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80 Il faudrait établir dans chaque paroisse des commissaires pour inspecter les objets d'importation des îles fourmillées, surtout les plants de cannes, et pour en défendre l'entrée s'il s'y trouvait de mauvaises fourmis (1).

Tel est le remarquable exposé d'un plan (2) qui bien que tardivement exécuté par l'Espagne pour la Trinidad (1784), et bien plus tardivement encore pour PortoRico (1815) (3), assura à ces deux colonies, et surtout à la première, une importante et rapide colonisation. Aussitôt la rédaction de son mémoire terminée, en cette même année 1777, Roume de Saint-Laurent s'en revint à la Trinidad le soumettre au gouverneur Falquez, qui l'approuva et l'apostilla pour le remettre à la cour d'Espagne. Le hasard se chargea de lui fournir une occasion directe pour la Péninsule. Il se trouvait alors au Port-d'Espagne deux officiers supérieurs du génie, le brigadier général Don Agustin Cranc et le lieutenantcolonel Don Juan de Catilla, de retour de leur visite

(1) Saint-Laurent, Considérations sur l'établissement d'une colonie, etc., ms., 1777.

(2) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. VIII, p. 167. Cet écrivain condamne ce plan « qu'ont admiré tous ceux qui en ont parlé, » dit-il (that almost all who have written on the subject of this island have been loud in applauding). Quoique ignorant l'existence du mémoire, il s'imagine, avec sa présomption habituelle, en avoir pénétré l'esprit, et il n'y voit qu'une ruse (cunning project) pour peupler la Trinidad de Français, à l'exclusion des Anglais. Infatué de sa nationalité, il s'acharne alors à insulter notre illustre colonisateur dont il ignore jusqu'au nom, et qu'il appelle Rome de Saint-Laurent. On ne saurait pousser plus loin la suffisance et l'ignorance combinées ensemble.

(3) Abbad y Lasierra, Historia de Puerto-Rico.

des places fortes espagnoles depuis la Vera-Cruz jusqu'aux bouches de l'Orénoque; le mémoire fut confié à ce dernier, qui partait pour l'Espagne (1). De son côté, Don José de Abalos, l'intendant de Caracas, ne s'était pas endormi, et quelques mois plus tard, en juillet 1778, il envoyait à la Trinidad le commandant de la compagnie royale des garde-côtes, Don Martin de Salaverría, en qualité de sous-délégué, avec des instructions particulières pour l'avancement de l'agriculture, du repeuplement et du commerce de l'île (2).

En attendant la réponse de la cour d'Espagne à son mémoire, Roume de Saint-Laurent, plein d'espérance dans le succès de la prochaine colonisation de l'île, s'en retourna à la Grenade pour disposer de ses propriétés et venir s'établir à Diego-Martin avec sa famille et ceux de ses amis et compatriotes qui consentiraient à suivre son exemple. Déjà il y avait envoyé la plus grande partie de ses esclaves lorsque la guerre de l'Indépendance américaine ayant éclaté, la Grenade fut reprise par les Français. Cet évènement imprévu venait mettre obstacle à ses desseins; en voyant l'Espagne alliée à la France contre l'Angleterre, il comprit qu'elle n'aurait guère le loisir de s'occuper de la colonisation de ses îles américaines, et qu'il lui faudrait prendre patience jusqu'à la conclusion de la paix. Le retour de son île à la France et la longue attente dont il était menacé eussent pu le détourner de la colonisation de la Tri

(1) Saint-Laurent, Considérations sur l'établissement d'une colonie, etc., ms., 1777.

(2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 80.

nidad, mais il n'en fut rien; il semble, au contraire, que les accidents heureux ou malheureux qui venaient traverser son entreprise la lui rendaient encore plus chère. Il s'y attacha à un point tel que, sollicité d'accepter la place de juge sous la nouvelle administration française, place que son père et son grand-père avaient occupée sous l'ancienne, il la refusa en alléguant pour motif ses engagements à la Trinidad. Ce ne fut que sur les plus pressantes instances de l'amiral comte d'Estaing, le conquérant de l'île, qu'il consentit enfin à en remplir la charge, mais pendant deux ans seulement, pour donner aux difficultés des premiers moments le temps de s'aplanir. A l'expiration de ce terme, nulle supplication ne put plus le retenir dans sa charge. Les colons anglais eux-mêmes se montrèrent si satisfaits de son administration de la justice que, pour le conserver, ils voulurent augmenter ses honoraires de la somme de onze mille dollars, qu'ils souscrivirent entre eux; mais il refusa. Comment l'intérêt eût-il pu avoir plus de prise que les honneurs sur cet esprit d'élite (1)?

Sur ces entrefaites, le gouverneur Don Manuel Falquez rendit le dernier soupir au Port-d'Espagne (11 juillet 1779), et, comme de coutume, les deux alcades en service ordinaire prirent le gouvernement de l'île (2).

(1) Marquise de Charras, Naturalizacion, ms., 1787. (2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 81.

CHAPITRE IX

CÉDULE ROYALE DE COLONISATION ET CODE NOIR

(1779-1784)

Gouverneurs de la période :

Don Martin de Salaverría.
Don Juan Francisco Machado.
Don Antonio Barreto.

Aussitôt libéré de ses fonctions de juge, Roume de Saint-Laurent se hâta d'accourir à la Trinidad pour surveiller les travaux de sa propriété, et, de concert avec le gouverneur, chercher à activer la colonisation de l'île par tous les moyens possibles. Il était accompagné, cette fois, de plusieurs de ses compatriotes, parmi lesquels se trouvaient trois de ses amis intimes: MM. Dominique Dert, Étienne Noël et Picot de Lapérouse (1). C'est ce dernier qui établit la première sucrerie de l'île sur le terrain qu'occupe aujourd'hui le cimetière du Port-d'Espagne; de là le nom populaire de Lapérouse que ce cimetière conserve encore.

Comme il fallait s'y attendre, l'Espagne n'avait encore rien statué sur le mémoire du colonisateur, mais elle

(1) Free Mulatto, Address to Earl Bathurst, p. 8.

avait adopté des mesures administratives qui témoignaient de sa préoccupation des intérêts coloniaux de l'ile; elle en avait dédoublé le gouvernement en y instituant deux gouverneurs, dont l'un entièrement civil et commercial, et l'autre purement militaire, le premier tout à fait indépendant du second et n'ayant, par conséquent, à s'occuper que de l'avancement de la colonisation de l'île. A cette place supérieure elle avait nommé le sous-délégué de l'intendance de Caracas, Don Martin de Salaverria, ne laissant à Don Manuel Falquez que la sinécure du gouvernement militaire (13 avril 1779); mais, à l'arrivée de la dépêche, le 21 août de la même année (1), ce dernier étant mort depuis plus d'un mois, ce fut le commandant des troupes, Don Rafael Delgado, à qui échut ce gouvernement militaire. Le nouveau gouverneur civil et commercial était un homme affable et doux, en même temps que fort habile et dévoué à la prospérité de l'île (2); dans les entretiens qu'il eut avec Roume de Saint-Laurent, celui-ci n'eut pas de peine à le gagner à ses idées. La difficulté était de faire accepter ces idées par le gouvernement métropolitain, et cette difficulté, aux yeux du gouverneur, était considérable. Pour la surmonter, il jugea le concours de l'intendant de Caracas indispensable, et il engagea le colonisateur à se rendre auprès de lui pour lui exposer son plan et le lui faire approuver. Mais comme démarche préliminaire, et pour mériter la con

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 81.

(2) Free Mulatto, Address to Earl Bathurst, p. 4.

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