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l'on remarque cette aisance et cette légèreté qui doivent caractériser le genre, où l'on admire enfin cette gaîté soutenue dans le style et les situations, si éloignées des bouffonneries qui étoient alors en possession du théâtre. Le Menteur précéda les comédies de Molière. Dans cette pièce, qui est restée, le principal rôle est rempli de détails charmans; l'auteur y prend alternativement tous les tons; les narrations variées qu'il met dans la bouche du Menteur, réunissent toutes les sortes de beautés comiques, et le récit du pistolet sur-tout, est d'un naturel, d'une gaîté piquante que Molière lui-même n'a pas surpassés. Le rôle du valet crédule qui est toujours la dupe de son maître, quoiqu'il connoisse bien son caractère, contribue à faire ressortir le personnage du Menteur; et par des naïvetés exprimées dans un style toujours gai, jamais bouffon, augmente le comique de la situation.

Nous avons vu Corneille exceller dans la tragédie et dans la comédie. Qui croiroit qu'il mérita le même succès dans un genre dont l'on attribue généralement l'invention à Quinault? Jusqu'à présent vous n'avez remarqué dans les OEuvres de Corneille que les peintures terribles de l'amour tragique, l'expression des sentimens

sublimes qui semblent élever l'homme au-dessus de lui-même, et le premier modèle du style de la comédie. Maintenant vous allez y voir le tableau de l'amour tendre et naïf; et vous pourrez observer que l'auteur de Cinna ne tombe point dans la fadeur que l'auteur de l'Art poétique reprochoit justement à Quinault. Corneille avoit soixante-sept ans, lorsqu'il fut invité à remplir un canevas d'opéra fait par Molière. Le poëte sembla rajeunir pour contribuer aux plaisirs de Louis XIV. Son style, toujours énergique et nerveux, parut se détendre, si je puis m'exprimer ainsi; et la plus douce élégance succéda aux traits vigoureux de ses autres ouvrages. On en pourra juger par la déclaration de Psyché à l'Amour:

A peine je vousvois, que mes frayeurs cessées.
Laissent évanouir l'image du trépas,

Et que je sens couler dans mes veines glacées
Un je ne sais quel feu que je ne connois pas.
J'ai senti de l'estime et de la complaisance,
De l'amitié, de la reconnoissance;
De la compassion les chagrins innocens

M'en ont fait sentir la puissance.

Mais je n'ai point encor senti ce que je sens.

Tout ce que j'ai senti n'agissoit pas de même,
Et je dirois que je vous aime,

Seigneur, si je savois ce que c'est que d'aimer.

Peut-on reconnoître, dans l'auteur de ces vers doux et élégans, le poëte énergique et sévère qui traça le caractère des Horaces, celui de Cornélie, et le rôle de Cléopâtre dans Rodogune? Les meilleurs opéras de Quinault présentent-ils une suite de vers aussi nourris d'idées, aussi naturels, et sur-tout purgés de lieux communs? Mais j'en vais citer qui sont encore plus délicats, et mieux tournés. Psyché parle de ses parens, l'Amour s'en irrite; et la jeune fille lui demande s'il est jaloux des liens du sang. L'Amour 'répond :

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature.

Les rayons du soleil vous frappent trop souvent;
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent;
Dès qu'il les flatte, j'en murmure.

L'air même que vous respirez

Avec trop de plaisir passe par votre bouche,
Votre habit de trop près vous touche;
Et sitôt que vous soupirez,

Je ne sais quoi qui m'effarouche,

Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés.

Ces vers charmans peuvent servir à prouver que si Corneille, dans ses tragédies, n'a point fait parler l'Amour assez tendrement, on ne doit point attribuer cette manière de le peindre à un défaut de talent. Il paroît que ce grand

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poëte s'étoit formé sur l'Amour tragique, un système absolument opposé à celui de Racine. Il pensoit que les foiblesses et les caprices de cette passion étoient indignes de la tragédie.

Corneille fut encore celui qui, à cette époque, se rapprocha le plus de Malherbe dans le genre lyrique. Plusieurs chapitres de la traduction de l'Imitation de Jésus, peuvent être regardés comme des belles odes. Je ne citerai qu'une stance aussi belle par la pensée, que par le rithme et l'harmonie. Corneille parle des grands lorsqu'ils descendent au tombeau :

Tant qu'a duré leur vie, ils sembloient quelque chose;
Il semble, après leur mort, qu'ils n'ont jamais été.
Leur mémoire avec eux sous la tombe est enclose;
Avec eux y repose
Toute leur vanité.

Corneille, lorsqu'il eut vaincu la ligue puissante qui s'étoit formée contre le Cid, jouit pendant quelque temps de toute l'étendue de la réputation qu'il méritoit. Par un accord unanime, il étoit placé au premier rang des poëtes. Tous les livres du temps sont pleins des éloges dont on paroissoit vouloir l'accabler. Rotrou que Corneille avoit la modestie d'appeler son maître, lui donna aussi un témoignage public

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d'admiration. La pièce dans laquelle on trouve cet éloge, est trop singulière pour que je n'en dise pas quelques mots. Saint Genest en est le principal personnage. L'auteur le représente au moment où il étoit comédien à la cour de l'empereur Dioclétien; sa conversion est le nœud de la tragédie; son martyre en est le dénouement. Genest se dispose à jouer devant l'empereur une tragédie d'Adrien. Une partie du premier acte et le second sont employés à préparer le théâtre et l'orchestre. Genest préside à ces travaux avec l'intelligence d'un bon directeur de comédie. Il donne des conseils au décorateur, il fait illuminer le théâtre : une actrice qui se plaint des importunités des jeunes seigneurs, répète son rôle devant lui. Enfin l'empereur arrive, et cause un moment avec le héros comédien. Il lui demandé s'il y a de bons auteurs, ce qui ne suppose pas dans le prince une grande connoissance de l'art qu'il se pique de protéger. Genest lui répond qu'on peut en compter trois ou quatre, et faisant allusion à deux tragédies de Corneille, il ajoute :

Nos plus nouveaux sujets, nos plus dignes de Rome,
Et les plus grands efforts des veilles d'un grand homme,
A qui les rares fruits que la muse produit,
Ont acquis sur la scène un légitime bruit,

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