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blement accorder à ces religieux l'honneur de cette introduction. Cependant, il n'est pas impossible que ce cacao, comme le créole, ait été directement introduit par les Hollandais, avec lesquels la Trinidad avait continué à faire un petit commerce clandestin. Quoi qu'il en ait été, le nouveau cacao s'adapta admirablement au sol et au climat trinidadiens. La culture, toutefois, n'en fut entreprise que sur une toute petite échelle pendant la période qu'embrasse ce chapitre. Ce n'est, en effet, qu'en 1775 que, à la suite du maïs, la principale production de l'ile à cette époque, nous le trouvons coté au tarif au prix de cent vingt réaux ou quinze dollars la fanega de cent dix livres (1). Cette lenteur dans la production de cette denrée était inévitable, par la double raison que l'île était alors presque déserte, et que ses quelques habitants ne pouvaient encore, eu égard au passé, que conserver des doutes bien légitimes sur le succès de l'entreprise. Le cacaoyer, d'ailleurs, comme tous les arbres fruitiers, est long à produire, et plus long encore à rémunérer le planteur en donnant des revenus. A trois ou quatre ans, il est vrai, il commence à fleurir et à donner quelques fruits; mais ce n'est guère qu'à l'âge de huit ou dix ans qu'il en produit en quantité suffisante pour subvenir aux frais de sa culture. On comprend dès lors que la reprise de la culture de cette denrée n'ait pu que bien tardivement apporter un soulagement à la misère des habitants de l'ile.

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 72 et seq.

Les pères Capucins aragonais de Santa-Maria (1), arrivés de Cumaná à la suite du voyage du vicaire général, vinrent aider aussi à la colonisation de l'île, en agglomérant les Indiens encore dispersés dans de nouvelles missions de doctrine. Ce fut, paraît-il, le vicaire apostolique, Don Matias Cabrera, qui dota la colonie de ces nouveaux missionnaires; ils prirent la charge doctrinale des trois encomiendas d'Aricagua, Tacarigua et Arauca, et des quatre missions de Naparima, Savaneta, Savana-Grande et Monserrate, qui subsistèrent de celles fondées par les Capucins catalans et ils en fondèrent à leur tour six nouvelles, à savoir : celle d'Arima (2), dédiée à sainte Rose de Lima; celle de Toco, dédiée à la Sainte-Vierge, sous le vocable de l'Asuncion ou Assomption; celle de Siparia, aussi dédiée à la Sainte-Vierge, sous le vocable de la DivinaPastora ou Divine-Bergère; et trois autres sur la côte orientale de l'île, celles de Maturo, Punta-Cumaná et Salibia (3), dont l'existence a dû être éphémère, puisqu'il n'en reste aucun vestige de nos jours; les trois premières, au contraire, comptent aujourd'hui parmi les villes et villages de l'île. Ces religieux, pendant tout le reste de la durée du gouvernement espagnol, s'employèrent avec zèle à l'administration spirituelle de

(1) Fr. A. Caulin, Historia de la N.-Andalucia, liv. II, ch. II, p. 112.

(2) Elle était située sur le territoire des Indiens Arimagotos; cette tribu caraïbe a été omise, comme celle des Tacariguas, dans notre nomenclature des naturels de l'île (t. I, chap. II, p. 37). Voir Codazzi, Geografia de Venezuela, p. 250.

(3) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 83.

la colonie; ils se recrutaient dans les mêmes missions de la province de Cumaná, dont la mission mère était celle de Santa-Maria, d'où ils étaient originairement venus. Même après que l'île eut changé de gouvernement, ils continuèrent longtemps encore à lui prodiguer leurs services, et ce ne fut qu'en 1837 que le dernier d'entre eux, le révérend père Miguel de Salcedillo, à un âge très-avancé, rendit le dernier soupir au Port-d'Espagne. Malgré son grand âge, le vénérable missionnaire observa jusqu'à son dernier jour les austérités de sa règle, s'habillant de nankin bleu, chaussant de gros souliers sans chaussettes, et couchant sur la planche nue avec une pierre pour oreiller. C'était lui qui, chaque matin avant le jour, célébrait la première messe à la cathédrale. Le saint vieillard était un modèle accompli de toutes les vertus chrétiennes ; sa charité surtout ne connaissait pas de borne. Il vécut entouré du respect et de l'amour de la population entière, et c'est pour nous une grande satisfaction que de trouver l'occasion de rendre cet hommage public à sa mémoire.

Enfin, un dernier bonheur pour la Trinidad fut l'avènement au trône d'Espagne de Charles III, le successeur de Ferdinand VI. Pendant tout son règne, ce roi philosophe, aussi habile que sage, s'évertua à mettre un terme à la décadence de la monarchie, en ravivant dans la Péninsule et dans ses colonies l'agriculture, l'industrie et le commerce. Il fut le bienfaiteur des colonies du Nouveau-Monde en général, et de la Trinidad en particulier, car c'est à lui que celle-ci devra par la suite sa colonisation définitive. En atten

dant, nous avons de lui, à la date du 8 novembre 1765, une cédule dite de comercio libre ou de liberté commerciale en faveur des cinq îles de Cuba, Saint-Domingue, Porto-Rico, la Marguerite et la Trinidad (1). Ce n'était pas là, à coup sûr, le libre échange tel que nous l'entendons aujourd'hui; mais c'était pour l'époque une grande franchise commerciale. Par la cédule royale, le commerce de ces îles, jusqu'alors limité aux seuls ports de Séville et de Cadix, et aux seuls produits nationaux, s'étendait à tous les principaux ports de la métropole, des îles Baléares et des îles Canaries, sans distinction aucune de la provenance des produits, à l'exception des vins et spiritueux étrangers; elle abolissait toutes les charges onéreuses jusqu'alors imposées à la navigation, telles que visite du navire, vérification de la marchandise, déclaration et licence de navigation, etc., et fixait un droit uniforme de 3 0/0 et 7 0/0 respectivement sur tous les produits nationaux et étrangers, tant à leur exportation des ports espagnols qu'à leur importation aux cinq îles susdites (2). C'était, on le voit, considérablement favoriser le commerce de ces îles avec les autres colonies espagnoles. Mais, hélas ! quel fruit la Trinidad, alors dépeuplée et misérable, pouvait-elle tirer de ces avantages?

A peine installé au Port-d'Espagne, le gouverneur Don Pedro de la Moneda eut à y tenir deux cours de residencia ou d'enquête, dont l'une sur l'administration de son prédécesseur au gouvernement de la Trinidad,

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms. (2) Baralt, Historia de Venezuela, t. I, ch. XVIII, p. 371 et seq.

Don Francisco Nanclares, et l'autre sur celle du marquis del Villar, ex-roi de la Nouvelle-Grenade (1). Ces enquêtes administratives étaient d'une grande importance; avant de subir cette formalité, aucun chef d'administration, gouverneur, capitaine-général ou vice-roi, ne pouvait prétendre à un nouvel emploi. Le commissaire enquêteur et le lieu de la tenue de l'enquête étaient désignés par l'autorité supérieure. Pendant soixante jours à dater de l'ouverture de l'enquête, tout le monde sans distinction avait le droit de déposer ses plaintes contre l'ex-chef d'administration; ces plaintes étaient alors examinées par le commissaire enquêteur pendant les soixante jours suivants, et ensuite remises avec son rapport au conseil suprême des Indes, qui décidait souverainement si le fonctionnaire sortant était digne de remplir de nouvelles fonctions (2). Les Espagnols agissaient à l'égard de ces fonctionnaires sortants comme les anciens Égyptiens à la mort de leurs rois. Cette formalité eût été féconde en excellents résultats si elle eût été sincère; mais, comme dans le cas du marquis del Villar, quelle confiance accorder à une enquête tenue dans la petite île déserte de la Trinidad, sur l'administration du nouveau royaume de Grenade, surtout quand la distance à parcourir pour se plaindre est si grande, et que l'enquête ne dure que soixante jours! Sans doute, cette institution, grave dans ses commencements, était devenue par la suite une formalité banale qui ne tirait pas à conséquence.

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms. (2) Baralt, Historia de Venezuela, t. I, ch. xv, p. 286.

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