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l'a vu, s'était attaché à mor, cessa ses caresses, et quand je lui faisais entendre par des signes que nous allions nous en aller bien loin, et qu'il aurait des vêtemens, il ne témoignait plus de joie et baissait la tête sur sa poitrine. A l'heure du dîner on chercha les hommes de Jan-oé, mais on ne les trouva point; ils avaient disparu, et n'avaient laissé à S. Miguel que le pauvre estropié qui nous avait accompagnés dans la pirogue. Nous sûmes par celui-ci que les autres Botocudos desa troupe avaient été effrayés de voir tout à la fois la tribu d'Ariarí, qu'ils considéraient comme ennemie, et un aussi grand nombre de blancs, et que tel était le motif de leur fuite. Mon Botocudo était parti avec les autres, et je ne le revis pas plus que la petite fille.

Le même jour un Botocudo de la tribu de Joahima, nommé Agostinho, chanta pendant long-temps à la porte d'une maison où j'étais. Son chant n'était qu'un nazillement monotone. Il se plaignait, comme avait fait à la Vigie un des hommes de Tujicaráma, de ce que nous avions donné tous nos couteaux et nos brasselets à ceux de Jan-oé; tandis qu'il n'avait rien reçu, lui qui travaillait sans cesse pour les Portugais. « Je m'en irai dans les bois, disait-il, et vous ne me verrez plus. » Quelqu'un de la maison le fit entrer et l'engagea à chanter sur un autre air. « Vous m'avez prié de chanter, dit-il, et j'ai chanté. Je vois dans vos yeux que vous ne me donnerez pas davantage; adieu.» Et il s'en alla brusquement.

J'ai déjà parlé de l'infâme commerce d'enfans boto

cudos, qui avait eu lieu pendant l'absence du commandant Julião, et des haines que ce commerce avait fait naître entre différens chefs. A cette même époque, le capitaine Joahima, soutenu par les Portugais, avait enlevé, pour les vendre à ceux-ci, des enfans de la troupe d'Ariarí. Ce dernier, voulant se venger, fit la guerre à Joahima et lui tua quatre hommes. A son retour, Julião réunit les deux capitaines; il tâcha de leur persuader de vivre en paix; ils s'embrassèrent, et le commandant crut avoir rétabli la bonne intelligence.

Peu de temps après, quelques jeunes gens de la troupe d'Ariarí passèrent le fleuve et arrivèrent à S. Miguel. Joahima les invita à venir chez lui chercher du rocou. Ils s'y rendirent, et aussitôt qu'ils entrèrent dans l'aldea, quelques hommes de Joahima se jetèrent sur eux et les frappèrent avec violence. Par une barbare équivoque, Joahima avait désigné par le rocou le sang qu'il voulait leur faire répandre. Le commandant tâcha de donner satisfaction à Ariarí en punissant les coupables, et lorsqu'à notre retour dans le hameau les gens de ce dernier capitaine passèrent le fleuve, la bonne intelligence semblait régner entre les deux troupes; mais la seule présence des blancs les retenait. Ariarí et Joahima conservaient dans leurs cœurs le désir de la vengeance.

Un matin, pendant que nous déjeûnions, cet Agostinho que j'avais déjà entendu chanter, vint encore nous faire entendre ses chants. Il paraissait très-animé; mais en même temps sa figure était triste, et tous ses

gestes exprimaient la crainte. Il disait que Joahima était rempli d'épouvante; qu'Ariarí avait une troupe nombreuse, et que tous ses hommes étaient grands et vigoureux.

Cependant, sur le soir, j'entendis une femme indienne pleurer et sangloter en entremêlant ses plaintes d'un chant lugubre et monotone. Je sus bientôt que la tribu d'Ariari avait passé la rivière; que les soldats de Joahima avaient été au devant d'elle, et qu'il était mort de la troupe de ce dernier trois hommes et une femme, car les femmes accompagnent ordinairement leurs maris à la guerre.

Le commandant et moi nous nous rendîmes à l'aldea, et, en y arrivant, nous entendîmes pousser de grands cris. C'était la mère d'un des combattans qui déplorait sa mort. Joahima, d'un ton dur, lui ordonna de se taire, et elle mit fin à ses cris. Alors le commandant adressa quelques reproches à Joahima; mais celuici nous dit qu'il voulait se venger, et qu'il demanderait du secours à Jan- oé, autrefois son ennemi, et qui était également celui d'Ariarí.

Le lendemain je quittai le hameau; mais je fus rejoint par un jeune homme qui m'apprit que Joahima, après avoir rendu les derniers devoirs aux soldats qu'il avait perdus, avait quitté ses vêtemens; qu'il s'était armé de ses flèches et était parti seul, en disant qu'il mourrait ou qu'il tuerait Ariarí. Cette résolution n'était pas au reste aussi héroïque qu'elle semble l'être ; car il ne s'agissait point d'aller provoquer un ennemi et de l'attaquer en face, mais seulement de l'épier dans

quelque endroit et de lui décocher une flèche, caché derrière un arbre.

Le jeune homme qui m'avait appris ces derniers événemens avait quitté le chemin pour aller raconter ce qui s'était passé entre Ariarí et Joahima, au frère de celui-ci, capitaine d'une autre tribu de Botocudos. La troupe du frère de Joahima savait déjà ce qui était arrivé : les femmes pleuraient les morts; les hommes paraissaient animés par la colère, et juraient qu'ils vengeraient leurs amis. D'autres troupes avaient aussi pris parti dans cette querelle. Ainsi l'affreuse traite des enfans Botocudos avait causé entre ces malheureux Indiens une guerre qui peut-être n'aura fini qu'avec plusieurs de leurs tribus.

Les Portugais étaient devenus, sans coup férir, maîtres d'un territoire qui s'étend dans un espace d'au moins cinquante lieues sur les deux rives d'un fleuve navigable; et à cette possession ils devaient de nouveaux débouchés et la certitude d'un commerce important. En retour de tant d'avantages, qu'avait-on fait pour ces Botocudos, à qui on les devait, et qui, en tirant quelques flèches aux soldats brésiliens, auraient pu les confiner à S. Miguel pour de longues années? Ces malheureux Indiens avaient été séparés de leurs enfans; on avait jeté parmi eux des semences de discorde; et non-seulement personne ne s'était chargé de les rattacher à la vie civilisée par les liens de la morale et de la religion, mais encore à peine s'étaientils rapprochés des hommes de notre race, qu'on avait étalé sous leurs yeux tous les mauvais exemples

que peuvent produire la fainéantise et le libertinage'.

Des Portugais prétendent qu'on ne pourra jamais civiliser les Botocudos qu'en les dispersant chez les colons; mais, sans parler de l'injustice et de la barbarie de cette dispersion, qui ne serait autre chose que le rétablissement de l'esclavage pour ces Indiens, il est évident qu'une telle mesure ne tendrait à rien moins qu'à éteindre entièrement leur race, et par conséquent elle est contraire aux intérêts de l'État, auquel il importe tant d'augmenter la population de la contrée. On doit donc laisser les Indiens réunis; mais ce n'est pas en leur donnant pour voisins des soldats, des

On peut faire de grands reproches aux Portugais sur leur conduite envers les indigènes; mais, il faut le confesser, ils n'ont pas été beaucoup plus coupables à cet égard que tant d'autres nations européennes. Notre race est supérieure à toutes, et l'homme, de quelque race qu'il descende, s'il n'est retenu par une civilisation très - avancée, et surtout par des principes religieux, abusera toujours de sa supériorité. L'Indien traite son prisonnier avec barbarie, et nos enfans, qui ne sont supérieurs qu'aux animaux, se plaisent à les tourmenter. On sait trop quelles cruautés les conquérans espagnols ont exercées sur les indigènes; tout en conservant les apparences de la justice, les habitans des États-Unis ont démoralisé le Indiens, et les ont détruits avec les liqueurs fortes; les divers peuples de l'Europe qui ont des colonies en Amérique ont admis l'esclavage des nègres, et les Hollandais du cap de Bonne-Espérance ont chassé aux Boschis, dit Grandpré, comme nous chassons aux lièvres.

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