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des troupes et l'argent nécessaire pour le travail, de mettre la main à l'œuvre, il voulait marcher pas à pas, et demandait qu'on lui envoyât d'abord des ingénieurs, pour examiner son plan et s'occuper de la construction de la forteresse, de l'hôpital et des casernes de la PointeGourde (1).

Indépendamment de toutes ces mesures en vue de la protection et de l'expansion de la colonie, l'Espagne accordait aussi de précieux secours aux nouveaux colons pour l'avancement de leur agriculture. Par les articles 21, 22 et 23 de la cédule de colonisation, nous avons vu qu'elle leur promettait du bétail, de la farine de froment, et des outils et instruments de labour, au prix coûtant; non seulement elle les leur livrait à vil prix, mais encore payables à terme, du produit de leurs récoltes. Elle leur livrait aussi dans les mêmes conditions, quoique sans engagement de sa part, des esclaves de la compagnie anglaise de l'Asiento, MM. Baker et Dawson, mais en nombre insuffisant (2). A la même époque, deux nouveaux colons irlandais, MM. Edward Barry et John Black (3), importaient, il est vrai, des cargaisons d'esclaves; mais ces esclaves, probablement le rebut des cargaisons arrivant de la côte d'Afrique dans les îles anglaises, mouraient comme des mouches: sur quarante de ces malheureux, achetés au commencement de 1785, il n'en resta de vivants, au bout de trois jours,

(1) De Léry, Mémoire sur l'ile de la Trinité, 1786, ms. (2) Id., ibid.

(3) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 94.

que cinq ou six (1). Pour remédier à cet état de choses déplorable, il fut décidé que l'emprunt d'un million de dollars, autorisé par cédule royale, serait exclusivement affecté à l'achat d'esclaves africains; et comme la ville de Londres était alors le grand centre de la traite des noirs, ce fut une maison de cette ville qui contracta pour cette fourniture, entièrement indépendante de celle de MM. Baker et Dawson. Toute agriculture étant impossible sans laboureurs, et les esclaves étant les seuls laboureurs de l'époque, les planteurs en demandaient autant que possible pour faire prospérer la leur; ils ne craignaient pas d'en recevoir surabondamment, << attendu, disent les archives du cabildo, que l'état florissant de la colonie promet des progrès de plus en plus grands, à proportion des secours accordés aux planteurs (2). >> C'est au prix de deux cent quatrevingts dollars et à un an de crédit, qu'était livré chaque esclave fourni par la métropole (3). On voit que le prix de ces esclaves avait alors presque triplé.

Selon l'expression du cabildo, l'état de la colonie était, en effet, florissant au commencement de 1793. Sa population qui, à la date de la promulgation de la

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 92. Dans le but de blanchir les deux Irlandais, qu'il ne nomme pourtant pas, M. E.-L. Joseph insinue que cette grande mortalité pourrait bien avoir été occasionnée par les mauvais traitements des colons français, traitements autorisés par un code noir qu'ils auraient fait sur le modèle de celui de Louis XIV, et qui serait autre que celui de 1789. Inutile d'ajouter que ce code est de pure invention.

(2) Id., ibid., p. 124.

(3) De Léry, Mémoire sur l'île de la Trinité, 1786, ms.

cédule de colonisation, s'élevait à peine au-dessus d'un millier d'habitants, et à 10,422 en 1789, ne pouvait être de moins de 15,000 à 16,000 à cette date; les villes, les villages et les quartiers se peuplaient à l'envi; les plantations se multipliaient. Au Port-d'Espagne, les marchands étaient nombreux; la place regorgeait de merceries françaises que les lanches de la Côte-Ferme venaient acheter en grand nombre (1). Le commerce d'exportation consistait en sucre, café, coton, cacao et indigo. Toutes les industries, toutes les professions, tous les métiers prospéraient le bien-être était général. On peut dire sans exagération que les huit premières années du gouvernement de Don José María Chacon furent l'âge d'or de la Trinidad (2). Heureux fruit, de trop courte durée, hélas! et de trop rare exemple, d'une entente parfaite entre la métropole, le gouvernement local et les colons!

(1) De Léry, Mémoire sur l'ile de la Trinité, 1786, ms. (2) Tradition de famille.

CHAPITRE XI

CONTRE-COUP DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

(1793-1796)

Le coup de foudre du supplice de Louis XVI vint par malheur frapper au cœur la florissante colonie. A partir de ce moment, les bons rapports qui régnaient d'une manière si complète entre la métropole, le gouverneur et les nouveaux colons, se rompirent brusquement, pour faire place à l'esprit de nationalité, si funeste aux populations mixtes. La métropole d'abord, le gouverneur ensuite, en furent, comme de juste, les premiers saisis.

Le roi Charles IV, le successeur de Charles III, fut le monarque auquel inspira la plus profonde horreur la crise sanglante que traversa alors la France. En se jetant, toutefois, dans la grande coalition européenne contre la Révolution, il n'obéissait, pas plus que ses alliés, à des préoccupations purement sentimentales ; les considérations politiques entrèrent pour une large part dans ses calculs. Si le dégoût de l'Espagne était profond, en effet, pour les excès de la Révolution, son aversion était encore plus grande pour ses principes ; non seulement ils répugnaient à tout son passé monar

chique, mais ils lui portaient surtout ombrage pour la conservation de ses colonies américaines. Depuis trois siècles, elle y exerçait un monopole à la fois politique, religieux, industriel et commercial, qu'elle entendait conserver à tout prix, et qu'elle ne pouvait, par conséquent, consentir à laisser pénétrer par des théories nouvelles de liberté et d'indépendance. Même en suivant le conseil de Roume de Saint-Laurent, de renoncer à tout ce monopole en faveur de ses îles Antilles, et particulièrement de la Trinidad, dans le but de se trouver en position de soutenir la lutte contre le commerce envahissant des États-Unis, nous avons vu qu'elle ne s'en était pas, néanmoins, dessaisie sous le rapport religieux. Contre la contagion de ces théories nouvelles en Amérique, elle s'empressa de prendre des précautions. Immédiatement après la déclaration de guerre, une dépêche du conseil des Indes, du 7 août 1793, met en garde les gouverneurs des colonies contre « les menées des propagandistes français, lesquels introduisirent en Amérique des livres et publications (notamment les écrits de Voltaire et de Rousseau) préjudiciables à la sainteté de la religion, à la tranquillité publique et à la subordination nécessaire des colonies, » et contre « les desseins du nouveau gouvernement de la France (1). »

Ce nouveau gouvernement de la France, le gouvernement républicain, était alors singulièrement antipathique aux Espagnols. De nos jours, on se fait difficilement une juste idée du sens attaché au mot républicain

(1) Blanco, Documentos para la historia del Libertador, t. I, no 186, p. 247.

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