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peu redoutable, et souvent mise en péril par les attaques des Indiens hostiles, ne pouvait offrir une protection suffisante aux missionnaires. Ceux-ci, ne se voyant pas en sûreté dans les trois missions qu'ils avaient fondées dans les environs, les avaient abandonnées à la nouvelle du départ prochain de leurs confrères de la Trinidad, et s'étaient réunis à eux pour s'embarquer ensemble. La mission entière avait ainsi fait voile pour l'Espagne à bord du navire français. A l'arrivée des missionnaires dans la Péninsule, le commissaire général de l'ordre avait sollicité pendant de longues années, mais en vain, leur réintégration à la Trinidad. De guerre lasse, enfin, il avait pris le parti de se désintétéresser de l'île pour ne plus s'occuper que de la malheureuse province de la Guyane, dont le triste abandon réclamait avec tant d'urgence les services de ses religieux. Pour cet objet, la cour lui avait accordé le support d'une trentaine de familles des îles Canaries, et le secours d'une somme d'argent à percevoir du trésor royal de Santa-Fé de Bogota, comme frais d'installation à la Guyane. Un temps précieux avait été bien inutilement perdu à cause de toutes ces démarches et négociations, et ce n'avait été qu'en 1717, après neuf années de complet abandon, qu'une nouvelle mission des pères Capucins catalans avait pu être dirigée sur la province. Embarquée sur la flotte de l'amiral Serrano, alors en partance pour le Nouveau-Monde, elle était arrivée à bon port à Porto-Rico, puis, après transbordement, à la Trinidad. Comme les précédentes, cette mission se composait, ce semble, d'une douzaine de religieux; elle avait pour préfet et supérieur le révérend père frère

Ramon de Villafranca. A son arrivée, le gouverneur, Don Pedro de Yarza, lè successeur de Don Christóbal Felix de Guzman, réclama deux de ces missionnaires pour le service de l'île. Soit par un reste de ressentiment contre ce gouvernement, soit par nécessité, ils lui furent refusés par le préfet de la mission. Il s'en suivit une vive contestation, à l'issue de laquelle le gouverneur, à court de prêtres, et ne voulant pas perdre cette occasion unique de s'en procurer, prit le parti d'interdire la sortie de l'île aux religieux. Ceux-ci, pour pouvoir se rendre à leur destination, furent alors contraints de se soumettre à son exigence (1).

L'année suivante, 1718, les isleños arrivèrent à SantoTomé de Guayana, et le procureur général de la mission, le révérend père frère Mariano de Seba, muni'de sa réquisition sur le trésor royal de Santa-Fé de Bogota, se mit en route pour cette ville. Là, il fit rencontre du procureur général des missions de Caracas, le révérend père frère Salvador de Cadix, lequel était, lui aussi, porteur d'un mandat sur le trésor royal. Tous deux se concertèrent sur les moyens à employer et la marche à suivre pour obtenir, dans le plus bref délai possible, le remboursement de leurs créances, mais en pure perte; le trésor royal se trouvait non seulement vide, mais encore crible d'engagements antérieurement pris pour une somme considérable; tel était, à cette époque, l'état de délabrement des finances dans tous les gouvernements américains. Ainsi renvoyés aux calendes

(1) Blanco, Documentos pa la historia del Libertador, t. I, § CXLVI, p. 422.

grecques, les deux religieux prirent le parti de s'en retourner les mains vides. Ils firent route ensemble, et après un pénible voyage qui ne dura pas moins de trois ans, aller et retour, arrivèrent à Santo-Tomé de Guayana. L'insuccès de la démarche du père Mariano de Seba plongea la ville dans le découragement; presque toutes les familles espagnoles l'abandonnèrent et accompagnèrent le père Salvador de Cadix à Caracas. Se voyant alors sans appui, les religieux abandonnèrent à leur tour les missions du Caroni, qu'ils avaient commencé à fonder, et avec l'autorisation du gouverneur de la Trinidad, Don Martin de Anda y Salazar, le successeur de Don Pedro de Yarza, se retirèrent, les uns en Espagne et les autres dans notre île; il n'y eut qu'un seul d'entre eux qui se dévoua à y séjourner pour veiller aux soins spirituels de ses quelques habitants (1).

Telle fut la fin prématurée .de cette seconde tentative de réduction à la vie civile des Indiens belliqueux de la Guyane. Pour cette belle province, elle fut infructueuse; elle ne profita qu'à la Trinidad, où par son insuccès s'établit un certain nombre de ses religieux. A cette île, alors dans sa période de bonheur, tout souriait, tout servait comme par enchantement, tout promettait un avenir fécond et brillant.

(1) Blanco, Documentos pa la historia del Libertador, t. I, § CXLVII, p. 423.

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Par un de ces coups les plus soudains et les plus accablants du sort, il arriva que la Trinidad, juste au moment où, avec le travail de ses noirs et de ses Indiens, commençait enfin le plein développement de sa colonisation, eut à subir la plus grande calamité qui pût l'atteindre la perte totale de sa culture de cacao. Ce malheur eut lieu en 1727 (1), selon le père Gumilla, qui en fut un témoin oculaire. Les cacaoyers euxmêmes ne périrent pas, nous apprend-il; ils continuèrent, au contraire, à se montrer sains et robustes ; même après qu'ils eurent été privés de toute culture pendant plusieurs années et abandonnés dans les halliers, ils ne cessèrent de se couvrir de fleurs. Mais ces promesses ne tardaient pas à s'évanouir; les fruits qui

(1) M. E.-L. Joseph rapporte ce malheur à l'année 1725, en s'appuyant sur des papiers de famille qui lui auraient été communiqués; nous avons préféré l'autorité du P. Gumilla.

succédaient à ces fleurs, dès qu'ils acquéraient un degré de développement n'excédant pas la longueur du petit doigt, se desséchaient et noircissaient l'arbre (1). On ne voyait aucun remède à ce mal; la malédiction du ciel semblait s'être appesantie sur la colonie.

»

Nécessairement, la cause de ce grand malheur fut matière à hypothèse les uns l'attribuèrent aux gelées, les autres aux refroidissements occasionnés par les vents intermittents du nord. Ces vents, qui abaissent subitement la température, ont toujours été considérés aux Antilles comme pernicieux; le proverbe « vent de nord, vent de mort, en a pris naissance. Mais le père Gumilla rejette avec quelque dédain ces deux opinions, «<les gelées ne pouvant se produire dans les pays chauds, dit-il, et les cacaoyères se trouvant trop bien abritées des vents du nord par les épaisses forêts dont elles sont entourées. » Il assigne au malheur une cause surnaturelle. Pour lui, ce fut un fléau de Dieu, envoyé pour la punition de ces cultivateurs qui ne payaient pas régulièrement la dîme; avec la foi vive d'un religieux, il cite à l'appui de sa thèse la préservation exceptionnelle de la cacaoyère d'un isleño, du nom de Rabelo, qui avait toujours payé l'impôt. Dans le cours d'une mission de quinze jours qu'il prêcha aux habitants de San-José de Oruña, « il s'appliqua, dit-il, à leur indiquer les moyens les plus propres à obtenir de Dieu qu'il apaise sa colère et leur rende le fruit précieux de leur pays (2). » Nous ignorons si les cultivateurs

(1) P. Gumilla, Orinoco ilustrado, t. I, ch. 1, § II, p. 11. (2) Id., ibid., p. 11 et seq.

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