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fois la tête, et ne fit pas un mouvement inutile. Le lendemain de la fête principale, il y eut encore à S. Domingos un de ces spectacles que l'on appelle cavalhadas (tournois). Pour donner ce spectacle, on avait choisi la place publique. Les acteurs étaient les habitans les plus aisés du pays, les écuyers les plus habiles, ceux enfin qui possédaient les meilleurs chevaux. On représenta un combat de Maures et de chrétiens. Il y avait dix acteurs, cinq d'un côté et autant de l'autre. Les Maures portaient des casques, des pantalons blancs très - larges, des vestes blanches, et avaient sur la poitrine une pièce d'étoffe rouge qui leur tenait lieu de cuirasse. Les chrétiens étaient simplement vêtus de l'habit de milicien. Les deux partis s'envoyèrent des ambassadeurs, se défièrent, et le combat commença. Les Maures étaient à une extrémité de la place, les chrétiens à l'autre. Chaque chevalier, partant de son camp, galopait autour de la place, la traversait après avoir fait quelques tours, et se rencontrait avec son adversaire. Lorsque deux chevaliers commençaient à combattre, chacun était armé d'un long bâton peint qui tenait lieu de lance; en se croisant, les deux adversaires frappaient une fois leurs bâtons l'un contre l'autre, puis ils continuaient à galoper, jetaient leurs bâtons, se rencontraient encore, tiraient un coup de pistolet, et après avoir fait usage de cette arme, ils se servaient du sabre. Lorsque deux combattans avaient ainsi figuré, ils faisaient place à de nouveaux acteurs, et, de temps en temps, les deux troupes entières se battaient l'une contre l'autre.

Avant que le tournoi commençât, des créoles masqués et déguisés en postillons avaient fait des farces à la manière de nos paillasses, et, pendant les combats, ils s'occupèrent à chasser les animaux qui auraient pu troubler la fête. Une foule très-considérable était rangée sur la place, et cependant, comme la veille, tout se passa dans le plus grand ordre. Ainsi qu'on peut le voir par ce qui précède, ce spectacle était extrêmement monotone; néanmoins il dura fort long-temps, et je ne sais combien il aurait duré encore, si la pluie, qui, dans cette saison, était presque une merveille, ne fût venue l'interrompre et mettre fin à mon ennui. Je fis en deux jours les cinq lieues que l'on compte entre S. Domingos et le village d'Agua Suja.

Tout autour de S. Domingos la terre a été cultivée et est couverte de capoeiras. Bientôt je passai devant une sucrerie, et ce n'est pas la seule qui se voie dans ce canton ', La canne qu'on y récolte contient plus de parties sucrées que celle qui se recueille dans les terres de bois vierges : à la vérité, l'espèce ordinaire souffre beaucoup des longues sécheresses si communes dans ce pays; mais on peut en partie remédier à cet inconvénient en cultivant la canne

1 On a vu, dans le premier volume de cet ouvrage (p. 57), que les propriétaires de sucreries étaient appelés, aux environs de la capitale, senhores d'engenhos, et je pense qu'on leur donne le même nom dans tout le Brésil. A l'endroit cité, on a mis deux fois ingenho pour engenho, mais cette faute a dû être corrigée dans l'errata.

d'Otahiti, qui, d'après les observations que l'on a faites, n'a pas autant besoin d'humidité, et qui d'ailleurs fournit des produits abondans. On a prétendu dans la province des Mines que cette dernière canne donnait la lèpre; mais il n'est pas invraisemblable que cette assertion ait été répandue par les nègres, qui ne peuvent sucer l'espèce otahitienne aussi facilement que l'espèce ordinaire, et qui ont plus de peine à la cueillir, à cause des poils rudes dont elle est couverte. La canne anciennement cultivée par les Brésiliens est aujourd'hui appelée par eux canne créole (cana crioula), c'est-à-dire canne du pays', et ils donnent à celle d'Otahiti le nom de canne de Cayenne (cana Cayana2). Ce dernier nom doit son origine à une circonstance qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler. Le général portugais Narciso ayant pris, pendant la dernière guerre, la Guyane française, y trouva la canne d'Otahiti; il l'introduisit au Brésil; elle y a prospéré3, et elle y a pris un nom qui n'indique pas plus sa véritable patrie que celui de peuplier d'Italie ne

L'on sait que les Brésiliens doivent l'introduction de la canne à sucre dans leur pays à MARTIM AFFONSO De Souza, fondateur de la capitainerie de S. Vincente. Il la tira, en 1531, de l'île de Madère, où elle avait été apportée de Chypre et des Deux-Siciles. Martim Affonso ne mériterait-il pas que les Brésiliens lui érigeassent un monument de reconnaissance?

2 Pour cana de Caenna ou de Cajena.

3 Ce que je dis ici servira, je l'espère, à compléter ce qu'a écrit M. de Humboldt sur l'histoire de la canne d'Ota

désigne le pays où ce bel arbre croît naturellement. C'est ainsi que la guerre, ce fléau si cruel, a cependant contribué plus d'une fois à faire connaître et à répandre des productions utiles'.

Au-delà de S. Domingos, le terrain s'élève, et ce village peut être considéré comme la limite de la région des catingas 2. Mais les carrascos que je traversai, bientôt après m'être mis en route, ressemblaient, pour l'aspect, à nos taillis; et ceux que je trouvai ensuite jusqu'à Agua Suja, plus grands encore, peu

hiti (Tableaux de la Nature, trad. Eyr., 1, 66); et prouve en même temps combien les saccharum cultivés au Brésil étaient peu connus du voyageur qui a dit que les habitans des environs de Ponta Negra, sur la côte, avaient renoncé à la canne de Cayenne pour celle de Taïti.

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▪ Tout le monde sait, par exemple, que nous devons le cerisier aux conquêtes de Lucullus, et le blé noir aux croisades. Si, partant de Belmonte, on se dirigeait vers le sud-ouest, on traverserait les quatre régions végétales qui s'observent dans la province des Mines; l'on passerait successivement des forêts aux catingas, de celles-ci aux carrascos, des carrascos aux campos; et il est à remarquer que ces régions forment ainsi une sorte d'échelle, où l'ensemble des végétaux diminue graduellement de hauteur, peut-être parce que l'humidité diminue aussi graduellement. Quand M. de Neuwied, suivant aussi à peu près la direction du sud-ouest, quitta la côte à environ un degré nord de Belmonte, pour gagner le Sertão de Bahia, il trouva également d'abord des forêts, puis des catingas, des campos et des carrascos. Il serait curieux de savoir sous combien de degrés de latitude on rencontrerait la même échelle de régions végétales.

vent être considérés comme formant un intermédiaire entre les véritables carrasqueinos et les catingas.

A environ une lieue et demie du village, je me trouvai sur les bords de l'Arassuahy'; un peu plus

1 On me dit à S. Domingos que le nom d'Arassuahy avait été donné par les Paulistes à la rivière qui le porte, parce qu'ils y avaient trouvé une grande quantité d'or; qu'ils avaient dit: Oro só ahi (c'est ici seulement qu'il y a de l'or), et que, de ces mots, on avait fait par corruption Arassuahy. Mais cette étymologie me paraît entièrement fausse. Le mot hy, qui termine le nom d'une foule de rivières, est guarani, et signifie eau, rivière. Arassuahy vient donc bien plus vraisemblablement des mots indiens araçu, espèce d'oiseau, probablement l'ara rouge, et hy, rivière, pour ĭouy (la rivière des aras). Voyez Tesoro de la lengua guarani.—Je crois qu'il n'est pas inutile que je donne ici une explication sur une orthographe que j'ai adoptée (page 7 du premier volume) pour le nom véritable du village voisin de Rio de Janeiro, appelé communément Aguassú. J'ai dit que ce nom était Hyguassú, et qu'il venait de hy, eau, et de guassú, grande. 1o Ce dernier mot se prononce comme s'il y avait en français gouaçou, sons que l'on peut rendre également en portugais par guassu ou guaçu. Je crois que, pour l'orthographe des noms empruntés des Indiens, il faut, autant que possible, se rapprocher du guarani, langue généralement parlée au Paraguay et fixée par les jésuites. Or, la lettre s n'a été admise ni dans l'orthographe du guarani ni dans celle de son dialecte appelé lingua geral, et, dans les deux dialectes, la syllabe augmentative s'écrit également çu. Dans le mot Hyguassú, il est donc clair qu'il vaudrait mieux, comme l'a fait Pizarro, écrire guaçu que

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