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général de Caracas avait été chargé de lui donner un successeur, et, le 31 mars 1773, il eut la satisfaction de remettre ses pouvoirs au capitaine Don Juan de Dios Valdez y Varza (1). Les deux premières années de cette nouvelle administration ne laissent aucune autre trace, dans les archives du cabildo, que le tarif dont il a été question plus haut. Deux mois plus tard, le 12 mai 1775, il y est fait mention d'une ordonnance de l'audience royale de Santa-Fé, commissionnant Don Juan de Dios Valdez y Varza pour se transporter à SantoTomé de Guayana, et y notifier et y faire exécuter la sentence finale rendue par elle en faveur des pères Capucins de la province, dans le procès vidé entre eux et le commandant de la place, relativement à l'administration des hatos ou domaines de pâturages, appartenant à la communauté religieuse (2). Puis arrivent les inévitables conflits avec le cabildo. Aux élections de 1776, l'homme le plus turbulent et le plus méchant (textuel) de la population est nommé alcade de seconde élection, et la guerre devient imminente; mais le gouverneur déjoue cette machination. Homme énergique, paraît-il, il annule l'élection et nomme à cette fonction quelqu'un de paisible sur lequel il pouvait compter, et que le cabildo fut forcé d'accepter. Après avoir ainsi assuré son autorité sur la malicieuse corporation, il chercha ensuite et trouva bientôt l'occasion de combattre son orgueil et son antipathie pour la nouvelle

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms.,

(2) Id., ibid., p. 75.

capitale de l'île. Une vieille coutume, dans les colonies espagnoles du Nouveau-Monde, imposait aux fonctionnaires civils et militaires, et aux notables, l'obligation d'aller chaque année complimenter le représentant du souverain le jour de sa fête. Ce devoir avait été religieusement rempli tout le temps que les diverses autorités s'étaient trouvées réunies à Saint-Joseph; mais il avait été complètement négligé depuis que les gouverneurs avaient pris résidence au Port-d'Espagne. Immédiatement après le jour de la Saint-Jean, Don Juan de Dios Valdez adressa au cabildo une note où, considérant l'omission de ce devoir comme un manque de respect, et même une insulte à sa personne, il somma les membres de la corporation de déclarer individuellement les motifs de leur abstention. Ceux-ci crurent se montrer très adroits en répondant hypocritement qu'ils n'avaient pas cru le compliment obligatoire, par la raison que les prédécesseurs du gouverneur ne l'avaient pas exigé d'eux, mais qu'ils n'avaient jamais eu l'intention d'offenser le représentant de S. M., et en alléguant en même temps pour cause de leur abstention le mauvais temps et le manque de montures. Le gouverneur alors, habile à profiter de cette soumission feinte, s'empressa de décréter, à la date du 15 juillet 1776, que, à l'avenir, le cabildo serait tenu de se rendre en corps au Port-d'Espagne à la fête du roi et de la reine, et aux jours anniversaires de leur naissance, pour assister avec le gouverneur à la grand'messe et au Te Deum chantés en ces occasions, et que chacun de ses membres individuellement, à la fête du gouverneur, aurait à lui présenter ses compliments. Un tel

décret ne pouvait être que dur à digérer; il fallut pourtant s'y soumettre. Le cabildo toutefois trouva moyen d'en tirer une petite vengeance, en interpolant dans ses archives une longue protestation où il est dit que c'est le devoir du gouverneur de se rendre à la capitale, non seulement aux fêtes indiquées par lui, mais aussi à celle de cette capitale, alors que se déploie la bannière royale au bruit du canon et de la mousqueterie (1). » Cette interpolation, évidemment faite pour circonvenir le successeur du gouverneur, est un modèle de ridicule emphase.

Ainsi vivotait depuis un demi-siècle la misérable colonie, dans les querelles, les conflits et les complots. Ni le transfert de la capitale de Saint-Joseph au Portd'Espagne, ni la renaissance de la culture du cacao, ni les missions des pères Capucins aragonais de SantaMaria, ni les franchises commerciales de l'Espagne ne pouvaient la tirer de l'abîme où elle était tombée. Pour qu'elle pût recouvrer sa prospérité passée et développer ses richesses naturelles, ce qu'il lui fallait avant tout, c'était de la population, et sa population alors n'arrivait qu'à peine encore au chiffre insignifiant d'un millier d'Espagnols de toutes couleurs, parmi lesquels se trouvaient de trente à quarante Français et Italiens ou Corses (2). Or, cette population si nécessaire à sa colonisation, d'où pouvait-elle la tirer? Tel était le problème qu'avait à résoudre sa métropole, puisqu'elle ne pou

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 76 et seq.

(2) Los Heroes y las Maravillas del Mundo, art. Trinidad, p. 400.

vait penser, toute dépeuplée qu'elle était elle-même, à la lui fournir, et qu'elle ne pouvait consentir à la laisser croupir indéfiniment dans l'abandon. Il devenait dès lors apparent que la colonisation définitive de l'île ne pouvait être entreprise qu'à l'aide des étrangers qui commençaient déjà à s'y porter. Habent sua fata coloniæ.

CHAPITRE VIII

SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DES ILES FRANÇAISES. LE COLONISATEUR ROUME DE SAINT-LAURENT

(1776-1779)

Gouverneur de la période :
Don Manuel Falquez.

Pendant que, dépeuplée, ignorante et ruinée, la Trinidad se débattait impuissante dans les misérables conflits que nous venons de rapporter, les îles françaises, ses voisines, étaient soumises à de cruelles épreuves; durant la guerre de sept ans, elles avaient été conquises par l'Angleterre, et à la paix de Paris, en 1763, définitivement cédées à cette puissance. Or, on sait combien c'est une dure nécessité pour les peuples que d'avoir à subir la domination d'un autre peuple, étranger å leur langue, à leurs mœurs et à leurs lois, et pardessus tout d'avoir à subir les aventuriers de la nation conquérante, qui viennent fondre sur eux comme des vautours sur leur proie. Pour se concilier ces populations, la politique et libérale Angleterre avait, il est vrai, sagement ordonné qu'elles eussent les mêmes

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