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Les deux navires les dénichèrent des criques où ils s'abritaient, et les pourchassèrent du dédale des îlots Grenadins, où ils se retiraient lorsqu'ils étaient attaqués par des forces trop supérieures; ils furent contraints de venir se réfugier dans les eaux neutres du golfe de Paria, poursuivis par l'ennemi. Là ils se crurent en sûreté ; mais ce refuge, excellent si la neutralité de l'île était respectée, devenait une souricière si les Anglais n'en tenaient pas compte, et ils n'en tinrent pas compte. Pendant que la frégate louvoyait le long des Bouches pour en fermer le passage, le commandant de la corvette eut la mission de se rendre auprès du gouverneur Chacon, pour lui remettre des dépêches du capitaine Vaughan lui demandant l'autorisation de détruire les pirates français dans les eaux de son gouvernement. Le capitaine Skinner arriva la nuit en rade du Port-d'Espagne, et obtint immédiatement audience du gouverneur, qui ne voulut pas accepter la responsabilité de cette violation du droit des gens. Mais peu importait au capitaine le succès de sa démarche, le sort des malheureux corsaires ayant été arrêté quand même. Il prit aussitôt congé du gouverneur, s'en retourna aux Bouches par où il était entré sans avoir été aperçu, et le matin, au point du jour, canonna les corsaires pris à l'improviste. Ils furent tous détruits, sauf les équipages, qui purent se sauver et gagner le Port-d'Espagne (1).

(1) M. E.-L. Joseph (History of Trinidad, part. II, chap. x, p. 179) a tout un conte d'enfant sur cet évènement. Il dit qu'un navire anglais, la Mary, chargé de cacao en rade du Port-d'Espagne, n'osait pas se rendre à sa destination de peur d'être pris par les corsaires français; que la corvette Zebra, entrée la nuit

C'est ainsi que, coûte que coûte, les Anglais surent atteindre leur but.

Cet acte de guerre, déjà bien répréhensible par luimême, fut encore aggravé par l'imprudence du capitaine Vaughan. A la nouvelle de la destruction des corsaires français, le chef de l'expédition, après avoir dépêché la corvette aux îles de Sous-le-Vent, crut devoir se rendre auprès du gouverneur Chacon pour justifier la conduite de son lieutenant, et peut-être aussi pour reconnaître le pays, qui ne devait pas tarder à être attaqué par les armes anglaises. Aux yeux des marins français, cette démarche eut une apparence d'ironie; elle eut surtout le tort de mettre en présence ces vaincus de la veille, sans pain et sans asile, et ces vainqueurs par lesquels ils avaient été si cruellement et si injustement maltraités. Mais le capitaine Vaughan ne se préoccupa nullement de sa position équivoque au Port-d'Espagne ; il était téméraire, et, pour imposer, il croyait qu'il suffisait d'être audacieux. Aussitôt arrivé en rade, il obtint audience du gouverneur; puis il se mit à visiter les quelques Espagnols et Irlandais de la ville. Ses officiers débarquèrent à leur tour, et, à son exemple, visitèrent leurs compatriotes; les jours suivants, à tour de rôle,

dans le golfe sans avoir été aperçue, avait été prise pour la Mary par les corsaires qui l'avaient attaquée, et que la corvette, démasquant alors ses batteries, les avait coulés à fond, brûlés ou échoués, au nombre de sept à huit. Ce racontar ne supporte pas l'examen; on ne saurait admettre que l'œil exercé de plus de deux cents loups de mer ait pu prendre une corvette pour un bâtiment marchand. Il n'a été évidemment inventé que pour donner une couleur honnête à un acte de guerre injustifiable.

ils passèrent la soirée à terre, pendant que les équipages de leurs chaloupes, en attendant leur retour, garnissaient les abords de la jetée (1).

Mis ainsi en contact, les adversaires ne tardèrent pas à se mesurer. Dans la soirée du 8 mai, les officiers de l'Alarm, se trouvant chez une dame Griffith dont la maison était située à l'entrée de la rue aboutissant à la jetée, aujourd'hui rue Frederick, les marins français et anglais se prirent de querelle. Aux insultes succédèrent les coups, et une rixe générale s'engagea. Au bruit de la bataille, les officiers coururent au secours de leurs hommes et dégaînèrent; de leur côté, les corsaires, en grand nombre et en armes, volèrent se ranger à côté de leurs camarades. Les Anglais, coupés de leurs chaloupes, et attaqués par des forces supérieures grossissant de minute en minute, prirent le sage parti de battre en retraite sur la maison formant le coin de la rue, où ils se retranchèrent, et furent assiégés par les Français. Jusqu'alors, pas une goutte de sang n'avait coulé; mais bientôt partirent des coups de feu des fenêtres et de la rue, et le chirurgien de la frégate eut le malheur d'être atteint. Ces détonations mirent la ville en émoi, et une foule, hostile aux Anglais, se précipita sur le théâtre de la lutte; il n'y avait plus un seul instant à perdre pour les arracher à une mort certaine. Au même moment, par bonheur, se présentèrent sur le

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x, p. 180. Tous les détails de la visite du capitaine Vaughan ne se trouvent que dans cet auteur, qui dit les tenir de plusieurs anciens habitants de l'île.

'champ de bataille des troupes espagnoles de la garnison qui, en se formant à la droite et à la gauche des assaillants, les isolèrent de la multitude envahissante (1). Ces troupes, assemblées à la hâte par ordre du gouverneur, étaient commandées par Don Juan Jurado de Lainés, auditeur de guerre et assesseur des revenus royaux (2).

Après avoir ainsi isolé les assaillants, Don Juan Jurado pénétra dans la maison assiégée et se mit à les haranguer de l'une de ses fenêtres, non dans le but de les apaiser (ils étaient trop avides de vengeance pour cela), mais dans l'espoir de produire une diversion qui permît aux Anglais de se dérober à leurs ennemis en franchissant un mur de clôture, et de gagner leurs chaloupes. Le stratagème eut un plein succès; sauf le chirurgien blessé qu'on coucha dans une chambre de la maison, tous les Anglais réussirent à s'embarquer sans être aperçus. Les paroles de l'auditeur de guerre furent souvent couvertes par les cris tumultueux de : « Mort aux Anglais! Ouvrez les portes! ouvrez les portes, ou nous les enfonçons! » Quand il sut les Anglais hors de tout danger « On vous les ouvrira, s'écria-t-il alors, et vous verrez que la maison a été évacuée; vous n'y trouverez en fait d'Anglais qu'un homme digne de tous vos respects, puisqu'il est blessé. » Les portes furent aussitôt ouvertes, et la maison envahie. L'obscurité s'étant faite, on se procura des lumières; toutes les chambres,

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x, p. 181.

(2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 156.

tous les réduits de la cour et de la maison furent minutieusement, mais inutilement fouillés, et les corsaires, trompés dans leur attente, se retirèrent au chant de la Marseillaise (1). Inutile d'ajouter que le blessé fut respecté. Le service rendu par Don Juan Jurado dans cette circonstance lui valut un vote de remerciment de la part du cabildo, où il est dit que le « tumulte » de la nuit du 8 mai fut apaisé « par ses efforts personnels et par les sages dispositions prises par lui (2). »

A la nouvelle de ce qui n'était que le fruit de son imprudence, mais de ce qu'il estima être un outrage à son pavillon, le capitaine Vaughan fut transporté de colère. Ardent et impétueux de sa nature, il avait combattu avec acharnement les républicains de Victor Hugues dans les îles révoltées de Sainte-Lucie, de SaintVincent et de la Grenade, et il s'indignait de voir les débris de ces vaincus oser venir s'attaquer à lui à la Trinidad. Immédiatement il résolut d'en tirer une éclatante vengeance. La même nuit, il ordonne le branle-bas de combat et fait les dispositions nécessaires à un débarquement au point du jour; les chaloupes sont armées et mises à l'eau, et les hommes, matelots et soldats, au nombre de deux cent quarante à deux cent cinquante, rangés en bataille sur le pont, leurs officiers en tête. Avant l'aube, le signal est donné; les hommes sont embarqués et les chaloupes mises en

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. x, p. 181.

(2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 163.

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