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à la nouvelle ville de Santo-Tomé, bâtie sur l'Orénoque en 1762, à l'angostura, ou étrécissement du fleuve; cette ville est celle qui existe aujourd'hui sous le nom de Ciudad-Bolivar, ou Bolivarville.

Les centres de population étaient, indépendamment des quatre missions indiennes d'Arima, Toco, Siparia et Savana-Grande (1), les deux bourgades de San-Juan d'Aricagua et de San-Fernando de Naparima, et les deux villes de San-José de Oruña et du Port-d'Espagne. Les missions, comme par le passé, continuaient à péricliter sous la double férule de leur corregidor et de leur curé. Les deux bourgades n'avaient encore pris qu'un médiocre développement; elles ne comptaient qu'un petit nombre de maisonnettes autour de leur place carrée. L'ancienne capitale, au contraire, avait beaucoup gagné en importance, malgré le rapide accroissement de la nouvelle. Reliée à celle-ci par un grand chemin carrossable, et devenue ville de garnison, elle participait de ses progrès et vivait de sa vie. La ville morte d'il y a vingt-cinq ans était devenue vivante et animée. Sa population, de cinq à six cents âmes, la garnison non comprise, était toute composée de familles espagnoles, les unes datant de la conquête de Don Antonio de Berrío y Oruña, et les autres, en plus grand nombre, attirées dans l'île du continent voisin par la prospérité dont elle jouissait. La justice y était administrée par un teniente justicia mayor, ou sous

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., pp. 97, 111 et 113.

grand-juge (1). La nouvelle capitale surtout avait pris un développement véritablement merveilleux pour l'époque; cet ancien village de pêcheurs, que nous avons vu encore si réduit à l'arrivée de notre colonisateur, était devenu, en peu d'années, une jolie petite ville de quatre à cinq mille âmes. Elle était bornée à l'est par la Rivière-Sèche, au sud par la mer, et à l'ouest et au nord par les terrains marécageux de l'ancien cours de la rivière de Tragarete, ou Sainte-Anne; elle avait la forme d'un triangle, et comptait de cinq à six cents maisons généralement construites en bois et en tapia ou torchis, et couvertes en aissantes (2).

Les rues du Port-d'Espagne étaient aussi larges que nous les voyons aujourd'hui; elles étaient sans trottoirs, égouttées par un ruisseau qui en occupait le milieu à la manière ancienne, et pavées du calcaire de Laventille. Celles qui existaient alors et aboutissaient au rivage étaient, à partir de l'est: 1° la rue dite des Trois-Chandelles, parce qu'elle était éclairée par trois réverbères, aujourd'hui rue « Duncan; » 2o la rue de l'Église, parce qu'elle aboutissait à l'embarcadère de la Puntilla en longeant la place de l'Église, aujourd'hui rue « Nelson; » 3o la rue de la Place, de l'espagnol plaza de mercado ou marché, aujourd'hui rue «George; » 4o la rue de Sainte-Anne, conduisant au chemin de la vallée de ce nom, aujourd'hui rue « Charlotte; » 5o la rue d'Herrera, du nom du chef de police qui y avait sa

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., pp. 92 et 113.

(2) Tradition.

maison, aussi appelée Calle-Nueva ou rue Neuve, aujourd'hui rue « Henry; » 6o la rue des Anglais, ainsi nommée en souvenir de l'échauffourée du capitaine Vaughan, aujourd'hui rue « Frederick; » et 7° la rue de Chacon, du nom de notre dernier gouverneur espagnol, rue encore à peine ébauchée sur les terrains marécageux de l'embouchure de la rivière de SainteAnne. Les travesias ou rues de traverse étaient au nombre de trois. La première, aujourd'hui rue « Queen; >> la seconde, aujourd'hui rue « Upper-Prince; » et la troisième, aujourd'hui rue « Duke », aboutissant toutes à l'ancien lit de la rivière de Sainte-Anne; au delà de ce lit, qui passait derrière la chapelle du Rosaire et l'église anglicane actuelles pour se rendre à la mer à la hauteur de la rue Chacon sur la promenade actuelle dite Marine-Square, » était la campagne (1).

L'église, bâtie non loin de la Puntilla, derrière la cathédrale catholique actuelle, occupait l'extrémité orientale du terrain longeant le bord de mer et réservé comme champ de manœuvres; comme cette cathédrale, elle était dédiée à la Vierge sous le vocable de l'Immaculée-Conception. Sa construction n'avait rien de remarquable: c'était un long parallélogramme sans bas côtés, construit en bois et couvert en aissantes. A l'extrémité occidentale du terrain longeant le bord de mer, aujourd'hui «< South Quay » ou quai du Sud, était le cimetière (2). Le marché aux provisions était un terrain vacant qui se voit encore aujourd'hui vis-à-vis le marché actuel ;

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(1) Tradition. Il nous a été impossible de nous procurer un plan de la ville à cette époque. (2) Id.

il ne s'y trouvait aucun bâtiment d'ensemble, mais chaque marchand y avait une baraque portative pour laquelle il payait au cabildo une redevance de deux dollars par mois (1). Les édifices publics occupaient le côté oriental de la rue de Sainte-Anne, depuis le coin du bord de mer jusqu'à celui de la première rue de traverse. Au coin du bord de mer, le gouvernement, le trésor et tous les bureaux de l'administration formaient un massif de maçonnerie; à l'autre coin étaient les casernes et la prison, également en maçonnerie. Entre les deux coins se trouvaient des constructions en bois pour le cabildo, les tribunaux, etc. (2). Aux abords de la ville étaient la redoute de la rade et celles de Laventille. Non loin de ces dernières, sur une des collines les plus avancées, se voyait et se voit encore aujourd'hui la loge franc-maçonnique, «<les Frères-Unis no 327, » fondée par M. Benoît Dert en 1795, et affiliée deux ans plus tard, sous le vénéralat de M. de Launay, à la grande loge de Pensylvanie, sous le no 77 (3).

Cette petite ville, avec ses rues tirées au cordeau et ses maisons de bois peint, avait un aspect riant; elle passait dès lors pour une des plus jolies des Antilles. Mais, comme toutes les villes bâties en bois, elle était sujette aux incendies, et pour l'empêcher d'être ravagée par le feu, le cabildo avait le soin de se munir de trois pompes à incendie, servies chacune par une compagnie

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 107.

(2) Tradition.

(3) Hart, Hist, and stat, view of the I. of Trinidad, p.

197.

de pompiers (1). Un autre désavantage dont elle souffrait était le manque d'eau courante; pour y remédier, il eût fallu y conduire celle de la rivière de Sainte-Anne; mais des deux projets de M. Claude de Deshayes en 1789 (2) et de Don Antonio Vidal en 1795 (3), aucun jusqu'alors n'avait encore été mis en exécution. En attendant, on obtenait de l'eau potable au moyen de puits creusés dans le sol à une profondeur de dix à quinze pieds. Enfin, un dernier décompte, le plus sérieux de tous, aux avantages dont elle jouissait, c'est celui de la présence de la lèpre au sein de sa population; un décret du cabildo du 23 février 1795 ordonne qu'il soit loué une maison éloignée de la ville pour y reléguer les infortunés atteints de l'affreuse maladie (4).

Tel était, aussi fidèlement qu'il nous a été possible de le constater et de le dépeindre, l'état de la colonisation de l'île à la capitulation. Dans le court espace de douze années, et malgré les guerres incessantes des quatre dernières dans la mer des Antilles, cette île déserte et improductive avait acquis une agriculture florissante, un commerce brillant, une ville capitale déjà remarquable. Un aussi rapide avancement, le fruit de l'activité et des connaissances pratiques des colons des îles françaises, est vraiment merveilleux. A cette œuvre glorieuse l'histoire est tenue de rendre un éclatant

(1) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., p. 149.

(2) Id., ibid., p. 107. (3) Id., ibid., p. 149. p. 149.

(4) Id., ibid.,

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