Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

1

sur une grande pirogue à la Trinidad, en 1728, mis à la mode caraïbe, et n'ayant pour tout accoutrement que le guayuco et l'onction de roucou sur la peau. Il remonta l'Orénoque jusqu'au confluent des deux rivières, et, pénétrant dans le Guaviare, en explora minutieusement les deux rives. Dans le cours de ses explorations, il courut les plus grands dangers, et éprouva des fatigues et des privations inouïes, sans obtenir, est-il besoin de le dire? aucun résultat satisfaisant. Désabusé enfin de son rêve trompeur, il s'en revint à la Trinidad après une absence de quatorze mois. La relation de cette expédition, la plus importante des dernières entreprises à la recherche du Dorado, ne nous est pas connue; mais le père Gumilla, qui l'a eue entre les mains, en parle avec détails. Elle traite d'abord de la géographie de la contrée visitée par Don Juan Gonzales Navarro, contrée située à plus de six cents milles à l'intérieur du continent, et jusqu'alors inconnue, puis des mœurs et coutumes de ses naturels. Le trait le plus saillant de ces mœurs, c'est la facilité avec laquelle les Indiens cédaient leurs filles aux Caraïbes qui vont trafiquer avec eux; le plus petit outil de fer, le moindre collier de verroterie était le prix ordinaire d'une Indienne, et c'est sans égard pour sa tendre jeunesse comme sans pitié pour ses larmes qu'elle était livrée à l'acheteur (4).

Peu de temps après l'insuccès de son expédition à la recherche du Dorado, en 1730, le gouverneur Don

(1) P. Gumilla, Orinoco ilustrado, t. II, ch. vIII, p. 75 et seq.

Agustin de Arredondo se retira du gouvernement de l'ile, qu'il confia par intérim au colonel Don Bartolomé de Aldunate y Rada. Ce dernier exerça le commandement pendant trois ans et mourut en 1733 à San-José de Oruña, où il reçut la sépulture. Ce fut sous son administration que la Trinidad parvint à l'extrême limite de sa décadence; aussi ne trouvons-nous rien à signaler pendant cette période, sinon deux faits naturels rapportés par le père Gumilla. L'un est un affaissement de terrain survenu sur le bord du chemin conduisant aux missions, lequel aurait donné naissance à un étang d'asphalte, à la grande terreur des habitants d'alentour (1). Cet événement viendrait confirmer l'opinion émise sur la formation de notre lac d'asphalte de la Brea, opinion d'après laquelle une dépression du sol aurait servi de cuvette de réception à la substance exsudant des terrains environnants (2). L'autre, c'est l'arrivée en détresse, au mois de décembre 1731, d'un petit bateau des îles Canaries, chargé de vin de Ténériffe. Surpris par une furieuse bourrasque, en se rendant d'une île à l'autre, il avait été désemparé et rejeté en pleine mer où, poussé par les vents alizés et le grand courant équatorial, il était venu aborder à notre île sur sa côte orientale. Le voyage, on le pense bien, avait été long; les provisions avaient été vite épuisées, et l'équipage et le capitaine, pendant plusieurs semaines, n'avaient eu pour tout aliment que le vin de la cargaison. L'émaciation des hommes, mieux encore que

(1) P. Gumilla, Orinoco ilustrado, t. I, ch. 1, § II, p. 15. (2) Wall et Sawkins, Geology of Trinidad, sect. III, p. 94 et seq., et Appendice, p. 134 et seq.

les papiers du bord, témoignait de la vérité de leur récit (1). Ce voyage d'accident vient soutenir l'opinion de ceux qui pensent que le grand cocal ou champ de cocotiers, à la Bande de l'Est, est dû au naufrage de quelque navire de la côte d'Afrique dont le chargement de noix de coco serait venu s'échouer sur notre plage; il fournit surtout aux anthropologistes unigénistes une preuve récente et éclatante de la manière dont le Nouveau-Monde aurait reçu ses premiers habi

tants.

Un autre événement de la même période, c'est le martyre, en 1733, au caño d'Aquire du delta de l'Orénoque, de l'évêque français Mgr Nicolas-Gervais de Labride et de ses deux chapelains. L'année précédente, le prélat, alors chanoine de la cathédrale de Lyon, en France, et trois autres chanoines français de la même église, se sentant pris d'une sainte ardeur pour la conversion des infidèles, étaient allés ensemble à Rome se jeter aux pieds du pape Benoît XIII, pour le supplier d'utiliser une vocation invincible au service de l'Église. Le Saint-Père fut profondément touché de l'esprit d'abnégation avec lequel ils demandaient de consacrer leur vie à un ministère si plein de fatigues et de dangers, et se rendant à leurs vœux, les sacra tous quatre évêques des quatre parties du monde. Il désigna Mer de Labride pour évangéliser le continent occidental dans la partie que baigne l'Orénoque. Sans attendre ni sa bulle d'intronisation, ni le fiat de la cour d'Espagne, le saint prélat avait alors quitté la ville éternelle, et accompagné

(1) P. Gumilla, Orinoco ilustrado, t. II, ch. vi, p. 42 et seq:

[ocr errors]

de deux chapelains, s'était embarqué pour le NouveauMonde. Arrivé dans une des îles françaises de l'archipel, et pressé de s'approcher des lieux destinés à l'exercice de son ministère, il avait gagné la Trinidad, où il avait été reçu par le gouverneur avec tous les égards dus à sa dignité, et de là s'était dirigé sur Cayenne pour y attendre ses papiers. A la vue du delta de l'Orénoque, qu'il avait à longer pour se rendre à sa destination, son zèle apostolique s'était réveillé avec tant d'ardeur, qu'il n'avait pu résister au désir de commencer aussitôt ses travaux évangéliques, et il s'était fait débarquer sur le rivage du caño d'Aquire où, pour attirer les naturels, il s'était mis à leur prodiguer les présents d'usage de couteaux, grelots et verroteries. Par ce moyen, il se vit promptement entouré d'une foule d'Indiens, à la conversion desquels il travailla pendant plusieurs jours avec un grand succès apparent. Mais les Indiens ne l'écoutèrent qu'avec dissimulation; dès qu'ils s'aperçurent que la provision de bibelots avait été épuisée, ils voulurent s'en débarrasser. Un jour ils envahirent sa demeure en foule, mirent à mort ses deux chapelains et ses serviteurs accourus au devant d'eux, et, pénétrant jusqu'à lui, l'assaillirent à coups de casse-tête, pendant que lui, agenouillé et le crucifix à la main, offrait sa vie à Dieu pour le salut de ses bourreaux. Les corps des trois martyrs furent recueillis et transportés à San-José de Oruña. Ils reçurent la sépulture au choeur de la cathédrale, le prélat dans un sarcophage de pierre du côté de l'évangile, et les deux chapelains dans un autre sarcophage de pierre du côté de l'épitre, les les deux sarcophages portant inscriptions

[ocr errors]

"

[ocr errors]

་་་་་

A

3

et épitaphes (1). Ces vénérables reliques seraient sans doute retrouvées en pratiquant des fouilles au chœur de l'église actuelle, bâtie, nous l'avons déjà dit, sur l'emplacement de l'ancienne.

[ocr errors]

A la mort de Don Bartolomé de Aldunate y Rada, le gouverneur titulaire, Don Agustin de Arredondo, étant toujours absent, le gouvernement intérimaire de l'île échut aux deux alcades Don José Orbay et Don Pedro Ximenes. Indépendamment de ces alcades en ordinario ou de service ordinaire, dits de première et de seconde élection, le cabildo en institua alors un troisième, dit de la Santa-Hermandad, et présidant aux affaires ecclésiastiques; il se composa des trois alcades, de trois regidores ou officiers municipaux, et d'un cuadrillero ou chef de police (2). Tels étaient les seuls fonctionnaires de l'île à cette époque d'abandon et de misère. Depuis deux ans, par cédule royale de 1731, la province de Caracas, avec adjonction de celles de Guayana, Cumaná, Barcelona, Carabobo, Barquisimeto et Coro, avait été érigée en capitainie générale (3), et le gouvernement de la Nouvelle-Andalousie avait en conséquence cessé d'exister. La Trinidad, trop déchue apparemment, ne fit pas partie de ce nouveau gouvernement; elle lui fut seulement adjointe en matière financière en 1731, et elle continua à relever de l'audience royale de Santé-Fé de Bogota pour toutes les autres branches

[ocr errors]

(1) P. Gumilla, Orinoco ilustrado, t. II, ch. 1x, p. 86 et seq. (2) Meany, Abstract of the minutes of Cabildo, 1733-1813, ms., pp. 1-24.

(3) Blanco, Documentos pa la historia del Libertador, t. I, no 74, § v, p. 53.

« AnteriorContinuar »