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mer (1), sans doute dans l'espoir de réussir à se sauver chez les Guaraunos du delta de l'Orénoque.

A la nouvelle de la révolte des Indiens de San-Francisco de los Arenales, la ville entière se mit en armes, craignant un soulèvement général de l'île. Le cabildo, prenant en main le gouvernement, décida aussitôt de la marche d'un détachement pour surveiller les mouvements des révoltés. Le surlendemain de l'événement, 3 décembre, le maese de campo, Don Pedro de Fernandez de la Vega, se mit en route à la tête de quarante Espagnols et cent Indiens, et, après s'être assuré de la fuite des révoltés vers l'est, s'en revint pour protéger la ville contre les agresseurs qui se présenteraient. Le pays restant tranquille, le cabildo, peu après, envoya le capitaine Don Vicente avec un détachement de trente Espagnols et une centaine d'Indiens, à la poursuite des révoltés. Il les atteignit en chemin et les harcela pendant trois jours; mais, arrivés à la mer, les Indiens se jetèrent dans une lagune impraticable que borde la plage des Cocotiers, à la Bande de l'Est, et gagnèrent un îlot où ils se trouvèrent à l'abri de ses coups. Don Vicente, ne pouvant plus les atteindre, s'en retourna à San-José de Oruña. Ce fut le général indien, Antonio de la Cruz, qui entreprit de les déloger avec ses gens, et sous le commandement en chef de Don Diego Martinez (2). Il fit le siége de leur îlot et ne tarda pas à les affamer. On vit alors avec horreur les malheureuses mères indiennes, aux seins taris par la faim, noyer

(1) Fr. M. de Anguiano, Vida de Fr. F. de Pamplona, liv. III, ch. xxi, ms.

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(2) P. Balme, Definicion de la provincia de Cataluña, notes ms.

leurs tendres nourrissons pour échapper à leurs cris déchirants, et se noyer elles-mêmes ensuite. Un grand nombre d'Indiens allèrent aussi chercher la mort dans les flots, plutôt que de se livrer à l'ennemi. Les autres, au nombre de quatre-vingt-quatre, hommes, femmes et enfants, se rendirent à discrétion et furent conduits à la capitale, où ils arrivèrent le 2 janvier 1700. Lå, ils furent jugés et tous condamnés à mort, sauf les femmes et les enfants au-dessous de douze ans, qui furent réduits en esclavage et répartis parmi les familles espagnoles (1).

Ainsi se termina la sanglante révolte des Indiens de San-Francisco de los Arenales. Cette mission, frappée d'anathème, ne se releva jamais plus de ses ruines, et il serait impossible d'en indiquer aujourd'hui le site certain. L'événement eut un grand retentissement en Espagne et dans toute l'Amérique espagnole. Il fut le sujet d'une légende versifiée dont le titre seul de Romance muy doloroso (2) ou romance (3) bien douloureuse, nous est parvenu, mais dont les principaux traits nous ont été conservés par les chroniqueurs auxquels nous empruntons ce récit. Nous continuons à suivre. leurs chroniques dans le naïf exposé qu'ils nous ont laissé des faits postérieurs à la répression de la révolte.

(1) Fr. M. de Anguiano, Vida de Fr. F. de Pamplona, liv. III, ch. XXI, ms.

(2) E.-L. Joseph, History of Trinidad, part. II, chap. IV, p. 141. (3) La romance espagnole était un poème en petits vers, simple et naïf; elle était divisée en strophes ou couplets. Le sujet en était ordinairement touchant; c'était un chant populaire dans lequel étaient célébrés les grands événements de l'histoire nationale.

Les soins apportés à la subjugation, au jugement et à l'exécution des Indiens révoltés, et la perturbation occasionnée dans les affaires publiques par la mort subite du gouverneur et des principaux fonctionnaires, n'avaient pas, à ce qu'il paraît, laissé le temps au cabildo de s'occuper de l'inhumation des victimes de la révolte. Il n'eut le loisir de l'entreprendre qu'au mois d'avril de l'année 1701, seize mois après l'événement. Le 15 de ce mois, il décréta que les alcades, les religieux et les ecclésiastiques de la capitale et des environs se rendraient à la mission abandonnée, pour recueillir les ossements des victimes et les transporter à l'église de San-José de Oruña. Les commissaires se mirent immédiatement en route, accompagnés de témoins pouvant indiquer les lieux où reposaient les religieux, et de serviteurs chargés de cercueils et d'outils propres aux fouilles qu'ils avaient à entreprendre. A leur arrivée à la mission déserte, ils visitèrent les lieux où les religieux avaient subi le martyre, et à leur grand étonnement, à l'église, au sentier du village et au seuil de la porte de la cuisine, ils trouvèrent leur sang aussi frais que s'il venait d'être répandu. La tranchée dans laquelle les cadavres avaient été jetés fut ensuite déblayée, et, ô surprise merveilleuse! les corps se présentèrent aussi sains et aussi souples qu'au moment de la mort; le sang coulait des blessures liquide et vermeil. Cette conservation miraculeuse fut considérée comme le signe évident de la sainteté des religieux (1). Neuf ans plus

(1) Fr. M. de Aguiano, Vida de Fr. F. de Pamplona, liv. III, ch. XXI, ms.

tard, en 1710, le prodige fut même attesté par un acte public daté de San-José de Oruña, et remis au conseil suprême des Indes (1). Dans les chroniques que nous avons suivies, nulle mention n'est faite des corps du gouverneur, des fonctionnaires et des notables, ni même de celui du porte-bannière, lequel, cependant, avait été jeté, comme nous l'avons vu, dans la même tranchée que ceux des religieux.

D'après les mêmes chroniqueurs, les corps des Capucins, transportés en grande pompe à San-José de Oruña, chacun dans un cercueil distinct, demeurèrent exposés pendant neuf jours à l'église paroissiale de la ville, sans donner le moindre signe de décomposition. Durant le cours de la neuvaine, il y eut assaut de dévotions en l'honneur des saints martyrs; la piété des fidèles rivalisa avec le zèle des ecclésiastiques. Il s'éleva même, parmi ces derniers, une pieuse contestation pour l'inhumation des corps: les séculiers la demandèrent pour l'église paroissiale par droit de primauté ; mais les religieux la réclamèrent pour la chapelle du couvent ou hospice de San-Antonio (2), comme appartenant au même ordre religieux que les martyrs. Le cabildo, à qui fut déférée la question, eut à prononcer entre eux. Après de longs débats, il écarta le point de droit, pour la détermination duquel il se voyait incom

(1) Fr. A. Caulin, Historia de la N.-Andalucia, liv. Il, chap. II, p. 112.

(2) Fr. M. de Anguiano, Vida de Fr. F. de Pamplona, liv. III, ch. xxi, ms. A ce couvent le R. P. donne par erreur le nom de San-Francisco, nom qui, nous l'avons vu, appartenait à celui de Santo-Tomé de Guayana.

pétent, et, n'entreprenant de résoudre que la question de convenance, il décida sagement que là où se faisait la neuvaine devaient aussi se faire les funérailles et l'enterrement. Ce fut, en conséquence, à l'église paroissiale qu'eut lieu l'inhumation des corps. Les obsèques y furent célébrées avec toute la pompe et le cérémonial voulus; le cabildo en corps, les fonctionnaires, la troupe, la ville entière et la campagne y assistèrent. Les trois religieux reposent dans le choeur de l'église actuelle, cette construction nouvelle ayant été élevée sur l'emplacement de l'ancienne (1).

Toutes ces mortalités ayant réduit les religieux au nombre insuffisant de sept, dont quatre à la Trinidad, savoir le révérend père Gabriel de Barcelona, le révérend père Tomás de Barcelona, le révérend père Ignacio de Valfogina et le frère Gil de Villamayor, et trois à la Guyane, savoir: le révérend père José Francisco de Barcelona, le révérend père Bautista de Nigo et le révérend père Antonio de Prades, le père préfet se détermina à envoyer en Espagne, en 1700, le frère Gil de Villamayor, pour rendre compte à la province de Catalogne de l'état des missions de la Trinidad et de la Guyane, et en obtenir de nouveaux missionnaires. Deux ans après, le 5 avril 1702, il en arriva huit, savoir : 1o Le révérend père frère Francisco de Saltra; 2o Le révérend père frère Ramon de Villafranca ; 3o Le révérend père frère Angel de Matarol; 4o Le révérend père frère Ambrosio de Julian;

(1) Fr. M. de Anguiano, Vida de Fr. F. de Pamplona, liv. III, ch. XXI, ms.

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