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on me donna, ainsi qu'au commandant et à deux autres personnes, un grand bâton rouge plus haut que moi, dans les deux extrémités duquel était passée une faveur rose. L'Empereur parut bientôt. Il était vêtu, comme toutes les personnes un peu distinguées du pays, en frac et en culotte courte; mais il portait un sceptre et une couronne d'argent, et, derrière son habit, était attachée, en guise de manteau, une longue bande de velours rouge, garnie de galons croisés en larges losanges. Deux officiers, dont l'un portait un sabre nu et l'autre un plateau d'argent, le précédaient, et un troisième portait son manteau. Moi et les trois autres personnes à qui l'on avait donné des bâtons rouges, nous formâmes avec ces bâtons un carré autour de l'empereur. Celui des officiers qui portait son manteau était avec lui dans le carré, et les deux autres se placèrent en avant.

Cependant on sortit de la maison. Une troupe de musiciens détestables, tous vieux métis, se mirent devant les deux officiers, et entonnèrent un hymne en l'honneur de l'Empereur. A la tête de ces musiciens se rangèrent quelques prêtres simplement vêtus de soutanes, et enfin une foule considérable de peuple suivit tout ce cortége.

Arrivé à la porte de l'église, l'Empereur se mit à genoux. Un prêtre en surplis vint lui présenter l'encens, et un autre lui fit baiser le crucifix. En entrant dans l'église, nous séparâmes nos bâtons. L'Empereur s'avança jusque dans le sanctuaire; il se plaça audessous d'un dais, à côté d'un des autels latéraux, et

ses trois officiers se rangèrent devant lui. Alors on entonna un Te Deum, et ensuite on chanta une messe en musique. Les voix étaient agréables et fort justes, la musique me parut très-bonne, et l'on n'eût entendu rien de semblable dans nos petites villes du milieu de la France. Avant le Credo, le commandant du village et les principaux habitans sortirent de l'église, et je les suivis. Le curé, qui n'avait point officié, sortit également; il monta au haut de l'escalier qui conduit à la chaire, et qui est placé en dehors de l'église, comme cela a lieu dans presque toutes les églises de la province : là il nous fit un salut; nous le lui rendîmes, restant au bas de l'escalier, et ensuite nous rentrâmes dans l'église. Le curé avait choisi pour sujet de son discours le respect et l'amour qu'on doit au Saint-Esprit, et prêcha pendant une demi-heure. Quand le sermon fut achevé, nous ressortîmes de l'église, et nous saluâmes le curé pour la seconde fois. A l'évangile, le commandant et un des principaux habitans du pays tinrent chacun un cierge à côté du diacre.

Pendant l'office, la plupart des hommes restèrent à la porte; c'étaient des femmes qui remplissaient presque entièrement la nef. Presque toutes étaient des mulâtresses, et à peine en comptai-je une demidouzaine qui fussent bien réellement blanches. Toutes se tenaient accroupies, et étaient, suivant l'usage, affublées de longs manteaux de laine. Elles portaient généralement sur leur tête un fichu de mousseline ou de toile des Indes; cependant quelques-unes, plus élégantes, avaient un petit toquet de gaze, garni de ru

TOME II.

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bans rouges et bleus et de bouquets de clinquant.

Après la messe, le cortége se forma pour la seconde fois; nous sortîmes de l'église et nous nous dirigeâmes vers la maison de l'Empereur. Dans le chemin nous fûmes rejoints par une troupe de créoles déguisés (folião). Ils avaient une veste et un pantalon blanc; des mouchoirs rouges couvraient leur poitrine, leur dos et leurs bras; tous portaient un masque et un long bonnet pointu de papier peint, et enfin chacun d'eux tenait une guitare ou un tambour de basque. Un seul, qui n'était point déguisé, marchait devant la troupe et frappait sur un tambour semblable à ceux des montreurs d'ours. Un autre portait une longue canne et dirigeait la marche.

Auprès de la maison de l'Empereur l'on avait dressé sous un berceau de feuillage deux longues tables, chacune de cinquante couverts. A l'extrémité d'un des berceaux se trouvait une estrade, au-dessus de laquelle s'élevait un dais, et sur cette espèce de trône était un fauteuil devant lequel on avait placé une table avec un couvert. L'Empereur monta sur l'estrade et s'assit. Une partie du cortége prit place devant les longues tables dont j'ai parlé, et l'on servit un dîner très- copieux, consistant en grosses viandes, volailles, cochons de lait, riz et salade. Chacun avait devant soi un petit pain, et pour boisson l'on donna aux convives de la cachaça, dans laquelle on avait fait infuser du café et où l'on avait mêlé du sucre. L'Empereur fut servi avec beaucoup de cérémonie ; ses officiers se tenaient auprès de lui, et chaque plat lui était apporté sous une longue

serviette. Pendant le dîner, les créoles déguisés ne cessèrent de danser autour des tables en jouant de leurs instrumens. Leurs danses étaient très-variées et quelquefois fort agréables. Dans l'une d'elles, qui n'était que bizarre, les danseurs s'accroupirent sur deux rangs, en se plaçant deux à deux l'un devant l'autre, et pendant que l'un des deux jouait de son instrument, l'autre frappait dans ses mains. Plusieurs femmes, accompagnées de la musique, vinrent successivement offrir à l'Empereur des plats de confitures, qui ensuite furent mangés par les convives. Ces offrandes sont le résultat de quelque vœu fait au Saint-Esprit, et ceux qui servent les convives le font également pour accomplir un voeu. Après le dîner, le curé entonna, pour rendre grâce, le Laudate Dominum omnes gentes ; ensuite nous nous levâmes de table pour faire place à d'autres, et les convives se renouvelèrent ainsi plusieurs fois de suite.

La fête de l'Empereur', instituée par une reine de Portugal, eut originairement pour objet des distributions d'aumônes '; mais peu à peu elle dégénéra, et ce n'est plus aujourd'hui qu'un jour de réjouissances publiques, où à des cérémonies religieuses se mêlent,

1 Cette fète s'appelle en portugais festa do Espirito Santo, mais je ne lui donne point ici le nom de Pentecôte, pour qu'on ne la confonde pas avec la fête purement chrétienne qui porte le même nom.

Je n'ai ici, je l'avoue, d'autre autorité qu'un renseignement verbal.

d'une manière bizarre, des cérémonies ridicules et profanes. Chaque année un nouvel Empereur remplace celui de l'année précédente, et c'est le sort qui désigne ceux qui doivent remplir cette dignité. Pour subvenir aux dépenses de la fête, on fait des quêtes chez tous les particuliers, qui, les uns, donnent de l'argent, et les autres de la volaille, des boeufs, des cochons de lait, etc. C'est dans la maison de l'Empereur que le dîner se prépare, et il contribue, suivant ses moyens, à embellir la fête.

Sur le soir, les habitans de S. Domingos retournèrent à l'église, et là on tira au sort le nom du nouvel Empereur. Celui de l'année précédente remit à son successeur les marques de sa dignité, et chacun des deux fut reconduit en pompe dans sa maison. Toute la soirée, les créoles déguisés parcoururent les rues en chantant et en dansant, et à minuit je les entendais encore. Il est inconcevable que ces hommes puissent résister à une pareille fatigue. Les rues furent aussi parcourues par des masques vêtus de blanc, qui tous portaient des flambeaux dans des lanternes de papier, et qui étaient montés sur des chevaux chargés de sonnettes. La fête se passa avec beaucoup d'ordre et de décence, et je n'entendis ni cris ni disputes; ce qui, au reste, est la conséquence naturelle de cette douceur et de cette politesse qui distinguent les moindres cultivateurs de ce pays. Une des choses qui me frappèrent le plus dans cette journée, ce fut la gravité, ou, pour mieux dire, l'immobilité de l'Empereur. Il ne sourit pas une seule fois, il ne tourna pas une seule

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