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Il est encore lu par quelques littérateurs qui se flattent de l'entendre, et qui, pour faire un petit nombre de rapprochemens curieux, ont la patience et le courage de supporter les turpitudes et les farces dégoûtantes dont son ouvrage est rempli.

L'année de la mort de Marot vit naître le Tasse. C'étoit à lui qu'il étoit réservé de faire prendre à la langue italienne un essor qu'elle n'avoit pas encore eu. L'Arioste avoit montré l'étonnante variété de ses ressources; le Trissin l'avoit employée sans succès dans un long poëme épique; le Tasse seul sut l'élever et la soutenir au ton de l'épopée. Dans ce poëte, elle est presque comparable aux langues anciennes. Les légères traces de faux bel-esprit, que Boileau appeloit avec raison du clinquant, disparoissent près des beautés innombrables dont ce poëme étincelle. Expressions constamment justes et nobles, tournures élégantes, suite heureuse de pensées, descriptions pittoresques, allégories ingénieuses, on trouve dans cet ouvrage toutes ces richesses; et ce qui prouve jusqu'à quel point il mérite l'estime que tous les peuples lui ont accordée, c'est qu'il se fait lire dans les traductions, épreuve que l'Arioste n'a ри soutenir. La langue italienne fut fixée à cette époque.

Depuis ce temps elle a dégénéré. Guarini, en imitant, dans le Pastorfido, l'Aminte du Tasse, tomba dans les défauts que j'ai déja reprochés aux Italiens. Il mit de la finesse et des subtilités dans une pastorale; et sa versification élégante, en couvrant une partie de ces défauts, lui procura un grand nombre d'imitateurs. Marini, qui vint après, poussa beaucoup plus loin ce goût vicieux. La préférence accordée à l'opéra sur tous les autres genres de littérature, les improvisateurs qui abusoient de la facilité de faire des vers, contribuèrent aussi à la décadence de la langue italienne. On ne vit plus que quelques auteurs qui se distinguèrent de loin en loin. Parmi eux on peut placer Apostolo Zeno, Métastase, Maffei, et, de nos jours, Alfieri et Pignotti.

Après l'époque où la Jérusalem délivrée répandit tant d'éclat sur la littérature italienne, finissent les rapports que nos auteurs avoient eus pendant si long-temps avec les auteurs italiens. La langue françoise se sépare sans retour de celle qui avoit contribué à la former. Nous n'imitons plus des auteurs que nous parviendrons bientôt à surpasser dans presque tous les genres de littérature. Notre langue, marchant à grands pas vers sa fixation, et renforçant

chaque jour son caractère distinctif, n'a plus besoin de s'appuyer sur une langue plus parfaite. Elle lui laisse son harmonie trop monotone, ses élisions, ses mots parasites, ses strophes, sa poésie sans rimes ses inversions multipliées, pour adopter irrévocablement une harmonie qui lui est propre, des difficultés poétiques sans nombre, une construction toujours claire et directe. Je vais donc cesser de faire des rapprochemens entre les deux langues, pour ne plus m'occuper que des progrès de la langue françoise.

Avant qu'on pût conduire cette langue au degré de perfection où elle arriva, plusieurs obstacles retardèrent encore sa marche pendant quelque temps. J'ai dit que les disputes de religion avoient donné aux esprits une direction contraire au bon goût et au perfectionnement des belles-lettres. Plusieurs hommes, doués de grands talens, et qui auroient pu honorer la littérature, se consumèrent dans l'étude de la controverse, et contractèrent l'habitude d'un ton pédantesque et dogmatique. Une autre cause nuisit encore plus aux développemens heureux de la langue françoise. Ronsard avoit remarqué que la diction de Marot ne pouvoit se prêter aux sujets nobles; et il en avoit con

clu qu'au lieu de chercher à faire un choix d'expressions relevées, il falloit opérer une révolution dans la langue, en y introduisant les richesses de la langue grecque et de la langue latine (1). Les succès qu'il obtint, et qu'il dut plutôt à quelques beaux vers épars dans ses ouvrages, qu'aux innovations dangereuses qu'il avoit osé tenter, l'enivrèrent au point qu'il ne garda plus aucune mesure. Il hérissa ses écrits de mots nouveaux, et l'on vit la langue d'Homère et celle de Virgile, tronquées et défigurées dans un jargon barbare. Cet abus fut heureusement porté si loin, qu'on n'entendit bientôt plus le poëte. Sa chute fut aussi prompte que son succès.

Ronsard jouit d'une grande faveur auprès de Charles IX, qui lui adressa souvent des vers. Il paroît que ce malheureux prince, entraîné à l'excès le plus affreux, par son inexpérience et

(1) On trouve la preuve des grands succès de Ronsard dans cette phrase de la Boëtie, auteur contemporain. << Notre » poésie françoise est maintenant, non-seulement accous»trée, mais, comme il semble, faicte tout à neuf par notre » Ronsard, qui, en cela, avance bien tant notre lan» gue, que j'ose espérer que bientôt les Grecs ni les Latins » n'auront guères, pour ce regard, devant nous, sinon » possible que le droit d'aînesse », Disc. sur la Serv. volont.

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par de perfides conseils, avoit un penchant décidé pour les belles-lettres, et que, sans les troubles qui désolèrent son règne, il auroit, par une protection constante, secondé les efforts de François 1o. « Quand il faisoit mau» vais temps ou pluie, ou d'un extrême chaud, » dit Brantôme, il envoyoit quérir messieurs » les poëtes, et là, passoit son temps avec eux », Que n'auroit-on pas dû attendre d'un jeune prince qui préféroit ainsi à des amusemens frivoles la conversation des hommes instruits? Ce goût pour la société des gens de lettres lui avoit été inspiré par Amiot, son précepteur, à qui nous devons une traduction de Plutarque. « Si n'est pas l'étude d'un roi, dit Amiot à > Charles IX, de s'enfermer seul en un' étude, » avecque force livres, comme feroit un homme privé, mais bien de tenir toujours auprès de » lui gens de savoir et de vertu, prendre plaisir à en deviser et conférer souvent avec >> eux, mettre en avant des propos à sa table, » et en ses privés passe-temps, en ouïr volon» tiers lire et discourir; l'accoustumance lui » en rend l'exercice peu à peu si agréable et si » plaisant, qu'il trouve, puis après, tous les >> autres propos fades, bas, et indignes de son » exaucement, et si fait qu'en peu d'années,

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