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naires, comme son gouvernement et comme celui de la métropole à cette époque. Pour organiser des forces nouvelles et pouvoir porter ses coups partout à la fois, il décréta l'émancipation des esclaves d'une part, et de l'autre la levée en masse. De ces recrues, presque entièrement noires et de couleur, il fit, en peu de temps, d'excellentes troupes, capables de rivaliser avec celles de l'ennemi. Il arma aussi un grand nombre de corsaires pour inquiéter le commerce de l'ennemi, et porter des secours d'hommes et de munitions de guerre là où le besoin s'en faisait sentir. Ce fut avec un grand succès qu'il ouvrit la campagne de 1795; la révolte éclata dans toutes les îles françaises occupées par les Anglais. Elle fut étouffée à la Martinique, dont les Anglais avaient fait leur quartier-général, et où ils se trouvaient en nombre, et aussi à la petite île de la Dominique, sa voisine; mais à Sainte-Lucie, à SaintVincent et à la Grenade elle fut victorieuse. Dans les deux dernières, les plus voisines de la Trinidad, les Anglais, surpris et massacrés, ne purent se maintenir que dans les capitales, et dans la première ils furent contraints de s'embarquer, abandonnant aux révoltés femmes, enfants et matériel de guerre (1). On dit que le gouverneur de la Grenade aux abois fit demander des secours à celui de la Trinidad (2); mais il est peu probable qu'il en reçut. Don José María Chacon ne pouvait consentir à se dégarnir de troupes au moment où il

(1) Bryan Edwards, History of the war in the W. I., t. IV, p. 11 et seq.

(2) Id., ibid., t. IV, p. 37.

voyait à sa porte la révolution » victorieuse; tel est le nom que l'on donnait alors à la guerre des républicains contre les envahisseurs de leur patrie.

Sa perplexité était grande. Quoique protégé par tout un régiment d'infanterie, le trop timide gouverneur ne se croyait pas en sûreté dans son gouvernement; à chaque instant il lui semblait entendre éclater des désordres. Il ne se tranquillisa qu'en voyant entrer dans le port une escadre espagnole, commandée par l'amiral Aristizabel, laquelle était chargée de recevoir de la partie espagnole de Saint-Domingue, nouvellement cédée à la France, les restes de l'immortel Christophe Colomb. Mais la présence de cette escadre ne pouvait être que de courte durée, l'amiral étant pressé de remplir sa mission. Quand elle dut partir, le gouverneur voulut la retenir. Il se fit adresser par le cabildo la prière « de représenter à l'amiral les progrès effrayants de la révolution dans les îles voisines, et la situation critique de la colonie, où l'insurrection avait déjà commencé avant son arrivée, et de lui demander de différer son départ jusqu'à ce que les circonstances ne réclament plus, d'une manière urgente, sa présence dans le port (1). » « Le temps presse, aurait répondu l'amiral; je ne puis attendre; mais désignez-moi seulement les chefs de l'insurrection, et je promets de les faire pendre aux bout de mes vergues (2). » Une insurrection, déjà com

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 152.

(2) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x, p. 178. Cet écrivain rapporte, avec un grand sérieux, que ce même amiral avait intercepté des lettres en mer où il était ques

mencée et seulement contenue par l'arrivée inopinée d'une escadre, eût dû éclater après son départ, si le cabildo eût dit la vérité. Il n'en fut rien cependant; la tranquillité de la colonie ne fut jamais troublée pendant toute la durée des guerres coloniales. Sans doute, les péripéties de ces guerres acharnées ne manquèrent pas d'émouvoir profondément les colons trinidadiens qui étaient parents, amis et compatriotes des combattants; mais, à ces seules émotions, hélas! trop naturelles pour être reprochées, se bornèrent leurs agitations. La peur grossissant les objets, le gouverneur et le cabildo auront vu un commencement d'insurrection » là où il n'y avait que des réjouissances ou des lamentations. Ce qui ressort avec évidence de la supplique du cabildo, c'est que la méfiance de l'administration espagnole de l'île à l'égard de sa population française était alors à son comble.

Pendant que les îles françaises étaient ainsi soulevées par l'énergique Victor Hugues contre leurs envahisseurs, la France remportait d'éclatantes victoires sur les alliés. L'Espagne, battue dans les deux campagnes de 1793 et 1794, ne tarda pas à demander la paix, qu'elle obtint le 19 août 1795 sur les bases de l'ancien «< pacte de famille ; c'était l'alliance prochaine des deux pays contre l'Angleterre. Vaincue comme l'Espagne, la Hollande s'était déjà jetée dans les bras de la France (1).

tion d'une guillotine préparée par un républicain pour couper la tête aux Espagnols, aux Anglais et aux Français royalistes de l'île, qui se seraient, sans doute, laissé faire.

(1) Thiers, Histoire de la Révolution française, t. III, chap. xxvIII, p. 151.

La rupture de l'alliance de l'Espagne avec l'Angleterre vint contrarier la politique anglaise de Don José María Chacon; il ne lui resta plus aucun prétexte pour motiver honorablement ses sympathies pour une puissance devenue l'ennemie de sa patrie. Cependant, telle était son horreur de la République et des républicains, qu'il resta invariablement attaché à ses préférences. Aussi ne prit-il aucune précaution pour parer aux graves évènements qui, il était évident pour tout le monde, devaient se produire bientôt dans la colonie confiée à sa garde. A ceux qui lui représentaient que l'Angleterre réunissait alors en Europe des forces considérables pour soumettre les îles révoltées, et, en même temps, tomber sur les établissements hollandais de la Guyane, et les îles espagnoles de Porto-Rico et de la Trinidad, il répondait «Si le roi m'envoie des secours, je ferai ce que je pourrai pour conserver cette colonie à sa couronne; sinon, il faut qu'elle tombe aux mains des Anglais que je crois être des ennemis généreux, auxquels il vaut mieux se fier qu'à de perfides amis (1). » Au courageux Victor Hugues, qui voulait défendre la population française de l'île et lui faisait offre de secours, il répondit par un refus (2). Il refusa également un corps de troupe, commandé par le général noir dominicain Jean-François, l'émule de Toussaint Louverture, que lui offrit le capitaine-général de l'île de Cuba: « Nous avons déjà trop de républicains désordonnés dans le

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 187.

(2) Id., ibid., p. 187.

pays, » lui écrivit-il. Dans sa séance du 14 mars 1796, le cabildo « prie le gouverneur de ne permettre, sous aucun prétexte, à ces hommes l'entrée de la colonie où la semence des principes révolutionnaires a, non seulement pris racine, mais a déjà fructifié en diverses occasions (1). » Et cependant, ce corps était royaliste et non républicain; au supplice de Louis XVI, le général Jean-François avait déserté la cause française pour la cause espagnole, et passé à l'île de Cuba à la cession de la partie espagnole de Saint-Domingue à la France. Il avait donc suffi que ces hommes fussent noirs pour être stigmatisés par l'administration trinidadienne du nom de républicains. Comment douter après cela du parti pris de livrer la colonie aux Anglais, en haine des républicains français?

Bien différente était la politique de la métropole à l'égard de la population française de l'île. Même pendant ses deux années de guerre avec la France, elle ne cessa de veiller sur elle et d'étendre les franchises de commerce et de navigation qu'elle lui avait déjà accordées. C'est ainsi que, à la date du 30 décembre 1794, le gouverneur communique au cabildo un ordre royal, du 25 juillet de la même année, portant: 1o que tout navire, soit national, soit étranger, est affranchi, le premier du droit de 33 pour 100 d'enregistrement, et le second du droit de tonnage de 100 réaux de plata ou d'argent; 2o que la navigation est libérée du droit de media-anata ou demi-droit bénéficiaire, et de celui de

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 160.

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