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roit forcé, pour arriver aux élémens de cette science, d'en connoître auparavant la théorie (1). Supposition inadmissible, qui prouve

que les partisans de l'état naturel tombent sans cesse dans un cercle vicieux, dont ils ne peuvent sortir. Donc le don de parler nous a été fait, lors de la création, par Dieu, qui a voulu que l'homme fût un être pensant et sociable (2).

Je n'ai pas cité les plus grandes difficultés d'une langue ainsi formée. Des hommes, tous aussi brutes les uns que les autres, inventerontils ces combinaisons admirables des verbes, qui, sous le nom de conjugaisons et de temps, expriment le présent, le passé et l'avenir? Je le répète, cette faculté, dont jouit l'homme, d'exprimer ainsi les plus secrètes opérations de son esprit, ne peut être qu'un présent de la divinité.

(1) Dans le Discours sur l'inégalité, Rousseau, qui n'avoit pas encore fait le traité que je viens d'examiner, dit: Que la parole paroît avoir été fort nécessaire pour établir la parole.

(2) Buffon pense que l'homme a toujours parlé. «L'homme, « dit-il, rend par un signe extérieur ce qui se passe au-de« dans de lui; il communique sa pensée par la parole; ce « signe est commun à toute l'espèce humaine; l'homme « sauvage parle comme l'homme policé, et tous deux par«<lent naturellement et parlent pour se faire entendre.»

Que

Que dirai-je des substantifs qui expriment des objets métaphysiques, tels que raison, jugement, bonté, vertu, etc., et des verbes qui n'ont aucun rapport aux mouvemens de notre corps, tels que juger, réfléchir, penser, etc. ? Je n'ai pas besoin de multiplier les difficultés. J'abandonne les hypothèses, et pour pousser plus loin la conviction, je ne m'en rapporte plus qu'aux objets qui existent, et qui frappent continuellement nos yeux. C'est en les observant sous ce nouveau point de vue, que je parviendrai à donner la preuve incontestable que les hommes ont toujours parlé.

Tout être existant dans l'univers, et doué du sentiment, a des organes plus ou moins perfectionnés. Tous ces organes ont leur usage, soit pour l'existence, soit pour la conservation, soit pour la destination ultérieure de l'individu. Si quelqu'un de ces êtres a quelque organe imparfait, ou en est privé, l'exception confirme la règle générale, puisque l'individu supplée à cet organe, ou perd, par cette privation, les avantages accordés à son espèce. (1)

(1) Quoiqu'un monstre tout seul, dit Mallebranche, soit un ouvrage imparfait, toutefois lorsqu'il est joint avec le reste des créatures, il ne rend point le monde imparfait ou indigue de la sagesse du Créateur.

B

Or personne ne peut révoquer en doute que l'homme ne reçoive en naissant l'organe de la parole. Cet organe lui a été donné pour penser et pour parler. L'inutilité de cet organe porteroit à croire que l'homme seroit sorti imparfait des mains du Créateur, et qu'il se seroit perfectionné de lui-même : cela contredit toute opinion raisonnable; cela est démenti par tous les êtres vivans que nous voyons profiter de la totalité de leurs organes.

Ce qui a été accordé au plus vil insecte, eût été refusé à l'homme! La proposition est par trop absurde.

L'homme, naissant avec le don de la parole, a donc toujours parlé. S'il a toujours parlé, il a toujours été en société. L'état naturel n'a donc jamais existé.

Les savans ont remarqué que dans les plus anciennes langues du nord, et principalement dans le celte, les substantifs usuels ne s'exprimoient que par un seul son. J'ai fait une observation de ce genre sur la langue arabe, qui, malgré son antiquité reculée, n'a aucune affinité avec le celte, sous le rapport que je viens d'indiquer. Presque tous les mots radicaux sont composés de trois consonnes, ce qui suppose trois sons. Mais une espèce de mots que je peux regarder

commie inhérente à l'état social, puisqu'elle exprime la possession et la propriété, les pronoms possessifs ne sont figurés que par une seule lettre que l'on met à la fin du nom substantif. Ainsi, pour rendre ces idées : Ma chambre, ta chambre, sa chambre, on ajoute au mot qui signifie chambre, les lettres, st et, et l'on écrits, liv, et 4. Il est à croire que

les mots d'absolue nécessité ont été, dans leur origine, très-courts.

C'est aux savans à examiner comment les lan

gues modernes se sont formées, à l'époque de la décadence de l'empire romain, lorsque les mêmes provinces voyoient se succéder une multitude de nations barbares, lorsque les peuples du nord et du midi se sont mêlés, au milieu des plus grands désastres que l'humanité ait éprouvés; lorsqu'enfin tous ces hommes, étrangers l'un à l'autre par leur éducation, par leurs moeurs et par leurs goûts, ont confondu des idiomes barbares, avec les langues harmonieuses de la Grèce et de l'Italie.

Ils doivent sur-tout rechercher comment, du sein de ce désordre put naître une langue moderne, qui, par sa clarté, sa noble élégance, et par des chefs-d'oeuvres, s'est répandue dans

que

l'Europe, et fait encore les délices de tous ceux quiconnoissent ou peuvent cultiver sa littérature. Sans trop m'étendre sur cette recherche, plus curieuse véritablement utile pour la majorité des lecteurs, je vais essayer de tracer rapidement l'origine et la formation de la langue françoise, ses progrès depuis le règne de François 1er, époque où elle commença à se dépouiller de ses formes barbares, jusqu'à Pascal et à Racine qui l'ont fixée; j'indiquerai enfin les causes de sa décadence dans un temps où l'on confondit tous les genres, où plusieurs auteurs adoptèrent un néologisme inintelligible, où se répandirent sur la littérature, les mêmes erreurs et les mêmes sophismes que sur la litique.

po

des

Je serai obligé de parler en même temps progrès de la langue italienne, parce qu'elle a la même origine que la nôtre, parce que, comme on va le voir, les deux langues se sont souvent rapprochées, parce qu'enfin les premiers auteurs françois ont pris pour modèles les auteurs italiens. La langue espagnole, quoique née aussi de la langue latine, n'a pas dû sa perfection aux mêmes causes. La littérature des Arabes, si cé¬ lèbre dans le moyen âge, a inspiré les premiers auteurs espagnols, et nous n'avons commencé à

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