ou de sorte, du qualificatif individuel. Exemple. Un salon de marbre, de marbre est un qualificatif spécifique adjectif; au lieu que si on dit un salon du marbre qu'on a fait venir d'Egypte, du marbre est un qualificatif individuel ; c'est pourquoi on y joint l'article avec la préposition, du de le.

est pour

On voit par les applications que nous venons de faire, qu'il n'y a qu'un article proprement dit, et que les autres particules que l'on qualifie d'articles, sont de toute autre nature; mais il y a plusieurs mots qui font la fonction d'articles, tels que les nombres cardinaux, les adjectifs possessifs, enfin tout ce qui détermine suffisamment un objet.

Quelques Grammairiens ont pris la précaution de prévenir qu'ils se servoient du mot article pour suivre le langage ordinaire des Grammairiens. Mais quand il s'agit de discuter des questions déja assez subtiles par elles-mêmes,

on doit sur-tout éviter les termes équivoques; il faut en employer de précis, dût-on les faire. Les hommes ne sont que trop nominaux : quand leur oreille est frappée d'un mot qu'ils connoissent, ils croient comprendre, quoique souvent ils ne comprennent rien.

Pour éclaircir d'autant plus la question concernant l'article, examinons son origine, suivons-en l'usage, et comparons enfin ses avantages avec ses inconvéniens. L'article tire son origine du pronom ille, que les Latins employoient souvent pour donner plus de force au discours. Illa rerum domina fortuna, Catonem illum sapientem, Cic. Ille ego. Virg.

Quoique ce pronom démonstratif et métaphysique réponde plus aujourd'hui à notre ce qu'à notre le, notre premier article ly ou li, qu'on trouve si souvent pour le dans Ville-Hardouin, étoit démonstratif dans son origine; mais à force d'être employé, il ne fut plus qu'un pronom explétif. Ly, et ensuite le, devint insensiblement le pronom inséparable de tous les substantifs; de façon qu'en se joignant à un'adjectif seul, il le fait prendre substantivement, comme nous venons de le voir. Les Italiens mettent l'article même aux noms propres, ainsi qu'en usoient les Grecs.

Il ne s'agit donc plus d'examiner si nous pouvons employer ou supprimer l'article dans le discours, puisqu'il est établi par l'usage, et qu'en fait de langue l'usage est la loi; mais de savoir si, philosophiquement parlant, l'article est nécessaire? S'il n'est qu'utile? Dans quelles occasions il l'est? S'il y en a où il est absolument inutile pour le sens et s'il a des inconvéniens?

• Je répondrai à ces différentes questions, en commençant

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