Imágenes de páginas
PDF
EPUB

elle ne fût pas aussi bien traitée par ses nouveaux hôtes que je l'aurais désiré. Ces pensées contradictoires me tourmentèrent à peu près pendant tout le reste de notre navigation; mais enfin nous nous arrêtâmes à quatre lieues de la Vigie, et par conséquent à quatorze lieues de S. Miguel, au lieu où alors on était occupé à travailler au chemin qui conduit à Belmonte.

Nous nous étions déjà arrêtés plusieurs fois dans le cours de notre navigation, pour visiter le chemin, et partout je l'avais trouvé bien nettoyé et assez large pour une voiture. Le travail consistait principalement à abattre les arbres dans la largeur de la route, à enlever les troncs et les branchages, et enfin à former des pentes pour rendre plus facile le passage des ruis

seaux.

Au-delà de la Vigie, nous n'avions plus trouvé aux rivages du Jiquitinhonha l'élévation qu'ils avaient auparavant. C'est à droite et à gauche une immense plaine qui est couverte de bois, et qui serait propre à tous les genres de culture. Cette plaine, me dit le commandant, se continue jusqu'au Salto Grande, et dans cet espace, qui est de vingt-deux lieues, le terrain, lors de mon voyage, était encore sans habitans et sanspropriétaires.

Nous couchâmes, comme la veille, au bord de la rivière, sous une de ces petites baraques faites par les militaires qui travaillaient au chemin. La petite Indienne, en se levant, se remit à pleurer et à faire les mêmes offres d'échange. Cependant on nous apporta un de ces serpens appelés surucucú (bothrops suru

[ocr errors]

cucú, Spix), que l'on dit être extrêmement dangereux, et qui, à ce que l'on prétend, produisent un sifflement aigu. De temps en temps, l'Indienne prenait le serpent mort, elle courait sur l'un de nous, et, en voyant notre effroi, elle poussait. de grands éclats de rire qui, pour quelques instans, interrompaient ses pleurs. Pendant que j'arrangeais des plantes, le commandant alla voir ses ouvriers, et l'enfant resta auprès de moi. Son chagrin devint alors un véritable désespoir; elle arra→ chait le linge que nous lui avions donné pour la couvrir; elle allait vers le rivage; elle revenait à moi, et me montrait la pirogue. Je faisais, pour la consoler, d'inutiles efforts, et j'étais véritablement désespéré de m'être chargé de cette enfant. Je m'avisai heureusement de la conduire dans l'intérieur de la forêt. A la vue des bois, toute sa gaîté reparut; elle marchait avec tant de promptitude que j'avais de la peine à la suivre ; et ayant remarqué que je ramassais des insectes, elle se mit à en chercher avec moi. Nous suivions ensemble le chemin qu'on venait de nettoyer. Jusqu'alors j'avais vu peu de bois vierges aussi beaux que ceux où nous nous promenions. Les lianes n'y sont pas trèsnombreuses, mais les arbres y montrent une vigueur surprenante; leur tronc, parfaitement droit, s'élance à une très-grande hauteur, et la route s'étend sous un berceau élevé de branchages impénétrables aux rayons du soleil.

Jusqu'à cet endroit, nous avions fait moi et Julião quatorze lieues sur le Jiquitinhonha. Nous n'allâmes pas plus loin. Nous partîmes le lendemain de très

f

bonne heure pour retourner à S. Miguel, et comme nous remontions le fleuve, nous mîmes un jour de plus. dans notre navigation...

Arrivés à la Vigie, nous y vîmes reparaître une partie de la troupe de Tujicaráma, et bientôt, à ma grande satisfaction, les hommes de Jan-oé nous appelèrent à grands cris de l'autre côté du fleuve. Nous les envoyâmes chercher, et aussitôt qu'ils furent à terre, notre petite Indienne courut au-devant d'eux; mais tous la repoussèrent. J'avais parlé au commandant des inconvéniens que je trouvais à emmener cette enfant ; je sentais parfaitement que, si je la rendais chrétienne par le baptême, je ne pouvais en faire une chrétienne vertueuse, et je désirais ardemment la remettre à sa famille. Rejetée par les siens, l'enfant prit la fuite du côté des bois; mais le commandant la rattrapa bientôt, et voyant que je désirais ne pas la garder, il la pressa contre sa poitrine, la renvoya vers ses compatriotes, et depuis nous ne la revîmes plus. L'idée d'être la cause du malheur de cette enfant m'était devenue insupportable; son départ me rendit le repos.

Parmi les Botocudos de Jan- oé était revenu ee jeune homme barbouillé de noir, qui nous ayait fait tant de caresses la première fois qu'il nous avait vus. A notre retour, il ne fut pas moins affectueux; il s'attacha à nos pas, et, sans cesse, il nous serrait contre sa poitrine. Je lui demandai s'il voulait s'en aller bien loin avec moi; il me répondit que oui, et, dès-lors, j'augmentai mes caresses, et le considérai comme un être dont je devais tâcher de faire le bonheur. Nous

lui donnâmes de vieux habits dont il fut enchanté, et nous le fimes coucher auprès de nous.

Les autres Botocudos, lorsqu'ils arrivèrent, portaient des paquets d'une liane grosse à peu près comme un tuyau de plume qui avait été grillée sur le feu. Cette liane est un des alimens favoris de ces sauvages; mais, avant de la manger, ils ont soin d'en enlever l'écorce. Je voulus y goûter, et je lui trouvai la saveur qu'ont les racines du manioc doux '.

Plusieurs des sauvages que nous vîmes ce jour-là, portaient sur leurs bras les cicatrices d'entailles lon'gues d'un ou deux pouces. Ces entailles leur avaient été faites par leurs femmes; et c'est là le châtiment que chacun des époux inflige à l'autre, lorsqu'il le surprend en adultère. Pour guérir ces blessures et celles qu'ils reçoivent à la guerre, les Botocudos expriment sur elles le suc d'une plante laiteuse, qui leur est connue et qui leur procure une prompte guérison.

Quand nous quittâmes la Vigie, nous fimes monter dans la pirogue notre jeune Botocudo, et un boiteux qui appartenait également à la troupe de Jan -oé. Tous les deux furent très-gais pendant notre navigation. Lorsque nous sortions de la pirogue, mon Botocudo

M. le prince de Neuwied dit que les Botocudos appellent cette liane atcha, et il ajoute que c'est probablement une espèce de begonia (Voyage trad. Eyriès, II, p. 258). Cela, je l'avoue, ne me paraît guère vraisemblable, car il n'existe pas, du moins à ma connaissance, de begonia grimpante. Sije pouvais me fier à des souvenirs très-confus, je serais porté à considérer la plante dont il s'agit comme une aroïde.

prenait mon porte-feuille, et il ne cessait de me faire des caresses.

De temps en temps nous suivions le chemin pratiqué sur le bord du fleuve, et, dans une de ces promenades, je vis les huttes que construisent les indiens Machaculís, lorsqu'ils vont chasser dans les forêts. Ces huttes n'ont pas plus de quatre pieds; mais elles sont faites beaucoup plus régulièrement que celles des Macunís, et surtout des Botocudos, et elles forment de très-jolis berceaux.

Entre la Vigie et l'Ile au Pain, nous vîmes accourir sur le rivage un homme de la troupe de Tujicaráma, qui nous rapportait un sac de poudre et de plomb que nous avions oublié. En général, je ne pouvais m'empêcher d'admirer la probité des Botocudos, bien différens en cela de tant d'autres nations indiennes, qui ont pour le larcin un penchant si marqué. On m'avait assuré, comme je l'ai déja dit, que les Botocudos avaient montré jadis le même défaut, mais qu'ils s'en étaient corrigés, depuis qu'ils avaient des rapports très-fréquens avec les Portugais. Cependant, quoique la troupe de Jan - oé se fût jusqu'alors peu rapprochée des blancs, elle ne nous avait rien enlevé, et pourtant il lui eût été bien facile de nous dérober quelque chose, puisque notre bagage était à la Vigie dispersé çà et là.

« AnteriorContinuar »