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à le signaler à la reconnaissance de nos compatriotes.

Deux mois après la date de la cédule de colonisation, le 23 janvier 1784, le gouvernement de la Trinidad passa des mains de Don Juan Francisco Machado å celles du capitaine Don Antonio Barreto, nommé provisoirement en attendant l'arrivée du gouverneur en titre, Don José Maria Chacon (1). Ce fut sous l'administration du capitaine Barreto que le cabildo, cédant enfin à la force des choses, se décida à se transporter au Port-d'Espagne, où il tint sa première séance le 20 août 1784 (2). Déjà, depuis quelques semaines, à la date du 7 juin de la même année, il y avait fait résider un de ses régidors « pour surveiller les approvisionnements de poisson et de provisions arrivant par les lanches de la Côte-Ferme, empêcher leur accaparement et en faire disposer aux prix fixés par le tarif (3). » C'est le cas de dire que ce fut la faim qui fit sortir le loup du bois.

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 88.

(2) Id., ibid., p. 89. (3) Id., ibid., p. 88.

CHAPITRE X

LE DERNIER GOUVERNEUR ESPAGNOL, DON JOSÉ
MARIA CHACON

(1784-1793)

Le gouverneur annoncé par la cour d'Espagne au cabildo depuis le 18 octobre 1783 n'arriva à la Trinidad que le 1er septembre 1784 (1). On ignore la cause d'un aussi long retard; on sait seulement que le haut fonctionnaire passa par Caracas, où il dut se rendre pour conférer avec l'intendant et se procurer les employés nécessaires à son administration. Il portait les titres de capitaine général et gouverneur de l'ile, sousinspecteur des troupes de sa garnison, juge conservateur des courriers et postes, et leur royal vicepatron.

Le chevalier de Calatrava, Don José María Chacon, Sanchez de Sotomayor, Rodriguez de Rivera, Infante de Lara y Castro, était aussi capitaine de vaisseau (2). Le choix de ce noble personnage pour faire fructifier le plan de colonisation de Roume de Saint-Laurent

ne

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms.,

p. 89.

(2) Parliamentary Papers, relating to the I. of Trinidad, p. 169.

laissait rien à désirer: c'était un administrateur instruit et habile, prudent et actif, conciliant et doux; c'était surtout le gouverneur « à l'abord facile et gracieux >>> qu'avait demandé le colonisateur avec raison, car on sait que l'entreprise la mieux conçue peut échouer par l'aversion qu'inspire celui qui est préposé à sa direction. Aux manières les plus affables il joignait les dispositions les plus bienveillantes; accessible à tous, il écoutait toutes les plaintes et protégeait toutes les faiblesses.

Il s'exprimait facilement en français et en anglais, et possédait à fond la littérature de sa langue. Chose rare parmi les Espagnols de son époque, il n'était pas fanatique; dans l'exercice de ses fonctions de gouverneur, il poussa même, dit-on, la tolérance jusqu'à accepter des colons protestants, contrairement à la lettre de la cédule de colonisation (1). Aussitôt arrivé, il fit répandre dans toutes les Antilles la cédule traduite en français et en anglais. Pour nous rendre compte de l'accueil qu'elle y reçut, il est nécessaire que nous jetions un rapide coup d'œil sur la situation politique des îles françaises à la suite de la guerre de l'indépendance américaine.

La paix de Versailles (1783) avait remis les choses dans l'ordre établi par la paix de Paris (1763); l'île de Tabago, conquise par l'Angleterre, avait été rendue à

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. IX, p. 168. Cet écrivain prétend que Chacon admettait ces protestants parce qu'ils étaient Anglais; il était, dit-il, reconnaissant envers la nation anglaise du traitement qu'il en avait reçu étant son prisonnier de guerre.

la France, et celle de la Grenade, reconquise par la France, avait été rétrocédée à l'Angleterre. A la suite de la guerre, les haines nationales s'étaient, on le pense bien, ravivées de plus belle dans les îles françaises. A la Dominique, et surtout à Saint-Vincent, la situation était devenue de plus en plus tendue; mais à la Grenade elle avait été particulièrement menaçante. A la reprise de possession de cette ile par les Anglais, le gouverneur avait eu pour instructions, dit l'écrivain anglais que nous avons déjà cité, « de remettre les habitants sur le même pied où ils se trouvaient au moment où ils avaient été contraints de se soumettre au gouvernement français. On ne tint aucun compte de ces instructions, et leur existence elle-même fut gardée secrète pendant longtemps. A la fin, elles furent pourtant divulguées; et alors, comme il ne fut pas possible de mettre en doute leur authenticité, ce fut à un misérable système de subtilité et de chicane qu'on eut recours pour les éluder. Les sujets adoptés, disait-on, sont étrangers (aliens), et, comme tels, ne méritent aucune confiance (are incapable of trust). Pour prouver qu'ils étaient étrangers, on arguait, avec un grand sérieux, de leur naissance sous pavillon français, et de l'inhabileté de l'homme, en général, de s'affranchir de la fidélité qu'il doit à son souverain naturel. Les créoles de l'île, en réponse, maintenaient que, même en admettant ce principe comme vrai, il ne pouvait leur être appliqué, attendu qu'ils avaient été relevés de cette obligation première par l'acte formel et volontaire du souverain lui-même. Sans doute, des raisonnements de la force de ceux dont on se servait contre eux ne mé

ritaient pas de réponse sérieuse et n'appelaient que le dédain, s'ils n'eussent été une arme puissante aux mains de l'injustice. Quelque victorieux que furent les créoles dans la discussion, la force se trouvant du côté de leurs ennemis, ils eurent à subir la perte entière de leurs droits politiques. Et pour que la blessure faite à leurs sentiments fût complète, leurs droits civils furent, à la suite, traités avec aussi peu de ménagement que leurs droits politiques. Ainsi l'exige le cours naturel des choses, car les droits civils et politiques sont essentiellement coexistants. On a imprimé, et personne n'a jamais entrepris de réfuter cette assertion, que leurs églises et les domaines y attachés (glebe lands) leur furent arrachés, malgré une possession de vingt années (1). » Leur honneur ne fut pas plus respecté que leur religion et leurs droits civils et politiques. Une loi de la Grenade, contemporaine de la promulgation de la cédule de colonisation, c'est-à-dire une loi de la fin de l'année 1784, signale le peu de ceux d'entre eux qui s'étaient déjà établis à la Trinidad à la suite de notre colonisateur, comme des voleurs d'esclaves et des débiteurs frauduleux (2); la rancune de leurs ennemis acharnés les poursuivait jusqu'à l'étranger.

(1) Bryan Edwards, History of the war in the W. Indies, t. IV, chap. v, p. 6 et seq.

(2) Laws of Grenada, t. III, p. 232. Cette loi, que nous qualifierons de loi des suspects, puisqu'elle ne vise que des intentions supposées et non des faits réels, date, on le voit, d'avant la colonisation de l'île; par un anachronisme inqualifiable, elle a pourtant servi de base à toutes les calomnies lancées contre cette colonisation. Voir aux notes de ce chapitre la réfutation de ces calomnies.

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