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des quatre vaisseaux et une frégate qui se trouvaient dans le port de Chaguaramas, sont des évènements où les armes du roi n'ont pas été maintenues à la hauteur qui leur convient par la faute de chefs qui, oublieux de leur honneur, ont manqué à leur devoir aussi bien qu'à la réputation si essentielle du service royal.

Des actes répétés de cette nature ont convaincu Sa Majesté de la nécessité, quelque pénible qu'elle soit à ses sentiments de bienveillance, de refuser toute excuse à des fautes aussi punissables que honteuses pour le vrai militaire, qui ne connaît aucun autre chemin pour arriver au comble de la gloire que celui de l'exactitude et de la ponctualité dans le service, et d'une valeur solide et intrépide pour faire respecter les droits du roi et ses royales armes.

Bien que Sa Majesté ait eu disposé que cette cause fût jugée aux termes des lois réglementaires, elle s'est vue dans l'obligation de la faire instruire de nouveau à cause des nombreuses nullités qu'elle a présentées, en dehors de la défense des coupables, contraires à la justice et à la vindicte publique, et à cause de ses excès de pouvoir et de ses omissions dans la sentence absolutoire qui a été publiée; mais, après avoir pris l'avis des ministres qui ont sa confiance, elle a trouvé de suffisants motifs dans ce qui ressort du procès pour procéder, sans qu'il soit nécessaire de recourir au moyen indiqué, à un châtiment qui, quoique sans proportion avec les délits, serve d'exemple à ceux qui se trouveront dans des circonstances semblables, pour qu'ils fassent ce qu'exige l'honneur et les obligations du service.

«En conséquence, il a plu à Sa Majesté déclarer que

Don José María Chacon n'a pas défendu l'ile de la Trinidad comme il aurait pu le faire, et que Don Sebastian Ruiz de Apodaca s'est déterminé à brûler les navires qu'il commandait prématurément, et sans observer l'ordre graduel prévu par le règlement pour ces cas, et pour ces motifs les a condamnés, l'un et l'autre, à la privation de leurs emplois respectifs, dont les brevets leur seront repris, et le premier, en outre, au bannissement à perpétuité; et attendu qu'il appert de la déclaration des commandants des navires brûlés que le brigadier Don Gerónimo Gonzales de Mendoza et les capitaines de vaisseau Don José Jordan, Don Gabriel Siundo, Don Rafael Rennazar et Don Manuel Urtuzabel ont été d'avis, au dernier conseil de guerre tenu par Apodaca, de procéder à l'incendie à la manière dont il eut lieu, Sa Majesté les suspend de leurs emplois respectifs pendant quatre ans, afin de les prévenir qu'ils aient à l'avenir à conformer leurs avis au sens littéral du règlemen; sans qu'il soit possible à aucun de ces coupables, ni à Chacon, ni à Apodaca, d'avoir aucun recours par voie d'appel; et à cette fin Sa Majesté leur impose un silence perpétuel (1). »

On ignore ce qui advint du pusillanime Apodaca après la perte de son honneur et de son grade. Pour ce qui est de notre ex-gouverneur, on sait qu'il choisit le Portugal pour lieu de son bannissement. Là, sur la frontière de son pays, il expia cruellement le mal qu'il lui fit. Il y passa de longues années dans la pauvreté, à la charge de ses parents et amis, car, disons-le à son

(1) Voir l'original espagnol à l'Appendice.

honneur, la perte de la Trinidad pour l'Espagne ne l'avait pas enrichi. Ce ne fut que longtemps après la chute de Napoléon et le retour de Ferdinand VII de son exil à Valançai qu'il put obtenir son pardon, grâce aux obsessions d'un neveu, comme lui officier de marine. Mais déjà la vieillesse, le malheur et, croyons-le, le remords avaient épuisé ses forces et sa santé, et lorsque vint enfin son neveu lui apporter, tout joyeux, l'ordre de son rappel, il ne trouva plus dans le lit du proscrit qu'un moribond à l'article de la mort (1).

Ainsi finit notre dernier gouverneur espagnol. A la Trinidad, les Anglais, auxquels profita sa coupable inaction, essayèrent de réhabiliter sa mémoire; les Espagnols crurent à des ordres secrets de livrer la colonie de la part du ministre corrompu qui gouvernait alors l'Espagne, et les Français s'expliquèrent son manquement à tous ses devoirs par un penchant irrésistible pour la nation anglaise. Pour porter un jugement équitable sur Don José María Chacon, il convient de distinguer entre le gouverneur des huit premières années et celui des quatre dernières. Comme fondateur de la colonie, il déploya des qualités éminentes et collabora dignement à l'œuvre de Roume de Saint-Laurent. Avec un zèle intelligent, un dévoûment complet à la mission dont il avait charge, un sentiment profond de la justice, une bienveillance à toute épreuve, il sut imprimer à la naissante colonie un développement merveilleux pour l'époque. Sous son habile direction, cette île fertile,

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, P. 204.

naguère encore presque déserte, s'enrichit d'une moyenne de quinze cents habitants par an, et devint bientôt prospère. Mais alors survinrent les excès de la Révolution française et la déclaration de guerre de l'Espagne à la France, et le même sentiment de répulsion qui jeta son pays dans les bras de la coalition européenne l'envahit à son tour. A partir de ce moment, il fut pris d'un profond dégoût pour l'œuvre de la colonisation de l'île. Par un procédé fort répréhensible, à coup sûr, mais pourtant bien familier à l'esprit humain, celui de la partie prise pour le tout, les Français en général, sauf sans doute la noblesse exilée, devinrent à ses yeux de coupables « républicains ». Les colons français des Antilles, eux-mêmes, ne furent pas à l'abri de sa réprobation, et la population de l'île ne lui inspira plus que de la méfiance. A la suite surtout de l'émancipation des esclaves à la Guadeloupe et des soulèvements à Saint-Vincent et à la Grenade, il se vit menacé de guerre servile, et les libres noirs et de couleur ne furent plus considérés par lui que comme des perturbateurs du repos public. Ainsi placé par le cours des évènements entre une métropole abattue et une population suspecte, il n'eut confiance que dans l'Angleterre pour le rétablissement de l'ordre » dans cette partie du monde.

Telle était la disposition d'esprit de notre gouverneur lorsque vint le surprendre la déclaration de guerre de l'Espagne à l'Angleterre, à la suite de la violation du territoire de l'ile par le capitaine Vaughan. A partir de ce moment, sa position devint véritablement difficile, car ce fut seulement alors qu'il se trouva en face d'un

ennemi véritable dont il avait tout à redouter. Dans ce péril extrême, son devoir était tout tracé; aucune hési tation ne lui était permise: conserver à son pays la belle colonie confiée à sa garde, en réunissant toutes ses forces, en en créant de nouvelles, en en acceptant, comme le gouverneur de Porto-Rico, de ceux qui voulaient bien lui en offrir. Mais, toujours dominé par le fantôme intérieur dont il avait peur, il refusa tout secours et ne voulut prendre aucune mesure défensive. L'impartiale histoire ne peut que flétrir une telle conduite; elle fut criminelle au premier chef, car, non seulement Chacon « n'a pas défendu l'ile comme il aurait pu le faire, selon les termes mesurés de l'ordonnance royale, mais encore il l'a laissé prendre << avec peu ou point d'opposition,» selon l'expression de la dépêche officielle du général Sir Ralph Abercromby.

Ce fut au traité de paix conclu à Amiens, le 27 mars 1802, entre l'Angleterre, la France, l'Espagne et la Hollande, que l'ile de la Trinidad fut définitivement cédée aux Anglais. Aujourd'hui que près d'un siècle a passé sur cet évènement et qu'il nous est, par conséquent, possible d'en apprécier les résultats, nous n'hésitons pas à croire qu'il fut, en définitive, heureux pour le pays. En continuant à rester attachée à l'Espagne, la Trinidad eût vraisemblablement suivi le sort du continent adjacent, et se fùt plongée dans la guerre civile et l'anarchie. Avec l'Angleterre, elle s'est trouvée sous l'égide d'une nation forte et libre; elle a été préservée des révolutions par lesquelles ont passé les îles françaises, et elle s'est développée de manière à devenir une des colonies les plus florissantes de la mer des Antilles.

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