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CHAPITRE XVII.

LES VILLAGES DE CORAÇÃO DE JESUS ET DE CURMATAHY. FIN DU VOYAGE DANS LE SERTÃO.

Le village de Coração de Jesus; sa situation; son origine; sa population; combien ce village offre peu de ressources; mœurs de ses habitans. - Firmiano tombe malade; regrets de ce jeune homme. — Idée générale du pays qui s'étend entre Coração de Jesus et Curmatahy. Peinture des vallées voisines de Coração. Excrémens des bestiaux qui mangent de la terre salpêtrée. S. Bento, chaumière. Maux que causent les dizimeiros. Buraco, petite habitation.

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Retiro de Boa Vista. Insectes malfaisans. Fazenda do Negro, habitation, Humilité des mulâtres devant les blancs.· Retiro de Sucuriú. Fazenda de Catonio. — Pâturages incendiés. Village de Curmatahy; montagnes et ruisseau du même nom. — L'auteur s'égare en revenant de visiter une cascade. Il entre dans la Serra de Curmatahy, limite du District des Diamans ; il est surpris par un orage, et couche sur un rocher. Il arrive à la première exploitation diamantine.

Le village de Coração de Jesus (coeur de Jésus), situé à dix lieues de Formigas, n'est qu'une succursale de la paroisse de Barra, qui en est éloignée de quatorze lieues. Il a été bâti sur un morne peu élevé que des vallées entourent de toutes parts, et qui est dominé par d'autres mornes. Trente ou quarante maisons composent tout le village: pour la plupart, elles ont été construites sur le milieu du plateau qui termine le morne,

et elles forment une rue fort large, régulière, mais trèscourte. Quoique généralement couvertes en tuiles, ces maisons sont bien loin d'être belles; on n'a fait entrer dans leur structure que de la terre rouge et des morceaux de bois transversalement croisés par des bambous; elles sont petites, et l'on n'a pas même le soin de les bien entretenir. L'église, que l'on achevait lors de mon voyage, a été placée à une des extrémités de la rue et à égale distance des deux rangs de maisons; ses proportions sont petites, mais elle sera jolie.

Coração de Jesus paraît devoir son origine à un sentiment religieux. Les cultivateurs du voisinage, trop éloignés des lieux où il existait des prêtres pour pouvoir remplir leurs devoirs de chrétiens, fondèrent ce village. Ils n'eurent d'abord qu'une église couverte en chaume; mais, peu à peu, des legs et les aumônes des fidèles permirent d'élever un temple qui convint mieux à la dignité du culte, et l'on commença, en 1792, celui dont on achevait l'intérieur en 1817. Quand il ne se trouve pas dans le village d'ecclésiastique pour y dire la messe, presque toutes les maisons sont fermées; il n'y en a pas plus de sept qui soient habitées toute la semaine, et ce sont des ouvriers et des femmes de mauvaise vie qui les occupent'. De là il résulte que Coração de Jesus n'offre absolument aucune ressource, même pour les besoins les

Ce que je dis ici de la population permanente de Coração de Jesus n'est point particulier à ce village, mais peut être appliqué à tous ceux du Sertão et de Minas Novas.

plus urgens de la vie. On n'y voit pas une seule boutique; l'on ne peut s'y procurer ni riz, ni haricots, ni viande, ni eau-de-vie, et les ouvriers ne vivent qu'en se faisant payer en nature par les agriculteurs pour lesquels ils travaillent. Comme il n'y avait pas dans le Sertão de menuisiers assez habiles pour faire les boiseries de l'église, on en avait fait venir des environs de Villa do Fanado, et je fus témoin des plaintes amères qu'ils adressèrent un jour à l'un des administrateurs de la fabrique, parce qu'ils ne trouvaient rien à acheter, que les colons du voisinage ne leur envoyaient rien, qu'ils étaient réduits à manger du maïs simplement cuit dans de l'eau. On aurait bien voulu faire quelque chose pour eux, mais on était réellement dépourvu de tout, parce que les fazendeiros cultivent à peine pour leurs besoins et ceux de leur famille.

et

Ces menuisiers auraient cependant mérité un meilleur sort; car leurs ouvrages étaient dignes des plus grands éloges. Les boiseries de l'église, l'autel et le tabernacle n'eussent certainement pas été mieux travaillés dans une ville de France de dix à douze mille âmes, ce qui confirme ce que j'ai déjà dit plusieurs fois de l'habileté des ouvriers mineiros.

Le menuisier qui avait entrepris les ouvrages de Coração de Jesus était le fils de M. Vieira, mon hôte de Santa Rita, qui était également venu dans le Sertão pour prendre part aux travaux de l'église. Ce dernier, ayant rencontré Prégent, sut que j'étais établi dans une maison qui n'était pas encore achevée, et il m'en procura une autre plus commode, dont le pro

priétaire était absent. Le fils ne se montra pas moins obligeant que son père; car, malgré la pénurie où il se trouvait lui-même, il m'apporta un plat de viande et de riz.

J'eus à me féliciter d'avoir échangé mon premier gîte contre une maison plus agréable; car je fus contraint de rester à Coração de Jesus plus long-temps que je n'aurais désiré. Quand j'arrivai dans ce village, le tocador João Morreira se plaignait beaucoup du mal de tête; Prégent, qui devenait d'une maigreur extrême, avait eu envie de vomir pendant toute la journée; et enfin l'Indien, qui, la veille, s'était blessé en montant à cheval, était tourmenté par une fièvre très-forte. Ce jeune homme avait déjà eu de la fièvre quelques jours auparavant, et comme les Botocudos, qui passent leur vie dans des forêts épaisses, sont généralement sensibles à la chaleur, j'avais attribué à celle du Sertão l'incommodité du pauvre Firmiano. Il eut du délire pendant la nuit qui succéda au jour de mon arrivée à Coração; je me décidai à lui faire prendre un vomitif; il rendit beaucoup de bile, resta long-temps assoupi, et nous ne pûmes nous remettre en route qu'au bout de cinq à six jours.

Il serait difficile de se figurer l'ennui que j'éprouvai pendant cet intervalle de temps. Firmiano me donnait une vive inquiétude; Silva était d'une humeur insupportable, et je ne trouvais personne dont la conversation pût me distraire un instant. A tous les désagrémens qu'il fallait essuyer vint se joindre un mal de dents qui augmenta encore l'irritation nerveuse dont j'étais

sans cesse tourmenté, et qui était le résultat de la sécheresse, de l'extrême chaleur et des contrariétés. Je maudissais ce voyage du Sertão, si fatigant, si pénible, et qui m'avait fait perdre un temps si précieux.

Mon séjour à Coração de Jesus me permit du moins d'observer avec détail la manière de vivre des habitans de ce village. Là, comme en plusieurs autres endroits, on n'aperçoit personne, on n'entend aucun bruit tant que le jour dure. Mais à peine le soleil est-il couché, que tout s'anime; on sort de la langueur où l'on est resté plongé pendant la journée; on cause, on se promène, on prend sa guitare, on chante, on danse des batuques. Jusqu'à une heure du matin, ou même plus tard, celui qui a envie de dormir est troublé par les intarissables conversations qui se font dans la rue ou sur le seuil des portes, par les battemens de mains des danseurs et par les sons de la guitare, à laquelle on ne fait presque jamais répéter, durant des heures entières, que trois ou quatre notes éternellement les mêmes. Au lever du soleil, tout le monde est debout, et l'on travaille; mais quand la chaleur vient, on s'engourdit, on s'étend, et l'on s'endort.

L'ignorance de ces bonnes gens est telle, que je ne pouvais tirer d'eux aucun renseignement, et qu'ils ne surent même pas m'indiquer le chemin de Curmatahy, village par où je devais passer pour me rendre à Tijuco'.

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J'ai déjà dit dans un autre chapitre que tous les habitans de Coração de Jesus étaient des mulâtres, et que je n'y avais

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