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sur son caractère, si bien développé dans ses Essais. J'ai pensé, comme on a dû souvent le remarquer, qu'il étoit utile de ne point séparer les progrès de la langue françoise, des causes politiques qui lui ont fait éprouver des variations. Or il n'est pas douteux que les événemens qui se passèrent du temps de Montaigne, et auxquels il prit part, n'aient contribué à lui donner la hardiesse d'expressions que nous admirons encore dans son ouvrage.

Montaigne, en parlant toujours de lui-même, pénètre dans les plus secrets replis du cœur humain; il n'emploie aucun art, ne met aucun ordre dans la distribution de ses idées, et il passe alternativement d'un sujet à un autre. Souvent l'objet de ses chapitres ne répond point au titre qu'il leur a donné. Malgré ce désordre, il plaît encore généralement. Son style fait oublier la longueur de ses digressions. Ne quittant point le ton naïf du siècle, il est souvent familier mais quelquefois il devient fort. Il exprime d'une manière originale des idées neuves; il est pittoresque dans les descriptions, et quelques mots vieillis qui expriment énergiquement des pensées que nous rendons aujourd'hui par des périphrases, ajoutent encore au charme que l'on éprouve en le lisant. Montaigne avoit été habitué

dès l'enfance, à parler en même temps latin et françois ; de-là viennent plusieurs tournures latines que l'on remarque dans ses ouvrages. Les philosophes du dix-huitième siècle se sont souvent appuyés dutémoignage de Montaigne; plusieurs même, et principalement J. J. Rousseau, se sont appropriés ses idées, avec la seule précaution de rajeunir son style. Une considération qui n'a pas encore été présentée, suffira pour l'excuser d'avoir servi de modèle à ces écrivains dangereux. On a remarqué que, pendant les grandes calamités qui ont désolé les nations à certaines époques, l'athéisme s'étoit répandu, et que les hommes s'étoient ainsi privés de la seule consolation qui reste dans le malheur. A l'époque désastreuse où vivoit Montaigne, tous les liens de la société étoient rompus; les grands du royaume sacrifioient l'état à leur ambition, le peuple étoit divisé en deux factions irréconciliables, les les campagnes étoient dévastées, l'industrie étoit éteinte ; et la guerre civile n'étoit interrompue, pendant quelques instans, que par des trèves sanglantes. D'un côté, une secte orgueilleuse vouloit établir une république au sein de l'état ; de l'autre, une ligue puissante et hypocrite cherchoit à changer la dynastie régnante. Au milieu de ces fléaux, une insensi

bilité produite par le désespoir, s'empara de quelques hommes, et les conduisit jusqu'à méconnoître un Dieu qui permettoit tant de crimes. Le même effet, né de la même cause, avoit été remarqué à la décadence de l'empire romain. Montaigne n'alla pas si loin. Doué d'un caractère doux et tranquille, il se reposa sur l'oreiller du doute; il discuta alternativement le pour et le contre, sans se permettre de tirer une conclusion. Les philosophes du dix-huitième siècle, en adoptant isolément quelques-unes de ses idées, outrèrent les conséquences; ils s'enorgueillirent adroitement d'être les disciples d'un homme dont le nom étoit justement respecté.

L'ami de Montaigne, la Boëtie, qui mourut jeune, et dont l'auteur des Essais parle d'une manière attendrissante, laissa un ouvrage fort dangereux (1). Son Traité de la Servitude volontaire est écrit avec plus de noblesse et plus de force que n'en avoit la prose de ce temps-là. On

y

voit un jeune homme qui cherche à répandre le feu séditieux dont il est consumé. Son style répond à la chaleur de son imagination ; les mou

(1) La Boëtie a aussi intitulé son ouvrage : Le Contre un, c'est-à-dire, le discours contre le gouvernement d'un

scul.

vemens en sont rapides et variés ; et l'on remarque, dans ce petit ouvrage, les premières traces de l'éloquence vive et serrée qui ne se perfectionna que dans le siècle suivant. Le livre de la Boëtie a été réuni aux Essais de Montaigne. Dans les temps les plus malheureux de la révolution, les agitateurs du peuple ont rajeuni ses idées, et n'ont fait que trop souvent l'appli-. cation de ses principes.

Charon fut l'élève de Montaigne. Il n'eut pas, dans le style la grace et l'abandon aimable de son maître. Mais, comme la Boëtie, il écrivit d'une manière plus forte et plus serrée. On lui reprocha de parler de la religion en philosophe sceptique; quelques opinions hardies lui attirèrent des persécutions de la part des jésuites. Dans le siècle suivant, l'abbé de Saint Cyran, grand janséniste, fit son apologie.

Avant de quitter l'époque funeste de nos guerres civiles, et d'arriver aux temps heureux où Henri iv rétablit la paix, je ne dois point oublier de faire mention d'une princesse, aussi belle qu'infortunée, qui cultiva avec succès les lettres françoises, Marie Stuard, reine de France, au milieu des factions les plus animées contre l'autorité royale, veuve à la fleur de son âge, montant ensuite sur le trône d'Écosse, ébranlé depuis

depuis longtemps par une secte sombre et cruelle; trahie par tous ceux qui devoient lui être le plus attachés, précipitée de ce trône, et mourant sur l'échafaud, après une captivité de dix-huit ans, a mérité, par ses malheurs inouis l'intérêt de la postérité. Parmi les maux qu'elle éprouva, et les inquiétudes cruelles dont elle fut souvent tourmentée, il paroît qu'elle trouva dans la littérature une douce consolation. Son éducation en France avoit été perfectionnée; elle savoit les langues grecque et latine, et parloit plusieurs langues vivantes. Mais la langue françoise étoit celle qu'elle préféroit. Tout le monde connoît la chanson qu'elle composa sur le vaisseau qui la portoit en Ecosse, où elle devoit être si malheureuse, et les voeux qu'elle formoit pour qu'une tempête la rejetât sur les côtes de France. Je citerai de cette princesse une romance qui est moins répandue, et qu'elle fit après la mort de François 1 son premier mari.

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