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de celle de Porto-Rico, entreprise dans laquelle il échoua complètement (1).

La perte de la belle et florissante colonie de l'Espagne eut un grand retentissement dans le monde; quand les circonstances en furent connues, l'indignation fut générale. Chacun opposait la noble résistance du gouverneur de Porto-Rico à la conduite honteuse de Chacon et d'Apodaca. Aux conférences qui se tinrent à Lille, en France, en cette même année 1797, le Directoire mit pour condition sine quâ non de la paix que lui offrait l'Angleterre, le retour de la Trinidad à l'Espagne (2). Aussi Chacon et Apodaca, à leur débarquement à Cadix, furent-ils mis aux arrêts, en attendant leur jugement. Mais ce déploiement de vigueur, commandé par l'opinion publique, ne pouvait être qu'une moquerie sous un gouvernement aussi corrompu que l'était celui de Godoy, le ministre de Charles IV. Pour donner aux esprits le temps de s'apaiser, l'affaire fut traînée en longueur, et ce ne fut que le 28 mai 1798, plus de quinze mois après la prise de l'île, que les deux officiers généraux comparurent à Cadix devant un conseil de guerre. La défense d'Apodaca fut présentée par son frère; elle roula sur l'avis unanime de ses cinq capitaines, ce qui ne le disculpe pas; sur la force supérieure de l'escadre anglaise qu'il exagère; sur la maladie de ses hommes qu'il exagère aussi, et enfin sur l'impossibilité de sa fuite par la bouche du Ser

(1) Fr. Iñigo Abbad y Lasierra. Historia de San-Juan de P.-R. Note, p. 187 et seq.

(2) Thiers, Histoire de la Révolution française, t. IV, chap. x, p. 56 et seq.

pent, ce qui est controuvé. Avec l'intention évidente de diminuer ses forces autant que possible, il ne fit aucune mention de la redoute de Gaspar Grande (1). Celle de Chacon reposa également sur la supériorité des forces anglaises et sur la maladie de ses troupes. Ces troupes y sont représentées comme s'élevant à 600 hommes à peine, lorsque nous savons qu'il a fait mettre bas les armes à 2,200 hommes, et qu'il eût pu en avoir trois ou quatre fois autant en acceptant les secours de Victor Hugues et du gouverneur de la Havane; lorsque nous savons encore qu'il eût pu organiser un corps de volontaires et appeler la milice sous les armes ! Il y fut aussi allégué que la capture de la corvette Galgo l'avait laissé sans provisions et sans moyens de s'en procurer; mais nous savons qu'il en tomba « en grande abondance» entre les mains de l'ennemi. Enfin, pour faire accroire que l'île n'a pas été livrée sans résistance, il y fut avancé qu'il n'y eut qu'une dizaine de morts et de blessés du côté des Espagnols, mais que les Anglais perdirent « la plus grande partie du régiment allemand (2); » or, ceux-ci n'eurent qu'un seul homme blessé, le lieutenant Villeneuve, du 8e régiment, qui mourut des suites de sa blessure (3), et la tradition veut qu'il n'y eut de même qu'un seul Espagnol tué à la redoute de la rade, l'artilleur de brigade Mateo Martinez, non par un projectile lancé par l'ennemi,

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(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 201.

(2) Voir à l'Appendice la dépêche de Chacon.

(3) Bryan Edwards, History of the war in the W. I., t. IV, chap. VII, p. 84.

mais par son propre canon, qui éclata dans une décharge. Toutes ces allégations furent acceptées comme vraies, et les deux officiers généraux furent absous à l'unanimité (1).

Cet acquittement scandaleux révolta la conscience publique. Aux États-Unis et même en Angleterre, la presse s'en émut; plusieurs articles de journaux établirent la culpabilité de la reddition de l'île sans aucune résistance. A la Trinidad, il provoqua une explosion de colère bien naturelle de la part de ceux qui avaient été les témoins de la conduite de l'ex-gouverneur, et qui en avaient souffert. On dit qu'il y fut rédigé un mémoire explicatif des évènements de la capitulation, et que ce compte-rendu, préparé secrètement pour ne pas éveiller les susceptibilités du nouveau gouvernement, fut envoyé par la voie des États-Unis au premier consul de France, qui l'aurait apostillé et remis à la cour d'Espagne (2). Quoi qu'il en ait été, le cabinet espagnol, revenu plus tard au sentiment de sa propre dignité, résolut de ne pas laisser plus longtemps impuni le dangereux exemple offert à la Trinidad à ses armées de terre et de mer, et adressa au commandant général de l'armée d'Andalousie l'ordre royal qui suit :

La remise de l'île de la Trinidad-du-Vent, que fit aux forces britanniques le brigadier de la flotte Don José María Chacon, son gouverneur, et l'incendie qu'ordonna le chef d'escadre Don Sebastian Ruiz de Apodaca

(1) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. XI, p. 201.

(2) Id., ibid., p. 201 et seq. — Ce mémoire, peut-être apocryphe, n'a pas été retrouvé.

des quatre vaisseaux et une frégate qui se trouvaient dans le port de Chaguaramas, sont des évènements où les armes du roi n'ont pas été maintenues à la hauteur qui leur convient par la faute de chefs qui, oublieux de leur honneur, ont manqué à leur devoir aussi bien qu'à la réputation si essentielle du service royal.

Des actes répétés de cette nature ont convaincu Sa Majesté de la nécessité, quelque pénible qu'elle soit à ses sentiments de bienveillance, de refuser toute excuse à des fautes aussi punissables que honteuses pour le vrai militaire, qui ne connaît aucun autre chemin pour arriver au comble de la gloire que celui de l'exactitude et de la ponctualité dans le service, et d'une valeur solide et intrépide pour faire respecter les droits du roi et ses royales armes.

« Bien que Sa Majesté ait eu disposé que cette cause fût jugée aux termes des lois réglementaires, elle s'est vue dans l'obligation de la faire instruire de nouveau à cause des nombreuses nullités qu'elle a présentées, en dehors de la défense des coupables, contraires à la justice et à la vindicte publique, et à cause de ses excès de pouvoir et de ses omissions dans la sentence absolutoire qui a été publiée; mais, après avoir pris l'avis des ministres qui ont sa confiance, elle a trouvé de suffisants motifs dans ce qui ressort du procès pour procéder, sans qu'il soit nécessaire de recourir au moyen indiqué, à un châtiment qui, quoique sans proportion avec les délits, serve d'exemple à ceux qui se trouveront dans des circonstances semblables, pour qu'ils fassent ce qu'exige l'honneur et les obligations du service.

«En conséquence, il a plu à Sa Majesté déclarer que

Don José María Chacon n'a pas défendu l'île de la Trinidad comme il aurait pu le faire, et que Don Sebastian Ruiz de Apodaca s'est déterminé à brûler les navires qu'il commandait prématurément, et sans observer l'ordre graduel prévu par le règlement pour ces cas, et pour ces motifs les a condamnés, l'un et l'autre, à la privation de leurs emplois respectifs, dont les brevets leur seront repris, et le premier, en outre, au bannissement à perpétuité; et attendu qu'il appert de la déclaration des commandants des navires brûlés que le brigadier Don Gerónimo Gonzales de Mendoza et les capitaines de vaisseau Don José Jordan, Don Gabriel Siundo, Don Rafael Rennazar et Don Manuel Urtuzabel ont été d'avis, au dernier conseil de guerre tenu par Apodaca, de procéder à l'incendie à la manière dont il eut lieu, Sa Majesté les suspend de leurs emplois respectifs pendant quatre ans, afin de les prévenir qu'ils aient à l'avenir à conformer leurs avis au sens littéral du règlement; sans qu'il soit possible à aucun de ces coupables, ni à Chacon, ni à Apodaca, d'avoir aucun recours par voie d'appel; et à cette fin Sa Majesté leur impose un silence perpétuel (1). »

On ignore ce qui advint du pusillanime Apodaca après la perte de son honneur et de son grade. Pour ce qui est de notre ex-gouverneur, on sait qu'il choisit le Portugal pour lieu de son bannissement. Là, sur la frontière de son pays, il expia cruellement le mal qu'il lui fit. Il y passa de longues années dans la pauvreté, à la charge de ses parents et amis, car, disons-le à son

(1) Voir l'original espagnol à l'Appendice.

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