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dans ce cas on ne craindra pas d'avancer que la Trinité est l'île au pouvoir des Espagnols qui, en couvrant leurs possessions du continent, servira aussi de point de réunion à leurs vaisseaux pour agir offensivement avec ceux de France.

Nous ne discuterons point si la communication avec les autres îles est facile; il suffit qu'elle soit possible, ainsi qu'il est prouvé, dans l'espace de huit à quinze jours; d'où l'on peut inférer que la position de la Trinité est des plus avantageuses pour la France et l'Espagne, puisque pendant neuf mois de l'année les escadres combinées pourront agir aux îles du Vent, et pendant les trois autres hiverner dans le golfe de Paria, où l'on ne connaît point encore les ouragans. Cette situation sera sans doute plus avantageuse que celle d'être à la Nouvelle-Angleterre. L'armée aura au moins connaissance de ce qui se passera aux îles du Vent, et leur donnera les secours dont elles pourront avoir besoin. Elle recevra facilement des vaisseaux et des rafraîchissements d'Europe. Tabago, restant aux Français, assurera davantage l'atterrage des convois et sera un second boulevard pour le continent.

L'île de la Trinité est un losange ayant de 20 à 25 lieues de côtes, faisant de 400 à 500 lieues superficielles. La bande de l'ouest forme avec la Terre-Ferme le golfe de Paria, laissant au vent et sous le vent d'elle plusieurs passages ou bouches. Les plus grandes armées navales peuvent y mouiller et y évoluer dans tous les temps de l'année. Il renferme encore le port de Chagouran, pouvant recevoir des vaisseaux de tous les rangs. Il est situé à la pointe nord de la bande de l'ouest de l'île. Nous en parlerons bientôt.

Les Bouches du vent sont au nombre de deux principales. La première (Bouche du Serpent) n'est guère pratiquée; la deuxième (Bouche du Soldat) l'est davantage par les bâtiments à trois mâts.

Les Bouches de dessous le vent sont au nombre de quatre, et sont connues sous la dénomination générale des Bouches du Dragon.

La première (Bouche du Singe), formée par la pointe nord de la bande de l'ouest de la Trinité et l'une des îles des Bouches, ne sert qu'aux bâtiments qui sont pratiques. Il y a cependant de l'eau pour les gros bâtiments, mais le gisement du goulet n'est pas favorable pour ceux qui entrent ou qui sortent du golfe,

La deuxième (Bouche des Eufs) est la plus fréquentée lorsque la brise est établie.

La troisième (Bouche du Navire) est celle dont on se sert le moins souvent, et encore plus pour sortir du golfe que pour y

entrer.

La quatrième (Grande Bouche), quoique la plus longue, est la plus avantageuse à prendre quand il fait calme, parce qu'alors le flux seul de la mer, qui combat les courants quand ils sont contraires, vous porte dans le golfe.

On peut assurer que cette navigation est très peu connue, même des Espagnols, si l'on en juge par ce qui est arrivé dernièrement à Don Calves, vice-roi du Mexique. Il était chargé par sa cour de visiter cette colonie. Le bâtiment qui le portait est resté près de quinze jours à l'entrée des Bouches du Dragon, sans que son pilote ait osé l'y entrer. Il n'avait pas été plus hardi aux Bouches du Vent, où il n'avait fait que se présenter. Son ignorance était bien grande, puisque, comme nous venons de le dire, le flux de la mer pouvait le porter dans le golfe par la grande passe.

Le golfe de Paria est pour la Trinité une rade superbe, dont les entrées ne sont difficiles que pour les bâtiments étrangers. Il est possible d'établir des batteries de mortiers et de canons dans les différentes îles qui forment les Bouches. Une escadre ne tentera jamais d'entrer dans le golfe que pour y chercher une ennemie qui serait plus faible, mais qui dans ce cas a la ressource de se retirer dans le port de Chagouran, où elle s'embossera. C'est dans cette partie que doit se faire toute la défense de l'île, tant par terre que par mer. On va donner une idée du local, ainsi que des projets qui ont été envoyés à la cour de Madrid. On ne répond point de l'exactitude du plan du port de Chagouran, joint au présent mémoire; il a été dessiné à vue du bord de la corvette du roi « le David » ; il est néanmoins assez conforme à celui qui fait partie du plan général arrêté par Don Chacon, gouverneur de S. M. C.; l'ensemble est vrai, mais les distances sont nécessairement fausses.

Le port de Chagouran est formé par la pointe nord de l'île dans le golfe, la presqu'île de Chagouramas et les îles du grand et du petit Gasparil. Il y a, dit-on, jusqu'à douze brasses d'eau dans le fond du port, ainsi que 400 à 500 toises de distance depuis la presqu'île jusqu'au grand Gasparil. Il y a une sortie pour les

vaisseaux, qui de la bordée peuvent donner dans les Bouches.

A l'est du port est une baie fermée par des écueils, qui servira de carénage. On y communique du port par un passage que laissent les îles de Gasparillos avec la presqu'île de Chagouramas. Il est possible de s'en procurer un beaucoup plus commode en faisant un canal derrière le fort projeté sur la presqu'île, qui est très basse dans cette partie.

La ville doit être placée dans le seul endroit plat qui soit aux environs du port; c'est là que seront tous les établissements militaires. Il y a une rivière qui procurera de l'eau bonne à boire; on dit celle qui est au carénage meilleure. Les bâtiments y vont déjà faire leurs eaux.

Tout ce que l'on peut dire de ces différents projets, c'est qu'ils n'ont pas été conçus par un ingénieur; c'est un dessinateur secrétaire de D. Chacon qui les a mis sur le papier,sans savoir s'ils pouvaient s'exécuter, ni l'effet qu'ils feraient. Les positions cependant sont assez avantageuses pour mériter des fortifications tracées suivant les règles de l'art. La pointe de la presqu'île de Chagouramas paraît assez élevée pour dominer les vaisseaux, ce qui donnera une supériorité au fort qu'on y établira. D'un autre côté, il n'y a pas d'endroit dans l'île d'où l'on puisse le battre en brèche. La côte est très escarpée, difficile à gravir, et pour ainsi dire inaccessible par la grande quantité de bois qui s'y trouve aujourd'hui. et que vraisemblablement on conservera.

Les différentes îles que l'on voit au plan peuvent être occupées par des redoutes et des batteries. Du reste, on ne répond pas de la bonté du port; c'est aux marins à en décider. Une corvette qui irait à la Trinité pourrait avec sa chaloupe reconnaître le gisement des terres, et rectifier par conséquent le plan du port de Chagouran, qui n'a été pris qu'à vue. L'officier prendrait des connaissances qui ne peuvent être saisies que par un homme du métier.

La Trinité est dans la position la plus heureuse relativement au continent. Le golfe de Paria est pour elle une rade immense où les plus belles rivières débouchent. Le commerce devrait donc naturellement s'y porter. Une nation qui connaîtrait ses vrais intérêts en tirerait bien de l'avantage. L'Orénoque, qui se trouve au vent de la Bouche du Soldat, a une communication assurée avec le golfe.

Les Anglais ont bien senti toute l'importance de cette colonie. Si l'on en croit D. Chacon, ils ont demandé pendant un moment la cession de cette île en échange de Gibraltar. S. M. C. qui, non plus que ses ministres, n'en avait jamais entendu parler, écrivit au comte d'Aranda, son ambassadeur en France, lequel consulta M. de Saint-Laurent, habitant de la Trinité, pour lors à Paris. Celui-ci fit un mémoire très détaillé sur l'importance de son île; il avança que sa cession aux Anglais devait entraîner la perte de tout le continent. Il fut chargé de porter son mémoire au roi d'Espagne. S. M. C. fut effrayée de l'idée que lui traçait M. Roume de Saint-Laurent. Non seulement la proposition des Anglais fut rejetée, mais encore le cabinet de Madrid exigea de celui de Versailles la conservation de Tabago.

Le sol de la Trinité est excellent; les productions des îles y viennent à merveille; il ne faut à la terre que des mains laborieuses pour la rendre féconde et tirer les richesses qu'elle renferme. L'exemple des nations voisines n'a point encore fait sortir l'Espagnol de cette indolence qui l'a mis si fort au-dessous de ses rivaux; c'est sans doute pour cette raison que le cabinet de Madrid, qui voyait son insuffisance et qui voulait donner à la Trinité un ressort qui répondît à ses vues, rendit un réglement qui appelait tout homme catholique romain à la culture de ses terres. Les avantages qu'il promettait ont séduit beaucoup de monde; les uns ont réussi; la plus grande partie s'est rebutée. Bref, on ne compte encore aujourd'hui à la Trinité que 16,000 âmes, dont 4,000 blancs, les deux tiers français et l'autre espagnols ou anglais.

D'où vient donc ce peu de population? En voici la raison :

1o Il faut être catholique pour avoir une concession à la Trinité. Il n'y a donc eu que les Français et les Irlandais, lesquels sont en très petit nombre, qui aient pu profiter des droits que donne le réglement.

2o Les Français ont plus de terres qu'ils n'en peuvent cultiver dans leurs îles; ce n'a été que ceux dont les affaires étaient dérangées ou qui n'avaient que peu de moyens qui, dans l'espoir de faire fortune, ont été s'établir à la Trinité, ou bien encore, et c'est le plus grand nombre, ceux qui, à la reddition des îles conquises, n'ont pas voulu rester sous une domination étrangère.

2o Les 4,000 nègres que la compagnie anglaise fournit tous les ans au roi d'Espagne, et qui sont passés aux habitants de la Tri

nité à 1,400 € avec un an de crédit, ne peuvent être achetés en totalité par la colonie; on en porte environ 3,000 à la Havane. Cette compagnie est d'ailleurs vicieuse, elle n'envoie aux Espagnols que le rebut des cargaisons.

3o Il a été établi au Port-d'Espagne une douane qui reçoit 2 ou 4 pour 100 sur toutes les marchandises qui entrent ou qui sortent de la colonie.

4o Le préjugé des étrangers contre le gouvernement espagnol et la politique française, qui a dû empêcher les habitants des îles françaises d'y porter leurs nègres.

Enfin, on peut assurer que si la cour de Madrid ne change point ses dispositions actuelles, elle ne réussira point à établir la Trinité aussi promptement qu'elle l'aurait pu. Le moment de l'enthousiasme est fini. On a de la répugnance à aller dans un pays où l'on n'est pas sûr de jouir longtemps des prérogatives que promet le réglement ou qui diminuent tous les jours par les cabales des Espagnols même, qui sans doute sont jaloux de voir des étrangers plus industrieux qu'eux.

Cependant la Trinité devant être le centre de leurs forces aux îles du vent de l'Amérique et le boulevard de leurs possessions au continent, il n'y a que les productions de la terre et le commerce qui puissent donner à cette colonie les moyens de nourrir les troupes de terre et de mer qu'elle sera obligée d'y avoir. Il faut donc pour cela encourager l'un et l'autre, en admettant les étrangers, de quelque religion qu'ils soient, au partage des terres, permettre l'entrée des nègres de toutes les nations, supprimer toute espèce de droits sur les marchandises et denrées quelconques qui entrent ou sortent de l'île, prolonger la libre exportation des denrées coloniales de vingt à trente ans s'il est nécessaire ; autrement, les étrangers renonceront au défrichement de la Trinité; il n'y aura que les habitants d'aujourd'hui qui pourront se maintenir dans leurs possessions ou qui, peut-être à la longue, donneront quelques accroissements à la culture de cette colonie.

La ville du Port-d'Espagne est établie dans une anse dont le fond est fort plat: c'est là qu'est le port. L'embarquement et le débarquement des chaloupes s'y fait difficilement. Les bâtiments de 60 tonneaux mouillent à plus d'une lieue de la ville, ce qui rend cet établissement défectueux pour le commerce, qui aujourd'hui n'a point d'autre port. La ville est très-bien située dans une

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